Intervention de Antoine Pellion

Réunion du mercredi 18 janvier 2023 à 17h30
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Antoine Pellion, Secrétaire Général à la Planification Écologique, Conseiller Énergie-transports à l'Élysée (2017-2019), Conseiller technique Énergie au ministère de l'Écologie (2014-2016) :

Je me propose de repartir sur des éléments qu'il me semble important de partager en matière de situation du pays sur les sujets de souveraineté énergétique, telle qu'on la vit aujourd'hui. Je reviendrai davantage au cours des questions sur les processus décisionnels, sur tel ou tel point que vous souhaiteriez pouvoir approfondir.

Le point d'entrée qui me semble le plus important est notre dépendance aux énergies fossiles, en particulier pour les carburants. La souveraineté énergétique consiste à disposer des leviers qui nous permettent de garantir le mieux possible l'atteinte de nos objectifs de sécurité d'approvisionnement, en ayant la liberté des dispositifs qui nous permettent de les atteindre. De ce fait, ils nous permettent de remplir nos objectifs de compétitivité ou environnementaux. Il est donc important de savoir si nous détenons les leviers de cette politique, sujet par sujet.

Force est de constater que les deux tiers de l'énergie que nous consommons sont d'origine fossile, notamment les carburants. Le premier point de préoccupation est à mon sens celui de notre dépendance aux importations de carburants de source fossile. Cet élément est l'un de ceux qui ont le plus de conséquences sur notre économie et notre société. Je pense bien sûr à la crise pétrolière des années 1970, ainsi qu'à des événements plus récents, qui ont montré à chaque fois l'extrême sensibilité que peut avoir ce sujet et son impact immédiat sur nos concitoyens, notamment sur leur pouvoir d'achat.

Nous n'avons pas en France de capacité de production d'hydrocarbures. Nous sommes donc totalement dépendants des importations. Le sujet est double. Le premier, récurrent et de long terme, est celui du prix : nous subissons des augmentations de prix au gré des marchés mondiaux de pétrole, ce qui a un impact très fort sur le prix à la pompe. Depuis la guerre en Ukraine se pose également l'enjeu des volumes, c'est-à-dire de la disponibilité des carburants, compte tenu notamment des sanctions émises à l'encontre de la Russie et donc des conséquences de l'embargo sur les produits pétroliers. Je pense en particulier au fait qu'à partir du 1er février prochain entre en vigueur l'embargo sur les produits raffinés en provenance de Russie. Du fait de choix passés, qui étaient de souveraineté industrielle à l'époque, notamment sur la voiture privilégiant le diesel, nous sommes importateurs nets de gazole. De ce fait, nous dépendons de l'équilibre des flux mondiaux pour sécuriser notre approvisionnement.

Concrètement, nos raffineries sont approvisionnées en brut, disponible malgré les sanctions du fait de la reconfiguration des chaînes pétrolières, mais un point de vigilance important porte sur la question du gazole. De ce fait, le gouvernement, que j'ai l'occasion de conseiller à la fois comme secrétaire général et au cabinet de la Première ministre, a pris un certain nombre d'actions pour sécuriser des volumes. En revanche, le sujet du prix se pose, sur lequel les voies et moyens sont plus limités et sur lequel le Parlement a voté un bouclier tarifaire.

Les carburants sont donc un sujet de premier ordre en matière de souveraineté énergétique. Il est également très lié aux enjeux environnementaux, puisque la combustion d'énergies fossiles est à l'origine d'une grande partie de nos émissions de gaz à effet de serre. Si entre les années 1990 et 2010 nous avons plutôt gagné en souveraineté industrielle, au sens où le moteur diesel nous offrait un avantage eu égard aux importations, nous avons perdu en souveraineté énergétique, car nous dépendons énormément des importations de gazole. Depuis les années 2010, nous sommes entrés dans une phase de dé-dieselisation, qui pose question en matière industrielle, sur la fabrication de voitures, mais nous permet de gagner en souveraineté énergétique. Quand l'Union européenne décide l'arrêt de la vente de véhicules thermiques en 2035, soit une sortie des carburants vers 2050, nous avons la perspective d'un regain de notre souveraineté énergétique avec des actions très structurantes et de long terme. La question se pose en matière de matériaux notamment, mais l'avantage est très net sous l'angle purement énergétique.

