Intervention de Loïc Cadiet

Réunion du mercredi 25 janvier 2023 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Loïc Cadiet :

Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, c'est un honneur pour moi de me présenter devant vous afin que vous puissiez vous prononcer sur la proposition faite par Mme la présidente de l'Assemblée nationale de me nommer au Conseil supérieur de la magistrature en qualité de personnalité qualifiée.

Je ne vous cacherai pas le sentiment d'humilité et de gravité que j'en éprouve, car j'ai bien conscience qu'il s'agit de veiller à ce que soient réunies les conditions permettant à l'autorité judiciaire d'assurer sa mission de rendre exemplairement la justice au nom du peuple français, dont vous êtes les représentants naturels. J'ajouterai que les auditoires universitaires ou professionnels me sont plus familiers que les assemblées parlementaires comme celle-ci, qui est assez intimidante.

Cette proposition de me désigner n'allait pas de soi. Bien que juriste, je n'appartiens pas au monde judiciaire. J'en ai été le premier surpris – et ce n'est pas rhétorique. Je conçois donc que vous puissiez vous interroger sur la qualification particulière qui justifierait ma désignation comme membre du Conseil supérieur de la magistrature. Celle-ci est sans doute à chercher du côté du rapport que j'entretiens, depuis un certain temps déjà, avec notre système de justice. Si je suis en effet extérieur à ce système, celui-ci ne m'est pas complètement étranger.

Ce rapport tient surtout à mon cursus académique et à mon parcours professionnel, que vous avez rappelés, madame la rapporteure. Je ne reviendrai donc pas sur ces éléments, sauf pour indiquer que mes enseignements ont précisément porté sur le droit judiciaire privé, les modes alternatifs de règlement des conflits, la théorie générale du procès, les systèmes judiciaires et ce que j'appelle le droit institutionnel de la justice. Cette expression peut vous sembler un peu curieuse, car cette matière n'est pas connue des programmes ordinaires d'enseignement des facultés de droit. Je la définis comme l'ensemble des règles et des pratiques juridiques relatives à la justice en tant qu'institution, ce qui va bien au-delà, dans mon esprit, de l'enseignement traditionnel des institutions judiciaires ou juridictionnelles.

Cet enseignement traditionnel se limite en effet à la manière dont les juridictions sont respectivement instituées, implantées, composées, et à l'exposé de leurs compétences spécifiques, c'est-à-dire de leur objet propre. En revanche, absolument rien n'est dit sur la façon dont ces juridictions sont administrées. L'administration de la justice est la grande absente de l'enseignement des facultés de droit, négligée à la fois par l'enseignement des institutions judiciaires, parce qu'il s'agit d'administration, mais aussi par l'enseignement du droit administratif, parce qu'il s'agit de la justice. C'est une sorte de boîte noire, de face cachée.

Or, la justice est aussi une administration : une administration à part entière, que son objet particulier conduit seulement à traiter à part. En effet, le service public de la justice est une administration au soutien de l'activité juridictionnelle, qui est une fonction étatique, constitutionnellement réglée, au titre de l'autorité judiciaire.

En quoi mon parcours me sera-t-il utile pour l'accomplissement des missions dévolues aux personnalités qualifiées membres du CSM ?

D'un point de vue administratif, d'abord, si je n'ai jamais été président d'université, ni même doyen de faculté, par choix personnel, j'ai toutefois exercé quelques fonctions administratives en lien direct avec les questions de recrutement, d'évaluation des compétences, de gestion des carrières et de déontologie.

Ce fut le cas en tant que directeur d'équipes de recherche, associées ou non au CNRS (Centre national de la recherche scientifique), mais surtout comme président de la section de droit privé de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, puis comme membre du Conseil national des universités et du comité national du CNRS. J'ai également présidé le conseil scientifique de la mission de recherche Droit et justice, qui est récemment devenue l'Institut des études et de la recherche sur le droit et la justice. Enfin, j'ai participé à des jurys du concours d'agrégation des facultés de droit, deux fois comme membre, en 1990-1991 et 2004-2005 et, plus récemment, en 2020-2021, en qualité de président. Dans ces différentes fonctions, j'ai accompli, toutes proportions gardées bien sûr, des missions comparables à celles qui sont dévolues aux membres du Conseil supérieur de la magistrature.

Deux principes ont toujours guidé mon action : d'une part, le choix de la bonne personne en considération de ses seuls mérites, compétences, capacités et dévouement au service de l'intérêt général ; d'autre part, le respect strict des règles déontologiques dans l'exercice des missions d'enseignement et de recherche universitaire, ce qui m'a par exemple conduit, comme président du conseil scientifique de la mission de recherche Droit et justice, à œuvrer immédiatement à l'élaboration d'une charte de déontologie destinée aux membres du conseil scientifique comme aux chercheurs qui soumettaient des projets, ou encore, comme président du jury de l'agrégation de droit privé, à définir pour les membres du jury des règles de déport et d'abstention allant au-delà de ce qu'imposent les textes applicables.

Mais il me semble que c'est surtout sur le terrain académique que mon parcours est susceptible de présenter quelque intérêt. J'ai consacré mon activité d'enseignement, de recherche, de publication et d'expertise à l'étude des questions de justice, dans l'ordre interne aussi bien que dans une perspective internationale. Mes travaux, depuis plus de trente ans, m'ont permis d'observer les mutations à l'œuvre dans les systèmes de justice, singulièrement en France. Trois phénomènes, qui impactent directement l'activité des magistrats, me semblent particulièrement notables : la montée en puissance des questions d'administration de la justice, longtemps restées « sous les radars » de la doctrine universitaire ; le développement des techniques contractuelles, pas seulement dans la solution des litiges, mais aussi dans la gestion des procédures ; l'émergence, enfin, des nouvelles technologies numériques, depuis la simple communication par voie électronique jusqu'à l'open data des décisions de justice et aux différents systèmes algorithmiques d'aide ou de substitut à la décision qui peuvent en résulter.

Au-delà du travail universitaire classique sur les dispositifs normatifs, leur application jurisprudentielle et leur interprétation doctrinale, ma participation à différentes missions d'expertise publique, voire de préfiguration législative ou réglementaire, m'a donné l'occasion plus pratique d'entrer dans le cœur de la machine judiciaire, en relation avec ses acteurs.

Je ne sais si cela suffit à faire de moi une personnalité qualifiée : il vous appartient d'en décider. Soyez en tout cas assurés, si vous m'accordez votre confiance, que j'aurai à cœur de m'en montrer digne en m'investissant entièrement dans cette mission, au service de l'intérêt général. Je suis à une étape de ma vie où, d'une certaine manière, l'horizon se dégage. Après quarante-huit ans de service public, dont quarante-trois dans l'enseignement supérieur, je parviens au terme de mon parcours universitaire. Je serai professeur émérite à partir du 1er mars prochain et n'aurai donc plus de service d'enseignement à assurer. Quant à mon activité de recherche et de publication, elle pourra facilement s'ajuster aux exigences prioritaires d'une participation au Conseil supérieur de la magistrature.

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