Intervention de Jean-Christophe Combe

Réunion du mardi 6 décembre 2022 à 17h30
Délégation aux droits des enfants

Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées :

Je suis ravi d'être avec vous cet après-midi et d'être auditionné par votre délégation, qui, malgré son installation récente, a déjà beaucoup travaillé, signe de l'importance qu'accorde l'Assemblée nationale aux sujets relatifs à l'enfance ; vous vous doutez qu'en tant que ministre des solidarités chargé de la petite enfance et des familles, je ne peux que m'en réjouir.

Les travaux de la délégation aux droits des enfants mettent un coup de projecteur systématique sur l'enfance et portent sur des domaines qui relèvent en grande partie de mon portefeuille ministériel. Je pense à l'accueil du jeune enfant et à ses répercussions sur les questions du plein emploi, de l'égalité entre les femmes et les hommes, de l'accroissement du soutien aux familles monoparentales et de la lutte contre les inégalités de destin. Autre politique au croisement de mon ministère et de votre délégation, celle des 1 000 premiers jours de l'enfant, engagée par Adrien Taquet, alors secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles, lors de la précédente législature, sera poursuivie – j'y reviendrai. Je répondrai également à votre question sur les métiers de la petite enfance, si importants pour l'emploi comme pour les services qu'ils assurent. Enfin, j'aborderai le sujet de la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, lesquelles touchent encore trop d'enfants, ce qui appelle des actions spécifiques de la part des pouvoirs publics.

La création d'un service public de la petite enfance constitue une priorité de la feuille de route que m'ont confiée le Président de la République et la Première ministre. L'accueil du jeune enfant représente en effet la première préoccupation des parents. Ce sujet se situe au carrefour du soutien à la natalité, du retour au travail et de la lutte contre les inégalités entre les hommes et les femmes. Le constat est connu, il manquerait actuellement 200 000 places d'accueil dans notre pays pour répondre aux demandes et aux besoins exprimés par les familles. Ce sont 160 000 personnes, essentiellement des femmes, qui renoncent à un emploi faute de pouvoir trouver un mode de garde de leur enfant.

Des mesures ont déjà été prises, notamment à la sortie de la crise sanitaire, avec la mobilisation de plus de 200 millions d'euros pour un plan visant à augmenter le nombre de places en crèche ; plus récemment, le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2023 réforme le complément de libre choix du mode de garde (CMG), dans le but de rendre le recours à un assistant maternel aussi accessible qu'une place en crèche. Cette évolution est indispensable car des familles, surtout modestes, sont actuellement privées de tout mode d'accueil de leur enfant. Il faut savoir que seuls 5 % des enfants des familles les plus modestes sont accueillis par un assistant maternel contre 46 % des enfants des familles aisées, sans que l'accès à l'accueil collectif soit toujours assuré. Le CMG sera étendu aux enfants âgés de 6 à 12 ans et vivant dans une famille monoparentale. Enfin, le partage du CMG dans les cas de garde alternée sera facilité.

Cette réforme en appelle d'autres pour atteindre l'objectif d'assurer une offre d'accueil du jeune enfant sécurisée, accessible à tous financièrement, suffisante quantitativement et de qualité. Telle est l'ambition du service public de la petite enfance. À l'occasion du CIE du 21 novembre dernier, j'ai annoncé le lancement d'une grande concertation, qui se tiendra dans le cadre du Conseil national de la refondation (CNR) et dont le but sera de recueillir, de façon très ouverte et très large, les observations et les idées de l'ensemble des parties prenantes – parents, professionnels et collectivités territoriales. Je conduis moi-même cette concertation nationale, qui s'est ouverte dès le mercredi 23 novembre, qui se poursuivra demain matin avec un CNR « Petite enfance » et qui se conclura avec un autre CNR au printemps 2023. Ensuite, nous instaurerons un nouveau fonds d'innovation pour la petite enfance, doté de 10 millions d'euros, qui visera à financer des initiatives locales exemplaires, préfigurant ainsi le service public de la petite enfance. L'ensemble des acteurs fixeront les modalités de déploiement du dispositif. Les Françaises et les Français pourront contribuer directement à cette concertation en remplissant le questionnaire dédié, accessible sur le site du CNR.

