Intervention de Jean-Louis Borloo

Réunion du jeudi 26 janvier 2023 à 17h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Jean-Louis Borloo, ancien Ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat :

Le paquet climat-énergie, qui avait été préparé par les Allemands, a été adopté sous présidence française. Il s'est agi d'un très lourd investissement : en six mois, il a fallu convaincre l'ensemble des pays membres, notamment la Pologne qui disposait de ressources charbonnières conséquentes, d'accepter ce premier texte réellement engageant au niveau international.

L'action publique exige un suivi, de la constance, des évaluations et une correction des écarts en permanence. Aucune décision ne saurait engendrer des effets automatiques sur les dix prochaines années. Il est nécessaire d'adapter les dispositifs au fur et à mesure. Toutes les mesures qui avaient été décidées dans le cadre de Grenelle ont été mises en place. Le problème est celui de leur suivi.

S'agissant de la gestion thermique des bâtiments, de nombreux écoprêts ont été contractés par des particuliers. Le parc HLM a conduit la rénovation thermique. La préoccupation qui s'impose pour l'avenir est le passage de la rénovation thermique pure à la rénovation énergétique des bâtiments.

L'une des personnes que vous avez auditionnées a avancé l'idée d'un lobbying mené par EDF envers le tout électrique en raison de la surcapacité dont nous disposions. Je ne crois pas beaucoup au lobbying en matière énergétique. La décision collective s'impose à tous. Je ne pense donc pas qu'EDF ait cherché à empêcher le développement du programme d'énergies renouvelables – en témoigne la création d'une filiale d'EDF Énergies nouvelles. En revanche, il me semble intéressant de parler d'un retard culturel français, à une époque où nous disposions d'un réseau piloté, stable, peu cher et décarboné, alors que les énergies renouvelables étaient encore coûteuses et soumises à des problèmes de pilotage. Cette situation a évolué. Le retard est également lié à notre modèle énergétique et à notre climat tempéré, qui requiert moins de chauffage l'hiver et moins de climatisation l'été.

Nous entrons en tout cas dans une période où l'électricité deviendra dominante, pour des raisons d'indépendance et de baisse des émissions de CO2. Nous allons aussi redécouvrir les vertus de la géothermie et du géostockage. Au siècle dernier, Paris était chauffé de cette manière. Le Haut-Commissaire au Plan recommande dans son dernier rapport l'aménagement d'une centaine de térawatts de géostockage et de géothermie.

Enfin, l'évolution des besoins, la digitalisation, le recours aux voitures électriques, entre autres, engendreront une croissance de la demande en électricité de 40 à 50 % d'ici la mise en service des six prochains EPR. Pour y répondre, nous devrons nous appuyer sur les circuits courts, tels que la géothermie, ou encore sur les SMR. À ce titre, je me demande si nous n'avons pas laissé passer le train : comme en 1969, il serait peut-être judicieux d'accepter une licence qui ne soit pas une production française. La révolution digitale aura aussi un effet important sur l'énergie. Lorsque j'ai quitté mes responsabilités ministérielles, on comptait environ 2000 entrées sur le réseau, contre 400 à 500 000 aujourd'hui. Face à l'intermittence des énergies renouvelables, le rôle d'Enedis et de RTE dans la gestion du réseau est vital. Les problématiques liées à la cybersécurité devront également être prises en compte. La réponse s'appuiera nécessairement sur un mix entre l'énergie, l'intelligence artificielle et la digitalisation. RTE a lancé les réserves primaires, secondaires et de capacité, les procédures d'effacement, le pilotage à distance ou encore la conduite en continu. Nous ne sommes qu'aux débuts d'une révolution qui permettra de compenser l'augmentation globale de la consommation par une gestion énergétique beaucoup plus performante.

J'ai quitté mes fonctions très peu de temps après l'autorisation du démarrage de l'EPR de Flamanville. Même si j'étais resté en fonctions, je ne sais pas si j'aurais eu la sagacité de mettre en cause le design, produit par Framatome et Siemens, ou la capacité d'EDF à conduire le projet. Il faut se souvenir de l'image dont jouissait alors EDF, qui construisait des réacteurs en cinq ans – et ces derniers sont toujours en service. L'historique d'EDF plaidait largement pour ses compétences. C'est sans doute le design de l'EPR qu'il faudrait remettre en question.

De 1955 à 1969, nous avons essayé des technologies proposées par Framatome ou le Commissariat à l'énergie atomique (CEA), qui se sont révélées trop sophistiquées et trop coûteuses. En pleine époque gaulliste, nous avons pourtant choisi de nous tourner vers une technologie robuste. La Chine, par exemple, vient de décider de ne plus produire d'EPR.

Concernant l'incident du Tricastin, je me souviens avoir été frappé par la difficulté d'information et de communication. Nous avions alors amélioré les conditions d'alerte et de transparence, notamment grâce à l'importante présence des ONG dans le débat.

Je n'ai pas de souvenirs suffisamment précis concernant le contenu du rapport, mais les ministres en charge de ce sujet pourront sans doute vous le fournir.

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