Intervention de Diane Roman

Réunion du mercredi 25 janvier 2023 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Diane Roman :

Il est particulièrement difficile de répondre à toutes ces questions, fort diverses, dans un délai raisonnable. À ce propos, une des explications à la longueur de mes réponses écrites est que le questionnaire lui-même était fort long, avec dix-huit questions.

J'essaierai d'être brève et de répondre de façon synthétique aux questions qui viennent de m'être posées, en distinguant celles qui me concernent personnellement et celles qui portent sur l'institution. Pour les premières, notamment celles qui portent sur ma capacité à m'investir de façon impartiale au sein du CSM, j'appelle l'attention de votre commission sur deux points qui me semblent importants.

Tout d'abord, s'agissant de ma disponibilité matérielle, je demanderai une décharge de service pour mes activités d'enseignement. Elle me conduira à exercer un demi-service, c'est-à-dire soixante-quatre heures de cours magistraux par an. L'université ne s'adaptera pas à mes besoins : je choisirai des cours à des moments correspondant à ma disponibilité. En revanche, je crains d'être conduite à restreindre fortement mon activité scientifique, non pas parce qu'elle poserait un problème de conflit, d'indépendance ou d'impartialité avec mes obligations éventuelles au sein du CSM, mais parce que, même si j'ai l'habitude de travailler les week-ends et les nuits, je ne saurais mener plusieurs carrières de front.

Ensuite, s'agissant de la compatibilité de mes engagements intellectuels avec l'exigence d'impartialité, nous avons toutes et tous des convictions. Elles sont le fruit de nos parcours personnels, de nos expériences de vie, de nos valeurs, de nos représentations du monde. Mais, pour reprendre un mot d'Hubert Beuve-Méry, si la neutralité n'existe pas, l'honnêteté, si. Il est très important de prendre régulièrement du recul par rapport à ses convictions, de douter, de discuter, d'être à l'écoute de points de vue différents. C'est dans ce mouvement de prise de distance à l'égard de nos convictions, qui empêche que celles-ci deviennent des certitudes, que se trouve l'impartialité. Il est donc tout à fait possible d'avoir des convictions et de réfléchir de façon impartiale.

Madame la rapporteure, vous avez effectué un travail attentif d'évaluation de mon dossier. Les éléments que vous avez relevés ne se trouvaient pas tous dans mon CV universitaire. Je n'y mentionne pas les pétitions que je suis amenée à signer – je ne le fais d'ailleurs que de façon exceptionnelle, sur des sujets que j'estime importants, comme l'accueil de réfugiés syriens dans les universités, dans lequel je me suis beaucoup engagée. J'ajoute qu'on peut signer une pétition pour manifester un accord global tout en étant en désaccord sur certains termes particuliers.

Je vais cesser de parler de moi pour en venir au Conseil supérieur de la magistrature. La question du rôle de cette institution est débattue depuis fort longtemps, presque depuis sa création, en 1883. La France s'est toujours efforcée de trouver un équilibre entre deux conceptions extrêmes : d'un côté, l'idée que le CSM serait un organe corporatiste plus ou moins rattaché au ministère de la justice et s'occupant de la gestion administrative des carrières et, de l'autre, la vision maximaliste qui en ferait un organe doté de l'ensemble des attributions de la justice, chargé du recrutement des magistrats, de leur nomination, voire de leur rémunération. L'équilibre auquel nous sommes parvenus me semble tout à fait satisfaisant.

Le Conseil supérieur de la magistrature est une institution dont l'indépendance est reconnue. Ses attributions ont été progressivement élargies, ce qui peut provoquer des insatisfactions. Vous m'interrogiez tout à l'heure sur la procédure de saisine directe par les justiciables, qui peine à produire ses fruits. Les quelque 400 plaintes enregistrées chaque année sont en effet déclarées soit irrecevables, soit manifestement infondées. La raison d'être de cette procédure n'est pas comprise : elle est utilisée par les justiciables davantage comme une nouvelle voie de réformation des décisions de justice que comme une procédure disciplinaire, ce qu'elle est à l'évidence.