La création du service public de la petite enfance nécessite un travail important sur l'attractivité des métiers de la petite enfance, secteur qui ne fait malheureusement pas figure d'exception dans le paysage social et médico-social : la pénurie de professionnels, criante, est estimée, selon un rapport que m'a remis la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) cet été, à 10 000 personnes dans les crèches. Répondre à ce problème est devenu urgent, et j'ai d'ailleurs réuni le 11 juillet, une semaine à peine après ma nomination, le comité de filière « petite enfance » pour valider plusieurs propositions et débloquer 2,5 millions d'euros, en vue d'améliorer la qualité de vie au travail et d'organiser une campagne de valorisation et de promotion de ces métiers. Le 22 septembre, à l'occasion d'un nouveau comité de filière, j'ai annoncé que le Gouvernement était prêt à accompagner financièrement les revalorisations salariales dans le secteur, pour autant que les partenaires sociaux se réunissent, négocient et respectent le cahier des charges que je leur ai transmis. Les représentants des professionnels m'ont répondu, le 27 octobre, qu'ils acceptaient d'engager une discussion sur la base que je leur ai fixée. L'État facilitera ces discussions après avoir déjà accompagné par deux fois cette année les employeurs pour faire face aux effets de l'inflation, en débloquant près de 100 millions d'euros. Il reste évidemment beaucoup à faire, et vous aurez un rôle important à jouer, vous qui êtes interpellés dans vos circonscriptions par les parents et par les professionnels du secteur sur les difficultés qu'ils peuvent rencontrer.

Je tiens à revenir sur deux sujets qui vous ont sans doute beaucoup occupé depuis cet été. Le premier a trait à la polémique ayant entouré un arrêté que j'ai signé au mois de juillet et qui vise à préciser le cadre du recours à des professionnels non qualifiés dans les crèches. Cet arrêté ne tend pas à faciliter leur embauche, mais, au contraire, à encadrer l'utilisation, qui pourrait être excessive en ces temps de pénurie de candidats, d'une dérogation vieille d'une vingtaine d'années permettant d'embaucher des personnels non qualifiés. Il pose ainsi deux conditions supplémentaires à l'activation de cette dérogation : justifier de l'urgence de la situation et assurer la formation des personnes retenues, à raison de 120 heures au moment de leur intégration et d'un autre cycle obligatoire dans l'année qui suit l'embauche. Le second concerne le contrôle des antécédents judiciaires, question à laquelle vous êtes sensibles. L'arrêté qui a supprimé l'agrément des assistants maternels a suscité des interrogations, mais, dans les faits, rien ne change, la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants ayant même renforcé l'obligation de contrôle des antécédents judiciaires. Il n'y a donc aucun vide juridique : pour travailler dans le secteur de la petite enfance, il faut soumettre son fichier judiciaire à une vérification. La formulation de l'arrêté supprimé contrevenait au code de procédure pénale, donc le pouvoir réglementaire se devait d'agir. Je prendrai, dans les prochains jours, un nouvel arrêté, sans que, bien évidemment, la loi cesse de s'appliquer dans l'intervalle.

La création du service public de la petite enfance s'inscrit dans les pas de la politique des 1 000 premiers jours ; nous avons rappelé à de multiples reprises notre attachement à cette dernière, lancée par le précédent gouvernement, dont la finalité est double : encourager la natalité et améliorer l'accueil des enfants en aidant davantage tous les parents. La politique des 1 000 premiers jours s'articule autour de trois priorités : accompagnement de la naissance, congés de naissance et modes d'accueil des enfants. Des jalons extrêmement forts ont déjà été posés avec le doublement du congé paternité assorti de l'introduction d'une partie obligatoire, le renforcement des examens prénataux et postnataux, et la lutte contre la dépression postpartum. Le service public de la petite enfance fait partie intégrante de la politique des 1 000 premiers jours et vise à la parachever.

