Intervention de Andy Kerbrat

Réunion du mercredi 16 novembre 2022 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndy Kerbrat :

« Je faisais partie de cette puissante machinerie de lobbying et je continue à croire qu'un lobbying bien organisé et transparent est un élément fondamental de la démocratie parlementaire. Cela devrait préoccuper tout démocrate. Cependant, lorsque nous atteignons un point où l'équilibre des pouvoirs penche si fortement en faveur d'un côté par rapport à l'autre, comme cela semble être le cas dans ce débat, lorsque les entreprises technologiques disposent de ressources financières disproportionnées pour faire passer leur message aux dépens des travailleurs, beaucoup moins puissants, il se passe quelque chose de vraiment antidémocratique. » Ainsi témoignait le mois dernier Mark MacGann, ancien lobbyiste en chef d'Uber en Europe et lanceur d'alerte à l'origine des Uber Files.

Oui, « quelque chose de vraiment antidémocratique » a eu lieu entre 2012 et 2016 en France, lorsque le ministre de l'économie de l'époque a travaillé avec une multinationale américaine poursuivie par la justice pour mise en danger de la vie d'autrui et de multiples infractions au code du travail. Ce lobbying a conduit à modifier la loi et à implanter dans notre pays un modèle entrepreneurial prédateur, antisocial et profondément inégalitaire. En tant qu'ancien syndicaliste et salarié, je peux vous dire que jamais les travailleurs n'ont bénéficié d'un soutien aussi efficace que celui qui a été offert à Uber.

Si la NUPES rejette le modèle social défendu par les soutiens de l'ubérisation, ce sont des actions antidémocratiques menées durant la période concernée qu'il est question dans cette proposition de résolution. De 2014 à 2016, le gouvernement français a été considéré comme un soutien solide d'Uber en raison de l'action du ministre de l'économie de l'époque pour faire accepter le modèle économique de cette entreprise en France et assouplir le cadre juridique à son avantage.

Nous ne pouvons ignorer les révélations faites par la presse internationale. Il y va de la crédibilité de notre République. Les documents obtenus par Euractiv montrent que durant sa présidence de l'Union européenne, la France a fait pression au Parlement européen pour bloquer la présomption de salariat à l'égard des employés des plateformes, dont Uber, ce qui laisse supposer une collusion entre notre État et cette société. Notre réputation internationale est entachée par les Uber Files, même si le scandale est mondial et touche particulièrement l'Europe, puisqu'une ancienne commissaire européenne, Neelie Kroes, également ancienne ministre des transports néerlandaise, a été épinglée dans l'enquête d'Euractiv pour avoir été embauchée comme lobbyiste durant la période qui nous intéresse.

Une audition a eu lieu le mois dernier au Parlement européen. Notre Parlement s'honorerait à suivre cette démarche. La transparence et le contrôle démocratique sont la seule voie permettant de protéger les intérêts et l'image de la France. Nous avons été élus, en tant que parlementaires, pour exercer une mission de contrôle de l'action du Gouvernement. Aussi devons-nous faire toute la lumière sur les conditions dans lesquelles un ministre – et seulement un ministre – a pu agir en faveur d'intérêts privés et défendre une entreprise aujourd'hui poursuivie par la justice, lui permettant de gagner des arbitrages, d'échapper à des arrêtés préfectoraux et de s'étendre dans tout le pays. Je précise que nous n'en voulons pas aux soutiens d'Uber, mais à cette société.

La fonction de contrôle est au cœur des missions de la représentation nationale. Elle prend racine dans l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Ce droit est exercé par le Parlement au nom des Français. Malgré les pressions de notre président au sujet de la recevabilité de la proposition de résolution, notre commission s'honorerait à faire sereinement la lumière sur les dysfonctionnements qui ont permis à un lobby comme Uber d'avoir une telle influence sur l'État. Ce travail doit être transpartisan et nous souhaitons que la commission d'enquête soit menée et rapportée avec l'accord de tous les groupes, de la majorité comme de l'opposition.

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