Intervention de Loïc Cadiet

Réunion du mercredi 25 janvier 2023 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Loïc Cadiet :

Madame la rapporteure, je pense qu'il faut revoir le parcours entre la première instance et la Cour de cassation. Pour cela, il faut d'abord tout mettre à plat et prendre le temps de chercher la bonne solution. Mais il faut sortir de cet enfer que constitue la procédure d'appel, avec ses délais couperets dont souffrent terriblement, depuis plus de dix ans, les avocats comme les magistrats.

N'étant pas un expert de la procédure parlementaire, je n'ai pas réfléchi précisément à la manière dont l'avis du CSM pourrait s'articuler avec l'examen des textes. Il faut trouver le moment où il pourra le plus enrichir la réflexion parlementaire.

Monsieur le président, la séparation des pouvoirs est une question terrible. Elle est au cœur de notre pacte national, et l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen le rappelle : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de constitution ».

On ne conçoit pas la séparation des pouvoirs de la même manière en France, où elle a d'ailleurs évolué depuis la Révolution française, qu'aux États-Unis ou en Grande-Bretagne. Pour ma part – et je m'exprime davantage comme citoyen que comme professeur de droit – j'ai le souci d'une séparation équilibrée des pouvoirs. Je crois que dans une démocratie adulte, apaisée, débarrassée des séquelles monarchiques, il faut que les trois entités – qu'on les appelle « pouvoirs » ou non – que sont l'exécutif, le législatif et le judiciaire, œuvrent ensemble au bien commun. Cela suppose que chacune de ces entités exerce pleinement la totalité de ses missions et qu'il règne entre elles un respect mutuel. Je ne vois donc pas d'un bon œil les commentaires intempestifs que les uns peuvent faire sur les autres.

L'article 55 de la Constitution est ce qu'il est. Les traités internationaux ont une force supérieure aux lois internes, et le juge est tenu d'appliquer les normes dans le respect de leur hiérarchie. Mais je ne pense pas que le pouvoir créateur du juge soit né de cet article : il remonte bien plus loin. Il est vrai que Napoléon a voulu enfermer le droit dans la loi et la loi dans les codes ; le Tribunal de cassation a été érigé en cerbère pour éviter que ne se développe une jurisprudence dont Robespierre ne voulait plus entendre parler. Cela étant, l'histoire du droit montre que, depuis le début du XIXe siècle, la jurisprudence a toujours existé et fait œuvre créatrice, tout simplement parce qu'il est fait obligation au juge, par l'article 5 du code civil, de statuer, y compris dans le silence, l'insuffisance ou l'obscurité de la loi. De grandes théories jurisprudentielles ont pu, de cette manière, être élaborées depuis le XIXe siècle. Le pouvoir créateur du juge existe donc, mais c'est un pouvoir second, car le législateur a toujours la possibilité de revenir sur une jurisprudence qu'il estimerait injustifiée.

Madame Lelouis, je crois qu'en toutes circonstances le magistrat doit faire preuve de prudence, de discernement et de réserve. La plupart des juridictions supérieures et internationales ont des comptes sur les réseaux sociaux et cela peut être utile pour faire passer une communication de type institutionnel. J'estime en revanche que les réseaux sociaux ne doivent en aucun cas être utilisés par un magistrat pour exprimer une opinion qui serait susceptible de jeter un doute sur les qualités que l'on attend de lui, dont l'indépendance, l'impartialité et la neutralité. Vous aurez compris que je ne suis pas les réseaux sociaux et que je ne les aime pas beaucoup.

Madame Untermaier, la publication du décret a pris deux ans, mais il y a désormais, dans le code de l'organisation judiciaire comme dans le code de justice administrative, des dispositions qui assurent l'ouverture des données relatives aux décisions de justice. Le processus d'ouverture de l'accès aux données (open data) est entré dans sa phase active, aussi bien pour la juridiction administrative que pour la juridiction judiciaire. Les arrêts de la Cour de cassation, qui étaient déjà largement accessibles, sont désormais en libre accès; depuis le mois d'avril dernier, les arrêts des cours d'appel le sont également ; et, d'ici 2025, les jugements des juridictions de première instance vont progressivement alimenter le fonds de données ouvertes. C'est un défi considérable. Un effort de classification sera nécessaire pour extraire du magma informe que constituent ces 2 millions de décisions celles, vraiment importantes, qui pourront servir de modèle – bref, pour séparer la jurisprudence de l'ensemble du contentieux.

Monsieur Bernalicis, je n'ai pas réfléchi spécifiquement à l'administration du Conseil supérieur de la magistrature. Il y a trois ans, lorsqu'il s'est agi de faire entrer l'épithète « public » dans le code de l'organisation judiciaire, un grand débat a eu lieu : fallait-il parler de « service public de la justice » ou de « service de la justice » ? Ce débat en dit long sur l'inquiétude qui se manifeste quand on essaie de dire que la justice ne se réduit pas aux procédures juridictionnelles et aux décisions de justice. C'est pourtant une réalité : ces procédures et ces décisions n'existeraient pas sans les processus administratifs qui en permettent la réalisation. Immobilier, équipement, ressources humaines, gestion des fluides : la justice a tout ce qui fait une administration.

Les questions qu'il faut se poser sont les suivantes : qui doit administrer, et comment ? L'objectif, c'est que l'administration de la justice soutienne l'autorité judiciaire et qu'elle permette aux magistrats d'exercer leur mission dans l'intérêt général. Cette mission, c'est d'assurer le respect des lois et surtout d'œuvrer à la paix sociale et civique – à ce que Paul Ricœur appelait la « finalité longue » du jugement, à savoir la prise de conscience, par chacun des protagonistes, que l'autre appartient à la même société que lui.

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