Intervention de Agnès Pannier-Runacher

Réunion du lundi 11 juillet 2022 à 21h00
Commission des affaires économiques

Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique :

Nous sommes dans une course contre la montre. Nous faisons face à une crise énergétique sans précédent depuis les chocs pétroliers des années 1970. Les raisons, vous les connaissez : cette crise inédite trouve notamment sa source dans la guerre en Ukraine, déclenchée par l'invasion russe, la Russie étant le premier fournisseur de gaz et le deuxième fournisseur de pétrole de l'Europe. Sous l'impulsion du Président de la République et des dirigeants européens, des sanctions massives ont été prises à l'encontre de la Russie. Il est de notre devoir de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour mettre fin à ce conflit qui marque le retour de la guerre sur le continent européen.

Depuis plusieurs mois, le système énergétique européen est sous tension. Cela se traduit par une hausse sans égale depuis des décennies des cours du carburant, du gaz et, par voie de conséquence, de l'électricité, qui s'ajoute aux tensions inflationnistes que nous observions déjà fin 2021 en raison de la reprise économique plus rapide qu'attendu après la crise sanitaire. Par ailleurs, le fonctionnement actuel du marché de l'électricité conduit les Français à être exposés partiellement aux prix des dernières centrales « appelées » à l'échelle européenne. Si cela permet d'apporter quarante jours par an de l'électricité en France, cela présente l'inconvénient de ne pas faire totalement profiter les Français des coûts compétitifs des installations qu'ils ont financées, notamment le parc nucléaire. Nos concitoyens comprennent difficilement qu'ils payent leur électricité en partie au prix du gaz alors que nous avons l'un des mix les plus décarbonés d'Europe. Il y va de l'acceptabilité sociale comme de la justice environnementale, deux enjeux qui sont au cœur de la transition. Nous devons le corriger.

Dire que nous faisons face à une crise énergétique, ce n'est pas employer des mots en vain : il s'agit du quotidien de nos concitoyens. L'augmentation des prix de l'énergie représente 60 % de l'augmentation globale des prix qu'ils subissent actuellement. Si nous sommes dans une course contre la montre, c'est donc d'abord pour protéger le pouvoir d'achat des Français en contenant la hausse des prix de l'énergie. Avec le Président de la République, nous avons pris dès le début de la crise énergétique des mesures fortes visant à protéger le pouvoir d'achat des Français, en particulier de ceux qui dépendent des énergies fossiles pour se déplacer et pour se chauffer. Avec la majorité présidentielle, nous avons mis en place un blocage des prix du gaz et de l'électricité, ainsi qu'une réduction directement à la pompe de 18 centimes par litre d'essence. Fin 2021, nous avions déjà prévu un chèque énergie exceptionnel pour nos compatriotes les plus modestes, et un chèque inflation de 100 euros, qui a bénéficié à près de 38 millions de Français. Les résultats sont là : grâce à ces mesures, nous avons contenu l'inflation à 5 % quand elle dépasse 10 % voire 20 % chez nos voisins européens. C'est moitié moins que la moyenne européenne, mais c'est encore trop, et le Gouvernement et la majorité en ont bien conscience. Grâce au bouclier tarifaire – en d'autres termes, au blocage des prix –, nous avons évité une hausse des factures des Français de 50 % sur le gaz et de 35 % sur l'électricité. Ces hausses, que l'on observe ailleurs, auraient été insupportables. Les mesures que nous avons prises n'ont pas d'équivalent en Europe. Le présent projet de loi et le projet de loi de finances rectificative (PLFR) ont vocation à poursuivre nos efforts pour protéger les Français, et je sais que tous les membres de vos commissions ont conscience de la nécessité d'agir vite, fort et efficacement.

Si nous sommes dans une course contre la montre, c'est ensuite parce que nous devons sécuriser nos approvisionnements en énergie pour l'hiver prochain. Protéger les Français, c'est aussi garantir qu'ils pourront avoir accès à l'énergie pour se déplacer et se chauffer cet hiver. Eu égard à la situation énergétique exceptionnelle, notre responsabilité est d'envisager tous les scénarios possibles, en prenant des dispositions pour sécuriser nos approvisionnements. C'est une question de résilience, mais aussi de souveraineté énergétique.

Nous allons prendre diverses mesures, dont certaines figurent dans le présent projet de loi, pour entrer dans l'hiver dans les meilleures conditions. D'abord, nous sécurisons le remplissage du stockage stratégique de gaz au-delà du niveau obligatoire de 85 %, qui avait été instauré en 2018 ; notre objectif est d'atteindre au plus vite et en tout état de cause avant le 1er novembre le taux de 100 %. Afin d'augmenter et de diversifier nos capacités d'importation et d'utilisation du gaz naturel liquéfié, nous prenons des mesures permettant la mise en place d'un terminal gazier flottant dans le port du Havre. Ce projet est nécessaire si l'on veut remplacer rapidement le gaz russe ; il a été conçu pour avoir le moins d'impact possible sur le plan social et environnemental. Il n'a pas vocation à être permanent : d'où le choix d'une installation flottante.

