Intervention de Jean Terlier

Réunion du mercredi 23 novembre 2022 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Terlier :

La proposition de loi pèche à bien des égards.

Manœuvre d'affichage en période électorale et, plus sûrement, énième tentative de stigmatiser l'institution judiciaire, elle pointe le prétendu laxisme des juges administratifs et caricature leur inefficacité à statuer sur l'expulsion des délinquants étrangers.

N'est-ce pas un tract de campagne faisant de la création d'une juridiction spécialisée dans l'expulsion des étrangers délinquants le remède miracle dans la lutte contre le terrorisme ? Il s'agit, mes chers collègues, d'un miroir aux alouettes, version Les Républicains ultra-droite.

La cour de sûreté de la République que vous appelez de vos vœux serait constitué de cinq membres du Conseil d'État nommés pour cinq ans. Elle serait seule compétente pour juger de l'ensemble des recours contre les arrêtés ministériels et préfectoraux d'expulsion ainsi que pour statuer en référé. Le Conseil d'État serait saisi directement des recours formés contre les décisions de cette juridiction.

Sous couvert d'une justice plus rapide et plus efficace dans le traitement des expulsions des étrangers délinquants, vous entendez créer un tribunal d'exception, sorte de Guantanamo à la française.

Le dispositif n'apporte aucune plus-value à la procédure administrative d'expulsion actuelle. Il est nul et non avenu, tant sur la forme que sur le fond.

D'abord, le choix de remplacer les juges administratifs appelés à se prononcer sur la légalité des arrêtés d'expulsion par une cour de sûreté de la République est dangereux. Il laisse à penser que les juges du fond ne feraient pas correctement leur travail, qu'ils se laisseraient « distraire de l'essentiel », écrivez-vous. En mettant en cause de manière mensongère l'impartialité et le professionnalisme des juges, vous alimentez encore un peu plus le « justice bashing » qui fait le lit des populismes.

Or, dans notre État de droit, le juge administratif contrôle le respect par l'administration des règles de légalité externe et interne. Ce contrôle exigeant ne mérite pas d'être battu en brèche au détour de votre proposition de loi.

Ensuite, les bénéfices qui pourraient être tirés d'une telle juridiction sont absolument inexistants. La suppression du double degré de juridiction n'est en rien opportune. En effet, il n'est pas utile de rappeler que l'expulsion d'un étranger est ordonnée lorsqu'il constitue une menace grave à l'ordre public, en cas de nécessité impérieuse pour la sûreté de l'État ou la sécurité publique, en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'État. La décision d'expulsion est immédiate, même si un recours est déposé dès la sortie de prison ou avec un placement en centre de rétention administrative (CRA) pendant l'organisation du retour ; elle est également différée avec assignation à résidence. Le recours contre la décision d'expulsion n'empêche pas l'expulsion d'être exécutée. La suppression de l'appel ne permet nullement de rendre plus efficace la procédure d'expulsion.

Enfin, permettez-moi de m'offusquer de la référence explicite à la cour de sûreté de l'État, juridiction d'exception qui avait été créée pendant la guerre d'Algérie pour statuer sur les crimes et délits politiques.

Parce qu'elle jette le discrédit sur l'institution judiciaire, en particulier sur les juges administratifs, mais aussi parce qu'elle n'améliore pas l'efficacité de la procédure d'expulsion des délinquants étrangers, le groupe Renaissance votera contre la proposition de loi.

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