Comment améliorer cette situation, et faut-il augmenter les pouvoirs du CSM ? Je sais que les membres de cette commission y ont déjà longuement réfléchi. La piste du pouvoir de consultation – non de décision – sur les questions budgétaires ou sur les projets de loi qui concernent l'indépendance de la justice me semble pertinente. Je pense également, même si c'est un terrain sensible, que la définition de la faute disciplinaire du magistrat devrait gagner en lisibilité pour être mieux comprise par les justiciables, qui pourraient ainsi l'invoquer de manière plus pertinente, ou du moins avec plus de succès.

Vous m'interrogiez également sur la place des femmes au sein du Conseil supérieur de la magistrature. Dans le mandat qui s'achève, elles étaient huit sur vingt-deux membres, trois d'entre elles ayant été nommées au titre de personnalité qualifiée. C'est donc parce qu'il y a eu des efforts de la part des autorités de nomination que l'on rencontre des femmes au sein du CSM. La loi Sauvadet, qui vise notamment à lutter contre les discriminations au sein de la fonction publique, ne s'applique ni au Conseil supérieur de la magistrature ni aux magistrats. Elle s'applique en revanche au ministère de la justice, lequel a été l'un des seuls ministères condamnés pour non-respect de cette loi, alors même que les effectifs dans la magistrature sont majoritairement féminins. Il existe un plafond de verre qui fait que les femmes n'accèdent pas aux fonctions de chef de juridiction. Le CSM déclare être vigilant sur ce sujet mais il reste des progrès à accomplir en la matière.

J'en viens aux questions de M. le président concernant les sources du droit et la place respective du pouvoir législatif et du pouvoir judiciaire dans l'élaboration du droit. La crainte d'un « gouvernement des juges » est souvent évoquée, cette expression prenant même valeur d'anathème. Il me semble pour ma part qu'elle n'est pas justifiée.

Tout d'abord, le juge ne gouverne pas, il a pour mission de dire le droit. Le code civil dispose qu'il ne peut pas refuser de juger en cas d'obscurité de la loi, sous peine d'engager sa responsabilité pénale : le magistrat qui refuserait de statuer pour ce motif se rendrait coupable d'un déni de justice. Il exerce donc sa mission en disant le droit, dans le cadre des attributions que la loi lui confère.

Ensuite, l'analyse de la jurisprudence conduit aussi à prendre beaucoup de distance avec l'expression de « gouvernement des juges ». S'il arrive au juge de condamner un État pour non-respect de ses engagements internationaux en matière de réduction des gaz à effet de serre, ou encore une entreprise pour manquement à son devoir de vigilance en matière de protection des droits des salariés, il le fait en soulignant la marge d'appréciation du législateur. Il en va de même quand la Cour européenne des droits de l'homme condamne un État pour avoir porté atteinte au droit au respect de la vie privée ou au droit à la vie. C'est également une antienne très commune dans les décisions du Conseil constitutionnel, qui ne cesse de rappeler qu'il n'a pas un pouvoir d'appréciation semblable à celui du Parlement. Si l'on dépasse les premières impressions et que l'on étudie en détail le dispositif des décisions, on constate que le juge est d'une grande prudence, et très respectueux des attributions du législateur. Pour dépayser le débat, on peut constater ce phénomène par exemple dans l'arrêt du juge constitutionnel allemand par lequel il annule une partie de la loi fédérale pour le climat.

Parallèlement, le législateur – ou le constituant – peut modifier une décision de justice qui lui semblerait contraire à l'intérêt général. Ainsi, après le débat qu'avait suscité l'arrêt Perruche de la Cour de cassation sur l'existence d'un « préjudice de vie » indemnisable, le législateur avait modifié le code de la santé publique pour interdire de tels fondements d'indemnisation.

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