Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du mercredi 11 janvier 2023 à 15h05
Commission des affaires sociales

Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes :

Je plaide effectivement pour une Cour des comptes originale et espiègle. Ce rapport est certainement original et inédit, mais pas nécessairement espiègle, sans doute parce que le sujet s'y prête assez mal.

Plusieurs questions portent sur les différents comités créés à l'occasion de la crise. J'y perçois, en corollaire, la problématique générale des relations entre science et décision politique. Autant il n'est pas tolérable que les scientifiques dirigent à la place des politiques, autant une bonne décision politique ne peut être prise, surtout dans de tels domaines, sans s'appuyer sur des connaissances scientifiques solides. Rappelons qu'il s'agit d'une crise inédite et que nous avons avancé chemin faisant, face à des défis auxquels personne n'avait jusqu'ici été confronté, avec à la fois des institutions qui existaient déjà – la HAS – et des institutions ad hoc – le Conseil scientifique auquel a depuis succédé le Comité de veille et d'anticipation des risques sanitaires (Covars). De ce point de vue, nous ne préconisons pas la création de nouveaux comités. Nous pensons d'abord nécessaire de faire jouer son rôle au Covars et de renforcer le rôle de la HAS, pilier de cette relation entre science et politique, qui doit pouvoir exercer la totalité de ses prérogatives.

Nous n'avons pas regardé de près le reste à charge pour les collectivités locales. Le ministère ne l'a pas non plus évalué. Nous savons toutefois que le coût de fonctionnement des centres a été établi à près de 400 millions d'euros.

Contrairement à ce que j'ai entendu, le rapport de la Cour ne vise pas à donner un satisfecit à une instance politique. J'espère néanmoins que ces propos ne visaient pas non plus à refuser ce satisfecit. Nous devons mesurer ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Mettre en avant les résultats de cette campagne est dans l'intérêt commun.

Je m'écarterai quelque peu du rapport pour approfondir le sujet de la mutualisation par l'Union européenne. Elle a permis d'éviter ce qui eût été un dégât considérable, la concurrence entre États européens pour l'achat des vaccins, qui se serait avérée destructrice en termes de coûts, de prix et de couverture. Globalement, la France affiche une performance plutôt au-dessus de la moyenne. Dans le même temps, l'Union européenne enregistre une performance très supérieure à d'autres régions du globe, qui se traduit par une moindre perte d'espérance de vie. De ce point de vue, on peut considérer qu'il y a trop d'Europe ou pas assez. Au risque de sortir de mon rôle et sur la base de mes précédentes expériences, je pense la mutualisation plutôt une bonne décision. En revanche, il est exact que l'Europe n'a pas adopté de politique comparable à l'opération Warp Speed, qui a offert aux États-Unis de déployer rapidement des vaccins. À cet égard, l'absence de vaccin français doit interpeller pour le pays de Pasteur. Cela implique de créer une politique de santé européenne, même si ces propos n'engagent que moi.

Par ailleurs, cela renvoie à des questions nationales pas directement liées à la stratégie de vaccination, mais plutôt au fonctionnement de notre politique d'innovation et de recherche, sur lequel la Cour a produit d'autres rapports. Dans ce domaine, nous avons eu l'occasion de souligner que l'absence de vaccin français n'était, hélas, pas un hasard total. L'insuffisance des crédits en matière de recherche et d'innovation, la dispersion des financements, ne constituent pas une bonne politique publique. Il est regrettable que notre pays soit le seul, parmi les grands États occidentaux, à ne pas avoir été capable de produire un vaccin. Nous devons en tirer des conséquences, non pas au titre de la campagne de vaccination, mais de notre système d'innovation et de recherche. Si l'on doit investir dans un domaine dans notre pays, c'est celui-ci.