Par souci de cohérence avec nos ambitions climatiques, le texte prévoit des dispositions permettant de compenser les émissions de gaz à effet de serre liées à un éventuel fonctionnement ponctuel de la centrale à charbon de Saint-Avold, dont la fermeture est, par précaution, retardée de quelques mois. Les centrales à charbon représentaient, je le rappelle, moins de 1 % de la production d'électricité française pendant l'hiver 2021-2022. Si notre objectif demeure de ne pas avoir recours au charbon, tant que cela est possible, nous nous donnons néanmoins une sécurité afin de passer l'hiver. Enfin, pour maximiser les outils à notre disposition en cas de tension ponctuelle d'approvisionnement, nous étendons le mécanisme qui permet aux consommateurs de gaz de participer volontairement – j'y insiste – à une réduction de leur consommation en cas de tension sur le réseau. Ce mécanisme d'effacement est planifié et rémunéré. En conformité avec l'esprit de responsabilité qui est le nôtre, ces dispositions nous permettront de préparer une éventuelle situation de très forte tension cet hiver sans transiger sur notre ambition climatique.

Si nous sommes dans une course contre la montre, c'est enfin pour mettre en œuvre dès maintenant la transition énergétique et libérer les Français des énergies fossiles. C'est une nécessité absolue si l'on veut lutter contre le dérèglement climatique. La situation actuelle le démontre : libérer les Français des énergies fossiles, c'est aussi agir pour leur pouvoir d'achat, puisqu'ils ne peuvent pas du jour au lendemain changer leur véhicule, leur chaudière à fuel ou à gaz. Il est de notre responsabilité de trouver des solutions pour les accompagner dans la décarbonation de leur mode de l'ordre de transport et de leur mode de chauffage. C'est pourquoi il faut ponctuellement mettre en place un bouclier énergétique. Le PLFR prévoit en outre une augmentation de 400 millions d'euros du budget alloué au dispositif MaPrimeRénov' et de 400 millions du bonus écologique, d'un montant maximum de 6 000 euros, qui permet d'accompagner nos compatriotes vers l'achat de véhicules électriques, que beaucoup ne peuvent pas se payer. Nous avons aussi engagé avec la Première ministre un chantier prioritaire autour de la sobriété énergétique, avec un objectif de réduction de 10 % de la consommation d'énergie d'ici à 2024, et nous avons commencé par installer des groupes de travail sur l'État, qui doit être exemplaire, sur les entreprises, avec les partenaires sociaux, et sur les surfaces commerciales, avec Mme Olivia Grégoire ; le prochain portera sur le logement. Si nous voulons réussir la transition énergétique, il faut une mobilisation collective et, en premier lieu, un effort des institutions et des acteurs privés. La sobriété énergétique appelle un changement de comportement en profondeur, qui doit être accompagné par les politiques publiques. J'ai demandé aux énergéticiens de s'emparer du sujet et d'être eux aussi exemplaires, en proposant aux Français des contrats avantageux qui valorisent leur effort de sobriété en permettant de faire plus d'économies : tarification en heures pleines / heures creuses, incitation à mieux piloter sa consommation à distance… On peut faire beaucoup. L'énergie n'est pas illimitée : la meilleure énergie est celle qu'on ne consomme pas.

Cette approche doit être complétée par l'accélération du déploiement des nouvelles capacités de production d'énergie bas-carbone. Nos objectifs sont connus : déploiement de cinquante parcs éoliens en mer, investissements dans notre parc nucléaire avec un programme de six nouveaux réacteurs EPR, conformément aux annonces faites par le Président de la République à Belfort, en février. Le projet de loi d'accélération de la transition énergétique est important si l'on veut accélérer le déploiement massif des énergies décarbonées. Enfin, le travail européen que nous menons a franchi une étape décisive sous la présidence française, avec la décision, dans le cadre du paquet « climat », de la fin en 2035 de la vente des véhicules émettant du CO2, ce qui va accélérer la transition vers les véhicules électriques. L'adoption, la semaine dernière, par le Parlement européen de l'acte délégué complémentaire de la Commission européenne sur la taxonomie, en faveur duquel le Président de la République et le Gouvernement se sont fortement engagés, est une autre étape décisive en vue d'accélérer les investissements dans l'ensemble des technologies de la transition, qu'elles soient renouvelables ou nucléaires.

Mesdames et messieurs les députés, ce projet de loi est indispensable pour nous donner les moyens de protéger les Français et pour étendre nos marges de manœuvre en vue de l'hiver prochain. Nous compromettrions sérieusement nos capacités d'action si l'État ne disposait pas de l'ensemble de ces leviers pour agir. Je suis convaincue que nous trouverons le chemin du compromis, un chemin qui nous rassemblera tout en nous permettant de répondre à la triple urgence de protéger le pouvoir d'achat des Français, de renforcer notre souveraineté énergétique et de répondre au défi climatique.

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