Intervention de Bernard Doroszczuk

Réunion du mardi 24 janvier 2023 à 16h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Bernard Doroszczuk, président de l'Autorité de sûreté nucléaire :

( ASN). Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur, Mesdames et Messieurs les Députés, je vous remercie de nous accueillir aujourd'hui. En compagnie d'Olivier Gupta, nous couvrons une partie de la période d'activité dans le champ de votre enquête, mais pas entièrement.

Pour ma part, je suis président de l'ASN depuis novembre 2018 et je n'ai pas été amené auparavant à intervenir dans ses prises de position ou dans ses décisions. Depuis novembre 2018 et au regard des sujets évoqués par votre commission, j'ai été impliqué dans trois principales décisions ou prises de position sur lesquelles nous serons vraisemblablement amenés à revenir. En premier lieu, il s'agit de la prise de position de l'ASN en juin 2019 concernant la réparation des soudures en exclusion de rupture du circuit secondaire du réacteur de Flamanville, qui a conduit à un programme d'ampleur de réparation de ces soudures et à un report conséquent de la mise en service de l'EPR.

En deuxième lieu, je pense à la décision de février 2021 relative à la partie générique du quatrième réexamen des réacteurs de 900 mégawatts (qui concerne l'ensemble des trente-deux réacteurs), complétée ensuite par une partie spécifique de réexamen pour chaque réacteur au moment de sa visite décennale. En cours de réalisation, elle s'échelonnera jusqu'en 2034 sur les réacteurs de 900 mégawatts.

En troisième lieu, il convient enfin de mentionner la prise de position de l'ASN en juillet 2022 sur la stratégie de contrôle et de réparation des réacteurs d'EDF affectés de corrosion sous contrainte.

Je souhaite tout d'abord effectuer un bref rappel des missions de l'ASN, autorité de sûreté indépendante créée en 2006. L'ASN est ainsi chargée du contrôle de la sûreté des installations nucléaires civiles et de la radioprotection dans les secteurs médicaux, industriels et du transport des matières radioactives. Elle n'est en revanche pas compétente pour le contrôle des installations nucléaires militaires, qui sont du ressort de l'autorité de sûreté nucléaire de défense (ASND), service rattaché au ministère des Armées. Par ailleurs, contrairement à la quasi-totalité de ses homologues dans le monde, l'ASN n'a pas la charge du contrôle de la sécurité des installations nucléaires civiles contre les actes de malveillance (intrusions ou cyberattaques), laquelle est du ressort, en France, du haut fonctionnaire de défense du ministère de la Transition écologique.

Par la loi, l'ASN a pour seule mission le contrôle de la sûreté et de la radioprotection pour la protection des personnes et de l'environnement, ainsi que l'information du public. L'ASN n'a donc aucune mission ou compétence en matière de définition de la politique énergétique.

L'ASN exerce en revanche cinq misions particulières : réglementer, c'est-à-dire définir les règles générales applicables en relation avec les ministères compétents ; autoriser les activités et installations, en précisant les prescriptions spécifiques applicables aux installations et aux activités ; contrôler le respect des règles générales et des prescriptions particulières ; informer le public ; participer à la gestion des situations d'urgence par les pouvoirs publics.

L'ASN s'appuie sur des ressources propres réparties à peu près à part égale entre son siège et ses onze divisions territoriales : nous sommes en effet la seule autorité administrative indépendante (AAI) à disposer d'un réseau territorial d'intervention, compte tenu des spécificités de sa mission de contrôle.

L'ASN bénéficie principalement de l'appui technique de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et des groupes permanents d'experts placés auprès d'elle. Elle rend compte directement au parlement, notamment aux diverses commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat et surtout à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST).

Enfin, l'ASN est très impliquée et reconnue dans les réseaux de régulateurs nucléaires en Europe et dans le monde, en raison de son expérience, de l'importance du parc nucléaire français et du niveau de sûreté et de radioprotection appliqué en France.

Je tiens à présent à formuler quelques remarques du point de vue de l'ASN sur l'indépendance et la souveraineté, pour souligner deux points principaux à la lumière des missions de l'ASN.

Le premier point concerne l'intégration des enjeux de sûreté et de radioprotection dans la politique énergétique. Comme je l'ai précisé, l'ASN n'a pas à se prononcer sur la politique énergétique du gouvernement. Néanmoins, elle peut être conduite à prendre des positions et à s'exprimer publiquement sur les enjeux de sûreté qui peuvent conduire ce dernier à les intégrer dans les politiques publiques et contribuer ainsi au renforcement de l'indépendance et de la souveraineté de la France en matière énergétique.

