Intervention de Jean-Dominique Giuliani

Réunion du mercredi 16 novembre 2022 à 13h45
Commission des affaires européennes

Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert Schuman :

La stabilité du continent européen est extrêmement fragile. Notre continent, nous l'oublions parfois, est traversé d'histoires différentes, de ressentiments ethniques et d'intérêts économiques divergents. Tout ceci, avec la guerre en Ukraine, pose des problèmes nouveaux et relance une déstabilisation voire une tendance à la renationalisation, comme on le voit partout ailleurs dans le monde. L'initiative de la CPE, lancée dans le scepticisme général, a toutefois été un succès : tous les États, tous les invités sont venus. Cela témoigne d'un besoin.

Je ferai trois observations rapides, qui vont recouper certaines des observations faites par M. l'Ambassadeur Vimont : ce que ne doit pas être la CPE ; ce qu'elle est ; les conditions de son succès.

La CPE ne doit pas être une alternative à l'adhésion. Nous avons un problème d'adhésion, tel que nous le voyons dans les Balkans. Nous devons, par conséquent, renouveler l'offre aux pays candidats. La CPE ne doit pas être ni l'Union européenne ni même le Conseil de l'Europe. L'Union européenne est une organisation destinée à intégrer le continent européen et le Conseil de l'Europe doit rester l'Europe du droit. Nous n'avons pas besoin d'une organisation internationale de plus en Europe. J'essayerais plutôt de dire ce qu'est la CPE aujourd'hui. Le grand atout de la réunion de Prague a été de créer, pour un instant, un espace de dialogue direct et de rencontre entre les chefs d'État et de gouvernement. Cet espace a manifestement été jugé utile et bienvenu. Les résultats sont certes modestes, mais peuvent prospérer à l'avenir. Le Président Macron a pu réunir l'Arménie et l'Azerbaïdjan. L'Union européenne a envoyé une mission civile à la frontière entre ces deux États. Le Président de la République a pu rencontrer l'ancienne Première ministre britannique et, de ce fait, a pu relancer une relation bilatérale franco-britannique avec son successeur.

Par ailleurs, un incident a eu lieu entre la Grèce et la Turquie, puisque le Premier ministre grec a quitté la séance. La CPE a au moins été un lieu où la Grèce et la Turquie ont pu exprimer leur opposition, ce qui est mieux que de le faire à travers les médias ou en faisant circuler des avions et des bateaux entres les îles grecques. Enfin, les relations entre la Serbie et le Kosovo, auxquelles travaille beaucoup l'Union européenne, ne bénéficient pas d'autres lieux de rencontre – sauf, peut-être, à Bruxelles. Ce cadre de coopération et de dialogue m'a paru extrêmement utile et bienvenu. Les chefs d'État et de gouvernement ont fait, me semble-t-il, la même analyse. S'agissant des conditions du succès de la CPE, il convient certainement d'éviter l'institutionnalisation. Nous aurions tort de répondre aux attaques contre le droit international par la multiplication des institutions. Ce que Pierre Vimont a appelé la « bureaucratisation » est effectivement un risque. Je crois savoir que la Conseil de l'Europe souhaiterait, par exemple, assurer le secrétariat de la CPE – il s'agit d'un grand danger.

Le Président Macron a défini la CPE comme un espace dans lequel nous pouvions créer une « intimité stratégique » entre les États. C'est une bonne définition, que le président Giscard d'Estaing avait d'ailleurs utilisé au sujet de l'intimité entre la France et l'Allemagne. Pour ma part, je considère que l'absence de siège et de secrétariat est le gage d'une continuité certaine. La manière dont a été organisée la réunion est intéressante, avec des tables rondes thématiques. Le fait que les ennemis puissent se rencontrer en bilatéral, sans se retrouver d'emblée à la même table, est une bonne formule. J'ai toutefois trouvé les thèmes un peu généraux. Il convient donc d'éviter l'institutionnalisation, en préservant le mode de fonctionnement « disruptif » et créatif des rencontres. Il s'agit de permettre aux responsables étatiques de se rencontrer en toute confiance, sur un pied d'égalité. Le fait de mettre sur la table toute une série de problématiques, pour lesquelles il peut y avoir des coopérations intergouvernementales, bilatérales ou multilatérales, est une bonne idée. Le contenu de la CPE doit rester à la carte, en jetant les cartes sur la table pour que chacun prenne ce qui l'intéresse. Parmi les sujets consensuels, la sécurité au sens large est prioritaire et facilement exploitable dans le cadre de la CPE. Je suggérerais de commencer par des sujets très consensuels, tels que la lutte contre la grande criminalité, la criminalité transfrontière, les trafics de drogues et d'êtres humains. Les sujets mis sur la table par la France, tels que l'énergie, le climat, l'éducation et la jeunesse, me paraissent tout à fait opportuns. Je ne crois toutefois pas qu'il faille viser un accord de l'ensemble des gouvernements participants aux futures réunions de la CPE. La prochaine réunion aura lieu en Moldavie, qu'il faudra beaucoup aider – la France y contribue déjà. Il faudrait conserver ce caractère informel, qui me paraît éviter beaucoup d'inconvénients, y compris celui de nos amis américains et de nos rivaux russes. En conséquence, ce contenu à la carte, avec un mode de fonctionnement léger et parfois difficile à maintenir, est une bonne idée qui permettrait d'assurer le succès de ces rencontres. Les chefs d'État et de gouvernement ont voté avec leurs pieds en étant présents à la réunion. En quelque sorte, la présidence française a réussi ce que le Président Mitterrand avait voulu anticiper – ce qui était trop tôt à l'époque.

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