Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du mercredi 11 janvier 2023 à 15h05
Commission des affaires sociales

Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes :

Gardons-nous de toute uchronie. Il est facile de relire a posteriori une crise inédite qui nous a pétrifiés, nous a plongés dans un état de sidération et nous a mis dans une situation digne de la science-fiction. Le mois de mars 2020 restera, dans nos mémoires, quelque chose d'insensé. Regarder cette période avec les lunettes d'aujourd'hui s'avère finalement plus rassurant puisque nous avons justement enregistré tous ces progrès. Dans le fond, il n'est pas anormal d'avoir connu une période de tâtonnements, des échecs et des dysfonctionnements. Ce qui est regrettable, c'est le déficit d'anticipation. Nous devons tirer les leçons de ce qu'il s'est passé à ce moment et être capables, pour le futur, de mieux anticiper.

Nous devons aussi éviter tout excès d'optimisme. Il serait faux de croire que la crise est dernière nous. De nombreuses incertitudes subsistent et, même si les scientifiques se montrent plutôt rassurants, nous devons suivre de près la situation en Chine. De nouveaux variants perturbant l'immunité largement acquise, grâce à la vaccination, de la population française, ne sont pas impossibles. Évitons donc à la fois une lecture exagérément sévère du passé et tout excès d'optimisme pour le futur !

Comment développer davantage « l'aller-vers » ? Je pense que la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) s'est fortement mobilisée et qu'elle a acquis un savoir-faire qu'il conviendra de réutiliser à l'avenir.

Concernant l'échec de la vaccination des enfants, plusieurs raisons peuvent être avancées. D'abord, l'élargissement de la vaccination aux plus jeunes a été opéré longtemps après le début de la campagne pour le reste de la population, renforçant le sentiment que c'était moins urgent ou moins important. L'argument selon lequel la vaccination aurait empêché les contaminations aurait pu jouer, mais il a été fragilisé par Omicron, contagieux même pour les personnes vaccinées et donc aussi pour les enfants. La communication scientifique n'a pas été aussi tranchée et forte sur la vaccination des enfants qu'elle ne l'avait été sur d'autres tranches d'âge. Par ailleurs, la période d'éligibilité – début d'année 2022 – n'a pas été propice puisque nous assistions alors à la levée régulière des mesures restrictives, jusqu'à la fin du passe vaccinal en mars 2022. Enfin, la communication en début de crise, qui indiquait que les enfants étaient peu concernés, n'a pas contribué à ce que leurs parents se décident à les faire vacciner. C'est d'ailleurs un phénomène que nous retrouvons pour de nombreux autres vaccins, et je pense ici à la question de la vaccination obligatoire. Voici donc les quelques facteurs d'explication que nous avons pu mettre en avant.

Je conviens que nous devons mieux organiser « l'aller-vers ». Durant la crise, la diffusion des listes de pathologies de l'assurance maladie aux médecins a permis de multiplier les contacts avec les patients. Je pense que la place des infirmiers doit être fortement renforcée.

Il est encore trop tôt pour porter une appréciation sur le niveau des stocks de vaccins. C'est un sujet que la Cour sera sans doute amenée à examiner dans le futur, dans un ou deux ans maximum.

Pour ce qui est de l'accès des personnes vulnérables à la vaccination, pensons à la création d'une plateforme téléphonique, à l'intervention sur place des infirmiers. Je pense également que la remarque formulée à propos des personnes handicapées mériterait d'être approfondie. Nous n'avons pas instruit la question de la vaccination des personnes atteintes de troubles psychologiques, sujet également à creuser.

Les dysfonctionnements entre personnels médicaux et paramédicaux sont tout à fait avérés. C'est la raison pour laquelle j'ai insisté, précédemment, sur la nécessité d'une délégation d'acte élargie pour éviter ces zones de conflit.

Nous n'avons pas constaté de disparités majeures dans l'accès à la vaccination entre le milieu urbain et le milieu rural. Nonobstant quelques situations locales qui ont certainement montré le contraire, nous ne pouvons pas émettre un jugement global de cette nature, que ce soit pour la vaccination ou la mortalité. Notre rapport ne permet pas de le valider.

Jusqu'où aller dans l'utilisation des données de santé ? Une approche populationnelle est-elle possible en France ? En tout cas, nous pouvons clairement aller plus loin, dans le respect du règlement général sur la protection des données et de la Commission nationale de l'informatique et des libertés. Il s'agit d'un véritable sujet, plus large que la vaccination.

Nous n'avons pas exploré la question des femmes enceintes mais la remarque mériterait effectivement d'être retenue.

Pour la quatrième dose, nous devons probablement reconnaître des problèmes de communication. Au risque de sortir de mon rôle d'examinateur rétrospectif, je pense que la communication devrait clairement insister sur la nécessité de se vacciner en l'absence d'injection depuis plus de trois mois pour les plus de 80 ans et depuis plus de six mois pour les plus de 60 ans. D'une certaine manière, nous allons devoir vivre non pas avec une ou deux doses de rappel, mais avec des rappels constants. Nous devrons nous faire vacciner cinq, six ou sept fois. Ce sont bien des rappels réguliers qui seront nécessaires dans le futur.

Les principaux enjeux d'avenir sont bien sûr la préparation, l'anticipation, la construction de scénarii et l'identification préalable de viviers de ressources. Ces ressources existent et ont été mobilisées durant la crise, notamment les 128 000 professionnels de santé évoqués dans le rapport. Ne les perdons pas de vue. Identifions-les. Soyons prêts à les mobiliser rapidement si nous devions nous retrouver face à une situation de cette nature.

Voici, mesdames et messieurs les députés, les réponses que je pouvais formuler, sur la base du rapport, à vos observations, y compris pour celles portant sur des sujets que nous n'avons pas directement abordés. Nous ne prétendons jamais à l'exhaustivité mais nous écoutons toujours les avis des parlementaires, qui peuvent nous inspirer de futurs contrôles.

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