Intervention de Lionel Jospin

Réunion du mardi 31 janvier 2023 à 16h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Lionel Jospin, ancien Premier ministre :

Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur, Mesdames et Messieurs les Députés, sachez que j'ai plaisir à me retrouver devant une instance parlementaire, même si l'exercice qui nous réunit aujourd'hui est particulier. J'ai en fait vécu des années passionnantes à l'Assemblée nationale, d'abord comme député, puis au banc du gouvernement, pendant deux décennies, de 1981 à 2002, il y a deux décennies.

N'étant pas doté d'hypermnésie, la préparation de votre audition m'a conduit à redécouvrir le passé, ce qui n'a pas été déplaisant, et m'a obligé à beaucoup travailler, ce qui à mon âge est peut-être salutaire. Ne voyez dans cette dernière phrase aucune allusion au dossier des retraites sur lequel naturellement je ne m'exprimerai pas.

Avant de vous retrouver, j'ai eu des échanges avec plusieurs de mes anciens conseillers à Matignon et avec celui qui fut mon ministre de l'Industrie pendant cinq ans, Christian Pierret. Je me suis même rendu à Pierrefitte aux Archives nationales pour consulter mes fonds qui y sont déposés. J'ai fait mien le sujet de votre enquête, établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance de la France. Quant à l'exposé introductif qui m'a été demandé, vous accepterez qu'il soit centré sur la période pendant laquelle j'ai gouverné, de 1997 à 2002. À cette date, j'ai quitté la vie politique et mon expression publique est devenue rare et mesurée. À l'occasion de cette audition, je ne souhaite pas me départir de l'attitude réservée qui est désormais la mienne. En conséquence, pour ne pas me laisser entraîner sur le terrain de controverses, je ne m'exprimerai pas sur les politiques de l'énergie suivies par mes successeurs, politiques dont je ne suis pas comptable. Il en ira bien sûr différemment pour le temps où j'ai gouverné. Comme ancien Premier ministre, j'ai à répondre de la politique énergétique qui a été alors poursuivie. Comme nous étions en cohabitation, nous avons respecté les prérogatives du président de la République Jacques Chirac, en particulier dans le champ de la politique étrangère et européenne. Pour autant, l'article 20 de la Constitution s'appliquait pleinement et mon gouvernement a effectivement déterminé et conduit la politique de la Nation. Il le faisait d'ailleurs dans une relation étroite avec le Parlement en particulier avec l'Assemblée nationale, où il a toujours disposé d'une majorité, avec laquelle il dialoguait, tout en respectant l'opposition. Étant responsable de la politique alors menée, je répondrai à votre questionnement avec le souci de la transparence et dans le respect du serment que j'ai prêté. Je garderai à l'esprit l'interrogation centrale qui est la vôtre et qui a trait à la souveraineté et à l'indépendance énergétique de la France.

La maîtrise de l'énergie est depuis la révolution industrielle cruciale pour la vie des nations. Nous le constatons aujourd'hui dans le cas extrême de la guerre, quand l'agresseur russe cherche à écraser le système électrique de l'Ukraine. C'est vrai aussi en temps de paix, puisqu'il s'agit, comme nous l'avons voulu, de fournir à notre économie une énergie compétitive et à nos concitoyens une énergie abordable. Aujourd'hui selon les chiffres de 2020, la consommation française d'énergie primaire se répartit entre 40 % d'énergie nucléaire, 47 % d'énergies fossiles, charbon, pétrole, gaz naturel et 13 % d'énergies renouvelables. Or, la France ne dispose plus dans son sous-sol des énergies fossiles et de l'uranium lui permettant d'être strictement indépendante. Elle doit construire sa souveraineté, sa sécurité énergétique, pour partie par des alliances économiques et militaires mais aussi par des accords bilatéraux avec des pays producteurs d'énergie primaire. La création de votre commission vient ainsi à point nommé pour rappeler l'importance de ces données et de ces problématiques à nos concitoyens.