Je suis par ailleurs chargé de l'élaboration d'un pacte des solidarités, qui approfondira la dynamique des 1 000 premiers jours, avec notamment le déploiement d'un dispositif de distribution de produits alimentaires pour les plus jeunes enfants dans le cadre de l'opération « urgence premiers pas », elle-même engagée par mon prédécesseur.

Nous portons une attention constante à la situation des familles monoparentales, dont le nombre n'a cessé d'augmenter au cours des trente dernières années jusqu'à représenter aujourd'hui un quart des familles. Ces dernières sont particulièrement exposées à la précarité puisque 41 % des enfants qui y vivent sont pauvres, contre 21 % pour l'ensemble des enfants. Le parent isolé étant dans 80 % des cas une femme, l'enjeu en matière d'égalité entre les femmes et les hommes est considérable. Là aussi, beaucoup a été fait. Comme plus d'un tiers des pensions alimentaires étaient partiellement ou irrégulièrement payées, nous avons instauré, depuis janvier 2021, un service public des pensions alimentaires pour prévenir les impayés. Les pensions, à la demande des parents séparés, sont désormais versées aux caisses d'allocations familiales (CAF) qui les reversent au parent bénéficiaire ; à partir du 1er janvier 2023, ce dispositif sera automatique pour toutes les séparations, sauf opposition des deux parents. Nous avons également augmenté de 30 % les aides à la garde individuelle d'enfant et encouragé le développement des crèches à vocation d'insertion professionnelle. D'autres actions ont été récemment mises en œuvre, je pense à la hausse de 50 % de l'allocation de soutien familial (ASF), annoncée cet automne ; l'ASF, qui représente 20 % du revenu des parents isolés qui la perçoivent, passe ainsi de 123 euros par mois et par enfant à 185 euros. Cette augmentation fera reculer de plus de deux points le taux de pauvreté des familles monoparentales.

Nous sommes pleinement engagés dans la lutte contre la pauvreté des enfants. Le Président de la République avait choisi, lors de son premier quinquennat, de faire de cette lutte l'axe principal de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, afin de combattre les inégalités de destin et la reproduction sociale de la pauvreté. Plusieurs mesures ont décliné cette orientation : dédoublement des classes de CP et de CE1 dans les zones d'éducation prioritaire, bonus favorisant la mixité sociale dans les établissements d'accueil du jeune enfant – dispositif géré par la Cnaf –, déploiement des cités éducatives, tarification sociale des cantines et petit déjeuner gratuit. Dans le nouveau pacte des solidarités, actuellement en phase de concertation avec les acteurs du secteur, nous souhaitons conserver cette priorité afin de prévenir notamment les inégalités sociales de santé qui se forment dès l'enfance et dont les conséquences sont très lourdes tout au long de la vie. Nous pourrions élaborer des actions dans les domaines de la santé mentale, de la santé nutritionnelle, du repérage des troubles du neurodéveloppement (TND) et de l'accès à l'offre de consultations. Il faut également prévenir le décrochage scolaire pour que l'école assure pleinement son rôle de levier en faveur de l'égalité des chances. Mon collègue Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, accorde une attention particulière à ce sujet. Il convient d'agir de façon coordonnée tout au long du parcours des enfants et des jeunes, et de garantir l'accès à des temps libres favorisant l'épanouissement des enfants. Toutes ces mesures feront partie du premier axe du pacte des solidarités, qui reprendra les orientations de la précédente stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté. Trois autres axes compléteront le plan : l'inclusion dans l'emploi, qui reste une priorité ; la prévention du basculement dans la pauvreté et dans la grande exclusion ; la dimension solidaire de la transition écologique.

La phase nationale de la consultation sur le service public de la petite enfance s'achèvera demain ; lui succédera une phase territoriale, placée sous la responsabilité de la présidente du comité de filière « petite enfance », Élisabeth Laithier, qui se rendra dans une dizaine de départements pour écouter l'ensemble des parties prenantes.