La division par sept du budget de vaccination, alors que la pandémie continue, est également source d'interrogations. Il existe une possibilité de sous-estimation pour l'exercice 2023, que la Cour a eu l'occasion de souligner et critiquer lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, et que le Haut Conseil des finances publiques – que je préside également – a aussi relevée. C'est l'un des facteurs qui pourrait expliquer un certain nombre de dépassements en matière de finances publiques. Actuellement, la situation demeure maîtrisée puisque la maladie semble en sourdine. En revanche, en cas d'éventuel nouveau variant, il aurait été plus prudent de prévoir une enveloppe budgétaire plus importante. Dans le sens inverse, il reste encore des stocks de vaccins de 2022. Ce dossier devra être suivi de manière étroite et sérieuse.

Au sujet des cabinets de conseil, nous avons exploré, dans d'autres rapports, ce qu'ils avaient pu faire ou ne pas faire. Je vous invite donc à faire preuve de patience. Suite à ma prise de fonction, j'ai lancé une plateforme citoyenne qui a recueilli un certain nombre de propositions. Six rapports d'initiative citoyenne ont été élaborés, dont un rapport d'ensemble sur les recours aux cabinets de conseil privés dans l'administration. Il devrait être disponible à la fin du premier semestre, et j'aurai alors l'occasion de revenir devant vous. Je rappelle que la Cour fut la première, en 2014, à lever ce lièvre. Depuis, les dépenses consacrées aux cabinets privés ont quasiment décuplé. Nous avons souhaité revenir sur ce sujet pour y apporter un regard aussi objectif que possible, sachant la question passionnelle et importante. Nous n'avons nullement l'intention de cacher quoi que ce soit, mais bien d'adopter une approche globale.

Nous devons impérativement tirer les leçons de cette crise en perspective de prochaines épidémies. La délégation de tâches des médecins vers d'autres professionnels de santé s'avère indispensable, tout comme la stratégie « d'aller-vers » à l'égard des personnes âgées à domicile. Comme mentionné tout à l'heure, ce sont assurément les plus vulnérables qui doivent être pris en compte. Je citais les personnes âgées, les résidents d'Ehpad, les personnes atteintes de maladies handicapantes. Cela suppose d'adopter une stratégie forte de prévention.

À propos de la délégation des tâches, il est impératif de convaincre les médecins de ville d'accepter que d'autres professions – pharmaciens, infirmiers – vaccinent ou puissent même exécuter, dans ce type de circonstances, des actes médicaux. Nous connaissons l'origine du blocage. Pour prévenir toute polémique, je m'abstiendrai de nommer les suspects habituels.

L'importance des centres communaux d'action sociale dans la politique d'« aller-vers » est tout à fait indéniable. Je pense également qu'ils doivent être davantage sollicités.

L'obligation vaccinale pour les soignants a été préconisée dans de précédents rapports de la Cour. Nous aurons l'occasion d'y revenir puisque je suis convaincu que ces recommandations devraient être mises en œuvre. Vous me permettrez néanmoins de rappeler que c'est le rôle du Parlement et du Gouvernement, non celui de la Cour.

S'agissant d'outre-mer, qui est une question en soi, j'évoquais le facteur global de la perte de confiance dans l'action publique, notamment chez les plus jeunes. Il s'agit toutefois d'un élément que nous n'avons pas traité.

Nous pouvons naturellement regretter qu'un vaccin français n'ait pas été développé. Cela dit, le vaccin élaboré par Sanofi/GSK a reçu une autorisation de mise sur le marché en novembre 2022. Il a uniquement été approuvé pour une vaccination de rappel des adultes, avec une efficacité comparable au vaccin Pfizer selon l'Agence européenne des médicaments. Le passage de commandes doit prendre en compte l'intérêt scientifique de ce vaccin, mais aussi les prévisions de stocks telles qu'elles résultent des livraisons déjà effectuées par d'autres fournisseurs.

Enfin, Doctolib a été un instrument de gestion des rendez-vous pour gérer au plus près les allocations de doses. Je ne veux pas avoir d'approche idéologique sur ce sujet. Le service public a joué un rôle déterminant dans le pilotage de cette opération ; le secteur privé a parfois tenu un rôle positif, notamment en matière de données. Nous ne nous sommes pas étendus sur Doctolib, mais nous parlons de CovidTracker, développé par le privé à partir de données publiques. Ce qui compte, c'est l'articulation entre public et privé, mais il est vrai que nous n'avons pas insisté sur ce sujet.

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