Intervention de Andy Kerbrat

Réunion du mercredi 23 novembre 2022 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndy Kerbrat :

Surenchère médiatique, inefficacité manifeste et clientélisme menaçant. Comme le disait l'avocat Éric Dupond-Moretti, pour chaque situation exceptionnelle, une loi, une juridiction d'exception. Voilà votre réponse aux faits divers des dernières semaines !

Vous auriez pu, comme notre collègue Aurélien Pradié, travailler votre sujet, mais le Congrès des Républicains vaut bien la démagogie, même ici dans notre commission.

Vous êtes plus ferme que la majorité et moins que le Front national, alors méfiez-vous, les gens préfèrent l'original à la mauvaise copie.

Vous faites un amalgame abject entre étrangers et délinquance dans votre exposé des motifs. Vous n'hésitez pas à associer, d'une manière simpliste, étrangers et terrorisme, sous prétexte que la plupart des attentats seraient commis par des ressortissants étrangers. Or, non, monsieur le rapporteur et mes collègues du Rassemblement national, les chiffres du ministère de l'intérieur, au 28 avril 2021, indiquent que 61 % des attentats ont été commis par des Français.

Vous êtes prompts à vous insurger contre certaines juridictions d'exception – le Parquet national financier – mais vous vous voulez en créer une nouvelle pour les étrangers.

Vous prenez le cas de l'imam Iquioussen, imam sexiste, homophobe et intolérant comme tous les fanatiques de toutes les religions, poursuivi par le ministre de l'intérieur jusqu'en Belgique, malgré un déjeuner entre eux électoralement gratifiant pour ce dernier. Pourquoi cet imam n'a-t-il jamais été condamné ? Pourquoi ses propos abjects n'ont-ils pas donné lieu à un rappel à la loi ? Je vous soupçonne de vouloir rétablir les lettres de cachet et les condamnations sans juge. Vous détournez l'affaire en évoquant la difficulté d'expulsion, après que le juge administratif a suspendu l'arrêté d'expulsion, décision annulée ensuite par le Conseil d'État. Or, telle est bien la procédure prévue par notre droit. Peut-être souhaitez-vous, cher collègue, nous débarrasser des voies et délais de recours, ainsi que de nos juridictions héritées de la longue marche vers la protection des libertés et la consolidation de l'État de droit ?

Vous faites référence à la cour de sûreté de l'État, instaurée par le général de Gaulle dans le contexte particulier de la guerre d'Algérie pour lutter efficacement contre les militaires putschistes et l'organisation d'armées secrètes. Vous singez le général, mais vous jouez au père Le Pen. Vous proposez la création d'une juridiction d'exception qui entérine une inégalité de droits entre les Français et les étrangers. En quoi un terroriste français fait-il plus ou moins mal qu'un terroriste étranger ? Notre droit prévoit déjà des mesures d'éloignement contre les ressortissants étrangers qui menaceraient l'ordre public. Ce qui vous agace, c'est que les intéressés peuvent déposer des recours et des référés suspension devant le juge administratif, comme tous les Français quand ils font l'objet d'une décision administrative. Vous jugez cela trop complexe et trop lent.

Si vous vouliez de la rapidité, vous auriez dû voter nos amendements visant à doter la justice de moyens humains et matériels supplémentaires, mais vous avez préféré les caricatures et les incantations. C'est pourtant de votre faute si la justice est démunie. Quand vous étiez aux responsabilités entre 2007 à 2012, vous avez clochardisé le service public de la justice – c'est le monde judiciaire qui le dit.

Nous n'avons pas besoin d'une loi créant une juridiction spécialisée pour traquer les étrangers, une loi de la surenchère médiatique destinée à alimenter les débats de comptoirs et peut-être les congrès.

Avec cette proposition de loi, aussi étonnante qu'inutile, vous vous situez, cher collègue de droite, entre la catapulte de Mme Le Pen et le charter de M. Darmanin. Nous voterons donc contre. Nous ne sommes pas ici au Congrès des Républicains.

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