Intervention de Emeline K/Bidi

Réunion du mercredi 23 novembre 2022 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmeline K/Bidi :

La lutte contre les violences faites aux femmes avait été une « grande cause nationale » du premier quinquennat du président Emmanuel Macron. Pourtant, le nombre de féminicides est reparti à la hausse depuis 2020 : 102 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint en 2020 ; en 2021, on en comptait 113 ; au 14 novembre 2022, nous en étions déjà au bien triste chiffre de 118 féminicides, ce qui représente une hausse de 16 % par rapport à 2020. Cet échec des politiques publiques démontre la nécessité d'aller plus loin dans les dispositifs et les moyens de lutte contre les violences intrafamiliales. J'en profite pour rappeler que la solution ne peut pas être pensée uniquement sous l'angle de la justice et de la répression. La prévention et l'éducation sont des leviers bien plus puissants et efficaces à long terme. Il faudrait donc consacrer aussi des moyens à l'éducation contre les violences intrafamiliales.

Sur un sujet aussi important que celui-ci, on doit se donner tous les moyens de réussir. Il faut explorer ce qui n'a pas encore été tenté chez nous mais a porté ses fruits ailleurs. La création de juridictions spécialisées voire, mieux, de pôles spécialisés dans les violences intrafamiliales nous semble, à ce titre, une piste intéressante. Cette mesure, qui répond à la demande des associations de victimes, s'inspire de l'expérience espagnole : la création d'un tribunal spécifique, parmi d'autres mesures, a permis de faire baisser le nombre de féminicides de 25 % dans ce pays. En France, la création d'un pôle spécialisé au sein de chaque tribunal judiciaire enverrait un message fort à toutes les victimes. Cette nouvelle organisation judiciaire pourrait permettre un accompagnement spécifique, une réduction des inégalités territoriales, une baisse des délais de jugement et une reconnaissance à la hauteur des enjeux.

Les attentes sont fortes, et la cause est trop importante pour qu'on puisse manquer d'ambition. Cependant, à l'heure où les magistrats, greffiers et avocats se mobilisent à travers tout le pays pour dénoncer leurs conditions de travail, leur souffrance et la dégradation du service public de la justice, il faut rappeler qu'ils ne pourront pas faire davantage avec moins de moyens. La création de juridictions spécialisées est une réforme exigeante qui nécessiterait de renforcer la formation de tous les professionnels de justice et d'allouer des moyens supplémentaires dans tous les tribunaux. La lutte contre les violences intrafamiliales ne se décrète pas, elle demande des actes et des moyens.

Il existe déjà des audiences dédiées aux violences intrafamiliales dans plusieurs juridictions. C'est notamment le cas chez moi, à La Réunion, où le nombre de violences intrafamiliales est supérieur à la moyenne nationale. La prégnance de ce phénomène dans les infractions, l'implication sans faille des magistrats et l'excellent travail partenarial qui est mené laissent penser que nos juridictions sont déjà, tristement, presque spécialisées. Je tiens à souligner l'urgence d'agir dans les territoires ultramarins. En 2021, 8 % des femmes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint dans toute la France l'ont été dans ces territoires, alors que seuls 4 % de la population y vit.

Remplacer, à moyens constants, les audiences dédiées par des tribunaux spécialisés ne pourra suffire. Changer le nom d'une juridiction dans l'en-tête des décisions de justice ne peut en soi être satisfaisant. Si l'idée de créer des juridictions spécialisées dans la lutte contre les violences intrafamiliales semble aller dans le bon sens, vous comprendrez aisément notre inquiétude quant au contenu de cette réforme et, surtout, aux moyens alloués à sa mise en œuvre. Les débats au sein de la commission nous éclaireront, je l'espère, ainsi que les 260 000 victimes de violences intrafamiliales, chaque année, sur ces nombreuses questions en suspens.

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