À cet égard, depuis plusieurs années, l'ASN souligne en particulier deux enjeux principaux. Le premier a été évoqué de façon récurrente depuis le milieu des années 2000 de manière informelle, puis de manière formelle dans son avis du 16 mai 2013 rendu dans le cadre du débat sur la politique énergétique. Il concerne le besoin de conserver des marges dans le système électrique pour pouvoir faire face aux enjeux de sûreté en cas d'événement générique sur le parc.

De tels événements se sont déjà produits par le passé ; par exemple pendant l'hiver 2016-2017, durant lequel l'ASN a été amenée à demander le contrôle de douze réacteurs. Il s'agissait ainsi de les contrôler sur une période de trois mois pour des questions d'excès de carbone qui pouvaient entraîner des risques de rupture brutale sur certains générateurs de vapeur. Aucun événement n'a eu cependant l'ampleur de la découverte fin 2021 de la corrosion sous contrainte sur les circuits auxiliaires de sûreté des réacteurs d'EDF, qui aurait pu concerner l'ensemble du parc.

Le second enjeu, déjà évoqué en 2013, mais précisé et étendu depuis 2019, concerne le besoin d'anticipation des enjeux de sûreté et de radioprotection. Il porte sur la durée de fonctionnement des installations nucléaires en service, les risques de saturation des capacités d'entreposage des matières ou des déchets nucléaires et, plus récemment, les incidences du réchauffement climatique sur les installations nucléaires actuelles et futures.

Ces enjeux restent particulièrement d'actualité et devraient selon l'ASN être intégrés de manière globale et systémique dans les réflexions en cours sur la future politique énergétique de la France, en anticipant en termes de sûreté et de radioprotection les besoins au regard du dimensionnement du système électrique.

Le second point que je souhaite évoquer concerne la présence en France d'une infrastructure de contrôle compétente et reconnue, disposant, avec son appui technique, des ressources et de l'expertise nécessaires pour assurer sa mission de contrôle de la sûreté en toute autonomie. C'est à la fois important pour son indépendance, mais aussi nécessaire en termes de souveraineté pour notre pays.

Contrairement à certains de ses homologues, l'ASN est en mesure de s'appuyer sur des groupes d'experts de haut niveau, de procéder à sa propre analyse et de définir des règles adaptées à la situation de notre pays. Elle n'a pas besoin de faire appel à des experts étrangers ou à des autorités étrangères pour prendre ses décisions. Ainsi, l'ASN et les règles qu'elle contribue à définir constituent une référence au niveau international et inspirent bien souvent les démarches et les processus de convergence ou d'harmonisation, en Europe comme dans le monde. Citons par exemple les éléments suivants : les stress tests qui ont été définis au niveau européen sur la base des propositions françaises, après l'accident de Fukushima ; les objectifs de sûreté harmonisés pour les nouveaux réacteurs nucléaires, publiés en 2010 par l'association WENRA des responsables d'autorités de sûreté d'Europe de l'Ouest qui étaient inspirés de ceux définis par l'ASN pour le réacteur EPR ; la révision de 2014 de la directive Euratom qui fixe comme principe de prendre les objectifs de sûreté des nouveaux réacteurs comme objectifs de référence pour les réexamens périodiques de sûreté ; la déclaration de Vienne de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) de 2015 qui incite les Etats à tendre autant que possible vers une convergence entre les réacteurs nouveaux et les réacteurs en service, dans le cadre des revues périodiques de sûreté des réacteurs existants.

Cette capacité à fédérer et à faire travailler ensemble les autorités étrangères autour de sujets communs s'exprime par exemple en ce moment sur le niveau de sûreté à définir pour les réacteurs innovants SMR (Small Modular Reactors) ou AMR (Advanced Modular Reactors). Pour ces réacteurs, l'ASN a pris l'initiative inédite d'associer dans la validation des options de sûreté du projet NUWARD d'EDF ses homologues finlandais et tchèques, pays cibles au vu des informations d'EDF sur les potentialités de marché en Europe pour ce réacteur.

Ce type d'initiative contribue à la convergence des avis des autorités sur des projets à visée internationale. Le maintien, voire le renforcement des capacités et des compétences de l'ASN constituent à mes yeux également un enjeu de souveraineté.

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