Intervention de Marie-France Lorho

Séance en hémicycle du jeudi 1er décembre 2022 à 15h00
Juridiction spécialisée dans l'expulsion des étrangers délinquants — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-France Lorho :

Comme j'ai eu l'occasion de le dire en commission, c'est un choix pertinent que de consacrer un texte au droit délaissé, dévoyé, de l'expulsion des étrangers délinquants. L'exposé des motifs rappelle à juste titre que « la plupart des attentats terroristes en France ont été commis par des étrangers » – encore les citoyens binationaux ne sont-ils pas comptabilisés comme tels. Un tiers des personnes inscrites au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) sont étrangères. Quant au rapport d'information rédigé par le sénateur François-Noël Buffet, chargé, alors que la France subit une pression migratoire de plus en plus élevée, d'évaluer les politiques publiques en la matière, j'en extrais cette phrase : « Les travaux menés conduisent au triple constat d'un droit des étrangers devenu illisible et incompréhensible sous l'effet de l'empilement de réformes successives, de procédures inefficaces et d'un manque de moyens des services de l'État pour les mettre en œuvre. »

En 2021 ont été prises 143 226 mesures d'éloignement ; leur taux d'exécution fut de 9,3 %, en incluant les retours volontaires et spontanés. Toujours en 2021, au premier semestre, selon le ministère de l'intérieur, 62 207 OQTF ont été prononcées, 3 501 exécutées, soit un taux d'exécution de 5,6 %. Pendant ce temps, nous ne disposons que de 1 800 places en centre de rétention administrative. À la lecture de ces chiffres, il est aisé de comprendre que le problème réside avant tout dans une législation erratique, laxiste, vidée de sa substance et privée de moyens d'application. Pour parfaire ce travail de démolition, on peut compter sur une jurisprudence européenne – laquelle s'impose aux juges nationaux – complaisante envers l'immigration illégale et qui surprotège les étrangers délinquants. En somme, tout le système est organisé de manière qu'aucun éloignement ne puisse avoir lieu.

Face à ce dysfonctionnement structurel, de nature politique puis législative, on voit mal ce qu'une juridiction d'exception telle que la Cour de sûreté de la République pourrait bien résoudre. Toutefois, afin de pouvoir aborder le sujet cardinal de l'expulsion des étrangers délinquants, nous avons décidé de proposer une série d'amendements. La dénomination de la nouvelle juridiction doit désigner clairement, de façon immédiate, le contentieux auquel elle serait consacrée. De surcroît, il convient de souligner que le contentieux de l'expulsion relève des juges du fond, c'est-à-dire des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel, et que les priver de cette compétence serait aussi malvenu qu'indélicat. Ce qu'il faut, c'est donner à ces magistrats les moyens d'être efficaces : un droit positif clair et opérationnel, un pouvoir de contrôle réduit au minimum, étant entendu que ce sujet de haute police relève du pouvoir discrétionnaire de l'administration.

En vertu de la même logique, l'administration doit disposer d'un pouvoir de régularisation de ses décisions en cours d'instance, comme c'est déjà le cas dans d'autres contentieux : c'est pourquoi nous proposons que le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort, ainsi que de limiter les possibilités de pourvoi en cassation. Avec des voies de recours à chaque degré de juridiction, les personnes visées par des décisions d'expulsion n'en finissent pas de séjourner sur un sol dont elles ont pourtant violé l'intégrité. L'exposé des motifs évoque le cas de l'Allemagne, où il n'existe pas de possibilité de recours contre une décision d'expulsion : on peut regretter que cet exemple ne soit mentionné qu'à titre informatif, et que les auteurs du texte n'aient pas envisagé de le suivre.

Conserver leur compétence aux juges du fond et limiter les pourvois en cassation permettrait également que les autres contentieux ne restent pas en souffrance faute de magistrats, ainsi que d'éviter l'engorgement du Conseil d'État. Le dispositif proposé, en monopolisant des conseillers d'État, l'aggraverait : il serait même difficile de trouver meilleure méthode pour étouffer définitivement les juridictions françaises et les mettre hors d'état de statuer dans quelque affaire que ce soit. A fortiori, on ne peut instaurer un tribunal spécial pour chaque contentieux. Le système repose sur un dualisme juridictionnel : au nom de quoi remettre cette architecture en cause ? L'archipélisation de la justice française n'est ni souhaitée, ni souhaitable. Toutefois, la formation des juges accroîtrait leur compétence : nous souhaitons que seuls soient saisis des magistrats d'expérience, possédant une solide connaissance du sujet.

Par ailleurs, il s'agirait d'étendre la nouvelle organisation juridictionnelle à l'ensemble du contentieux de l'expulsion ; or celui-ci comprend deux composantes majeures – OQTF et refus d'abrogation des décisions d'expulsion – dont les auteurs de la proposition de loi n'ont manifestement pas eu connaissance. Le principe de spécialité législative aura de même échappé à leur vigilance, car, dans la rédaction actuelle du texte, six collectivités ultramarines ne seraient pas concernées, chose assez ennuyeuse pour l'intégrité du territoire. Nous proposons donc que cette proposition de loi soit appliquée dans la République française tout entière.

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