Intervention de Jean-Marc Jancovici

Réunion du mercredi 2 novembre 2022 à 15h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Jean-Marc Jancovici, Professeur à Mines Paris :

Nous ne gagnerions toujours pas en indépendance stricto sensu car nous aurons toujours besoin d'un fournisseur étranger, notamment pour le chrome et le cuivre, qui sont nécessaires pour construire une centrale nucléaire et dont nous ne disposons pas en France. Toutefois, nous gagnerions en confort et en quantité. Concernant le cuivre, il me semble que l'ordre de grandeur est supérieur à dix entre le solaire et le nucléaire pour la quantité de cuivre par kilowattheure produit. Ainsi, si nous voulons produire des énergies décarbonées, nous sommes moins dépendants si nous faisons du nucléaire que si nous faisons un système solaire. En outre, d'une manière générale, les énergies renouvelables exploitant des sources diffuses (donc le vent et le soleil) ont besoin de davantage de collecteurs pour avoir la même quantité d'énergie à l'arrivée, sans parler du fait que nous avons besoin de sources concentrées — pour maintenir un système pas trop éloigné du système actuel — et, éventuellement, de stocker, ce qui demande également des moyens supplémentaires, notamment des métaux. Développer la filière nucléaire ne permet donc pas d'être indépendants mais d'être moins dépendants que d'autres options concernant les métaux.

Parmi les trois solutions que vous avez citées, la fusion peut être exclue d'emblée car, même dans cent ans, elle n'aura pas changé significativement la donne dans l'approvisionnement électrique décarboné. Le dispositif ITER a seulement pour objet de produire un peu plus d'énergie avec la fusion du plasma que l'énergie nécessaire pour mettre le plasma en chauffe à quelques millions de degrés. Par ailleurs, ITER ne comporte aucun dispositif électrogène et j'ignore si nous savons faire un dispositif électrogène avec du rayonnement gamma et des neutrons alors qu'il est possible de récupérer de l'eau chaude dans un réacteur à fission.

La quatrième génération semble être le grand déterminant de la possibilité de disposer d'un nucléaire « durable » à l'avenir. Le nucléaire que nous exploitons aujourd'hui utilise un isotope très minoritaire de l'uranium, à savoir l'uranium 235, présent à environ 0,7 % dans l'uranium naturel. En raison des quantités récupérables d'uranium sur terre, en ordre de grandeur, si nous voulions remplacer une fraction significative des centrales à charbon mondiales par du nucléaire, il n'y aurait pas assez d'uranium 235 pour que cela fonctionne pendant des siècles. Pour que le nucléaire soit durable, il faut absolument passer à la quatrième génération, capable d'exploiter soit l'uranium 238 soit du thorium, sans trop tarder car, pour démarrer ces réacteurs de quatrième génération, nous avons quand même besoin du seul matériau fissile trouvable sur terre, à savoir l'uranium 235. En passant à la quatrième génération, nous serions capables d'exploiter les stocks d'uranium 238 accumulés mais cela ne change pas grand-chose en termes d'indépendance car nous continuons à avoir besoin d'importer d'autres métaux, notamment pour construire les réacteurs. Le poids de l'uranium n'est pas un élément absolument fondamental. Si un passage à la quatrième génération est toujours bon à prendre, l'argument premier est qu'à l'échelle mondiale, il s'agit du seul nucléaire qui puisse être réellement durable.

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