La souveraineté énergétique pose aussi la question de nos importations de gaz. Comme pour les hydrocarbures, nous sommes intégralement importateurs de cette énergie. Nous avons compté par le passé des gisements de production, comme celui de Lacq, mais qui est aujourd'hui épuisé. La situation française est favorable par rapport à d'autres pays européens dans la mesure où, du fait de choix judicieux au cours des dernières décennies, des infrastructures de terminaux méthaniers ont été construites. Nous sommes donc bien dotés en capacités d'importation de GNL (gaz naturel liquéfié). Nous possédons également des interconnexions, notamment avec l'Espagne et le Portugal, deuxièmes pays les mieux équipés en terminaux. La loi votée en 2015 nous confère par ailleurs une avance sur le stockage de gaz : la France possède non seulement des capacités physiques de stockage, mais aussi des mécanismes de régulation qui permettent de les remplir correctement. Nous sommes ainsi passés d'une situation où nous étions fortement importateurs en provenance des gazoducs des pays de l'Est à l'une des principales portes d'entrée du gaz en Europe. La France détient donc les leviers de la sécurisation de son approvisionnement. Elle est toutefois confrontée au caractère limité des capacités de production mondiale et à la réaugmentation de la consommation chinoise, ce qui pose des enjeux importants de concurrence des ressources.

Là encore, des dispositions conjoncturelles ont été prises pour améliorer notre souveraineté. Plus structurellement, la réponse passe par la sortie des énergies fossiles aussi sur le gaz. Tel est le travail de décarbonation de notre industrie mené au titre de la planification écologique, pour passer à l'hydrogène, l'électrique ou la biomasse, de sorte à ne plus dépendre du gaz naturel. Les actions portent également sur le chauffage, sur lequel les changements structurels vers la pompe à chaleur ou autres permettent de sortir de ces énergies et, encore une fois, de gagner en matière de souveraineté énergétique, même si cela pose d'autres questions, notamment sur les équipements.

Le troisième sujet est celui de la biomasse, source importante d'énergie dans la mesure où une partie importante de l'énergie consommée se fait sous forme de chaleur. La décarboner nous conduit à utiliser davantage de biomasse. Nous avons un enjeu de sécurisation de notre approvisionnement en biomasse. La France est globalement plutôt productrice de la biomasse consommée sur le territoire. Des importations existent, mais nous en sommes au stade où nous devons faire les bons choix pour ne pas nous créer une dépendance. La biomasse est appelée à monter en puissance, avec le biogaz, la biomasse forestière ou toute autre biomasse agricole qui permettra une substitution aux énergies fossiles. Ce vecteur de souveraineté énergétique est amené à monter en puissance très fortement.

Je termine par l'électricité. Je distinguerais plusieurs éléments, du plus conjoncturel au plus structurel. Nous partons d'un actif de production d'électricité qui est de qualité, sous l'angle du volume de production, de la décarbonation et de la compétitivité prix. Malgré la crise conjoncturelle que nous vivons, les sous-jacents de ce système restent les bons : le coût de production n'est que peu dégradé et les volumes le sont conjoncturellement. Ce système est confronté à des enjeux d'évolution très clairs pour l'avenir, notamment des incertitudes pesant sur l'évolution de la consommation. A ces fondamentaux robustes s'ajoutent plusieurs types de crises. La première est une crise de disponibilité de notre parc existant. Je pense en particulier au parc nucléaire, frappé par une conjonction de problèmes de maintenance et de corrosion sous contrainte, qui ont conduit à une dégradation de la production au cours des derniers mois. Je pense également aux chocs de prix sur les marchés induits par la guerre en Ukraine, distincts de la réalité des coûts de production, et qui nécessitent des actions immédiates. Elles sont engagées, de sorte que nos consommateurs continuent à payer quelque chose qui ressemble aux coûts de production de l'électricité plutôt qu'à des prix de marché volatils.

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