Intervention de Pierre Dharréville

Réunion du jeudi 26 janvier 2023 à 16h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Dharréville :

Monsieur le ministre, je ne comprends pas ce que vous faites là. Voilà des mois que vous préparez le terrain, que vous polissez vos éléments de langage. Mais, jeudi dernier, vous avez rempli les rues de toutes les villes du pays de manifestants. L'ensemble des organisations syndicales est contre vous. Votre projet recueille 15 à 30 % d'opinions favorables. Vous n'avez pas de majorité dans le pays. Vous avez échoué. À présent, vous essayez piteusement de décourager les gens en leur disant que vous êtes déterminé – à quoi, pourquoi ? À sauver le système de retraite par un projet de justice sociale, répétez-vous. Vous n'assumez même pas. Il n'y aura pourtant que des perdants dans votre réforme. Le COR lui-même ne parle pas de danger. Vous qui avez passé votre temps, depuis votre élection, à rogner les financements de la sécurité sociale, ne venez pas faire la leçon ! Il y a bien des pistes de financement pour répondre aux besoins de notre système de retraite et de sécurité sociale.

Personne ne vous prendra pour des sauveurs ou des partisans de la justice sociale : ce n'est pas crédible. Vous êtes des innocents aux mains pleines. Votre projet consiste à nous voler nos meilleures années de retraite et à raboter les pensions des récalcitrants. Salariés et retraités coûtent trop cher à vos yeux et à ceux de Bruxelles, qui vous encourage. Votre projet consiste à dégrader le droit à la retraite, à le faire payer plus cher, à dépenser moins pour lui. Depuis leur apparition, les retraites sont perçues trop coûteuses par certaines personnes.

Dans votre système, tout le monde passerait à la caisse mais certains, compte tenu de leur parcours professionnel, paieraient deux fois plus cher – toujours les mêmes. Le seul crédit que je peux vous accorder, c'est d'être habile dans la fiction. Fiction de la concertation d'abord, comme les organisations syndicales l'ont montré. Fiction du débat parlementaire, encadré et cadenassé par la procédure budgétaire. Fiction autour du travail des séniors, une réalité que vous refusez de regarder en face. Vous promettez un index mais les mesures prises sous le premier quinquennat d'Emmanuel Macron vous disqualifient pour parler de pénibilité. Vous n'êtes pas davantage fondé à discuter du niveau des pensions.

Cette réforme entraînerait des dégâts considérables pour l'ensemble de la société, y compris les plus jeunes. Piocher dans la caisse des accidents du travail et maladies professionnelles est une indignité. Pour quelques petites avancées, vous nous imposez un recul considérable qui affectera chacun de nous. Rien ne saurait rendre acceptable ce projet, en dépit de tout ce que vous rajouterez pour faire passer la pilule.

Nous voulons le droit à une « nouvelle étape de la vie » comme disait Ambroise Croizat. Nous souhaitons préserver ce droit essentiel, qui est un grand geste de civilisation. Être libéré du travail prescrit, avoir, au bout de sa vie professionnelle, un espace de liberté constitue un droit précieux pour chacun comme pour l'ensemble de la société. Ce projet de société entre en contradiction avec la vision de l'humain productif et compétitif. Nous lui préférons celle de l'humain épanoui dans son travail et dans sa vie. La question que vous devriez vous poser est comment préserver ce droit !

Le pays ne veut pas de cette réforme brutale, injuste, injustifiée. Lorsqu'on touche au droit à la retraite, il n'est pas question d'émotivité ni de sensiblerie mais de réalités sociales : cela affecte nos vies. Votre entêtement finit par vous rendre illégitime. Ne racontez pas de sornettes en brandissant le programme présidentiel : l'esprit de responsabilité, le respect de la volonté populaire, voilà ce qui devrait vous guider, à la place où vous êtes. Notre République fragilisée ne peut se permettre le passage en force et le pourrissement – et évitez de nous expliquer paternellement que c'est pour notre bien ! Vous n'avez pas de majorité populaire. Il va falloir vous mettre dans la tête que ça ne passe pas. Il va falloir que l'hypothèse d'un abandon du projet fasse son chemin. Vous êtes en fâcheuse posture. Je ne comprends pas ce que vous faites encore là, monsieur le ministre : il faut rentrer, maintenant, avec votre réforme sous le bras. Retirez votre projet !

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