Le PLFSS pour 2023 consacre des moyens importants à la prise en charge des enfants en situation de handicap et des enfants autistes : l'objectif global de dépenses (OGD) de la branche autonomie augmente de 5,2 %, ce qui nous permettra de respecter les engagements pris lors de la dernière Conférence nationale du handicap (CNH). La préparation de la future CNH, qui se tiendra au début de l'année 2023, est l'occasion de remettre ces questions sur la table. La Première ministre a annoncé un second acte de l'école inclusive pour les enfants en situation de handicap, dans lequel nous favoriserons le rapprochement entre le secteur médico-social et l'éducation nationale. Nous souhaitons prolonger l'ambition de la première stratégie nationale autisme et troubles du neurodéveloppement : le PLFSS pour 2023 alloue 65 millions d'euros au maintien de cette stratégie, le temps de la renouveler. Nous souhaitons par ailleurs poursuivre l'implantation d'unités d'enseignement externalisées polyhandicap (UEEP), après la création de douze nouvelles unités à la dernière rentrée scolaire.

Nous avons réduit, dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2023, les crédits de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances affectés aux petits déjeuners gratuits, car toutes les communes ne souhaitaient pas s'en emparer, pour des raisons très variées. Néanmoins, là où le dispositif fonctionne, notamment dans des zones d'éducation prioritaire ou dans les territoires d'outre-mer où il est très répandu, nous continuerons à le financer, mais je n'ai pas l'intention de relancer une dynamique pour les petits déjeuners gratuits à l'école.

En revanche, nous souhaitons fortement développer la cantine à 1 euro, en incitant les communes à pratiquer des tarifications sociales pour que les enfants issus des familles les plus modestes aient largement accès à la cantine. Le PLFSS pour 2023 consacre 7 millions d'euros à ce dispositif ; nous verrons, dans le cadre du pacte des solidarités, s'il convient d'aller plus loin à l'avenir. Nous tenons à cette mesure car le repas à la cantine est pour beaucoup de ces enfants le seul de la journée qui soit équilibré et de qualité. Certaines communes ayant dévoyé la mesure en l'ouvrant à toutes les familles, nous avons demandé que seuls les foyers dont le quotient familial est inférieur à 1 000 euros y soient éligibles à partir du 1er août 2022, afin de garantir l'esprit social du dispositif.

En avril 2022, Adrien Taquet, alors secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles, avait saisi Élisabeth Laithier sur la question du soutien à la parentalité. La présidente du comité de filière « petite enfance » a auditionné plus de trente acteurs de ce domaine et remettra son travail dans les semaines qui viennent. Il en va de même du rapport confié à Anne Raynaud, psychiatre et fondatrice de l'Institut de la parentalité, et à Charles Ingles, psychologue clinicien et responsable de la politique de la parentalité de la CAF de Gironde, portant sur la définition, fondée sur des données quantitatives et qualitatives, du socle de compétences en matière de soutien à la parentalité. Éclairés par ces rapports, nous statuerons sur l'opportunité de créer un comité de filière dédié au soutien à la parentalité, et nous redéfinirons notre ambition et notre stratégie dans ce domaine.

Le comité de filière « petite enfance » poursuit l'objectif d'augmenter l'attractivité du secteur. J'ai rappelé les mesures déjà prises sur la qualité de vie au travail et sur la valorisation des métiers – le regard que l'on porte sur eux est, à ce titre, extrêmement important. Des négociations sont conduites pour revaloriser les salaires des professionnels, et le comité élabore des actions en matière de formation et de parcours professionnels qui contribuent à l'attractivité des métiers. Plus largement, nous menons un travail interministériel, à la demande de la Première ministre, visant à élaborer un plan global pour les métiers du soin, du lien et de l'accompagnement, dans l'objectif de répondre rapidement aux problèmes actuels. Nous nous inscrivons dans la continuité du Ségur de la santé et nous souhaitons insuffler une dynamique positive pour rendre attractifs ces métiers qui, aujourd'hui, ne le sont pas.

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