Je structurerai mon propos autour des trois sources d'énergie évoquées. Je traiterai du nucléaire, en premier et le plus longuement, non seulement parce qu'il semble au centre de vos préoccupations, mais aussi parce qu'il est le secteur où l'État stratège, régulateur et actionnaire industriel exerce des responsabilités majeures. Je parlerai ensuite des énergies fossiles dont nous restons dépendants. J'évoquerai enfin les énergies renouvelables dont nous espérons davantage. Dans ces trois champs, mon gouvernement a agi avec sérieux et a cherché à se montrer prévoyant. Il a été aussi guidé par la préoccupation d'apporter à nos concitoyens une énergie fiable et abordable pour tous. C'est pourquoi, avec le recul du temps, je pense pouvoir dire en réponse aux interrogations légitimes qui sont les vôtres que la politique conduite entre 1997 et 2002 n'a pas entraîné une perte de souveraineté et d'indépendance énergétique pour la France.

Dans le domaine du nucléaire, la politique de mon gouvernement s'est naturellement inscrite dans un continuum historique. Quand le monde est entré dans l'ère atomique en 1945, c'est une volonté d'indépendance qui a conduit le général de Gaulle et la IVe République à lancer un programme nucléaire. La France s'est dotée d'une arme de dissuasion et d'une filière d'enrichissement de l'uranium, d'utilisation civile, notamment pour produire de l'électricité. Le premier choc pétrolier de 1973, sous le gouvernement de Pierre Messmer puis la présidence de Valéry Giscard d'Estaing, a provoqué une puissante accélération du programme nucléaire civil, visant à rendre la production d'électricité moins dépendante des approvisionnements pétroliers du Proche-Orient. Cette politique a été poursuivie, à un rythme plus modéré, en raison de l'évolution des besoins, sous les présidences de François Mitterrand. En 30 ans, de 1971 à 2002, la France s'est équipée de 58 réacteurs nucléaires. Les derniers ont été mis en service entre 1997 et 2002.

Quand nous arrivons aux responsabilités en 1997, le parc nucléaire fournit plus de 75 % de l'électricité française. Cette situation semble excellente pour l'indépendance du pays mais elle se heurte à deux difficultés. La première est technique. Les centrales nucléaires sont adaptées aux consommations dites de base, constantes, par exemple pour fournir des usines, mais elles sont moins adaptées pour les consommations de pointe, par exemple les pics de consommation par grand froid, pour lesquels il est préférable de produire de l'électricité avec de l'hydraulique ou du gaz. L'autre difficulté touche à la sécurité des approvisionnements. Idéalement, il est souhaitable de répartir les risques entre plusieurs énergies primaires. La trop grande dépendance à une seule source peut être problématique, nous l'avons vu encore tout récemment en 2022, avec l'excessive dépendance de l'Allemagne au gaz russe ou, dans une moindre mesure, avec les défaillances de soudure détectées dans certaines centrales françaises, mettant plusieurs tranches à l'arrêt et faisant craindre des coupures d'électricité dans l'hiver 2023. Heureusement, elles semblent ne pas devoir se produire.

En outre, deux changements de nature très différente vont venir perturber le système énergétique français dans les années 1980 et 1990. Le premier est le choc provoqué dans les opinions publiques par les accidents nucléaires de Three Mile Island en 1979 aux États-Unis et à Tchernobyl, dans l'Ukraine soviétique, en 1986. Une méfiance à l'égard du nucléaire s'est exprimée dans une partie de la population en France, et avec plus de force encore dans d'autres démocraties européennes. Cela a contribué à la montée en puissance du courant de l'écologie politique. Ce sera l'une des raisons de la décision allemande ultérieure d'arrêter le nucléaire après l'accident de Fukushima en 2011. L'autre changement naît d'une évolution. La construction européenne, fondée sur la libre circulation des biens et des services entre pays européens, a remis en cause le modèle industriel français de monopole qui, dans l'énergie, avait conduit aux organisations d'EDF, de la Cogema, de Framatome et du CEA. L'Acte unique européen, accepté par le président Mitterrand et le chancelier Kohl et entré en vigueur en 1987, a inclus les services publics à la française dans le processus d'intégration européenne. La négociation des directives régulant le marché intérieur de l'électricité a démarré en 1990 et a abouti à un accord en 1996, sous la présidence de Jacques Chirac.

Tel est le contexte quand les élections législatives de 1997 portent une nouvelle majorité aux responsabilités. Pendant les cinq années de mon gouvernement, le nucléaire sera une composante essentielle de la politique énergétique du pays. Nos actions dans le champ du nucléaire civil viseront donc à renforcer la filière industrielle et à lui redonner sa crédibilité dans l'opinion. Je vais énumérer brièvement ces actions.

Nous avons certes fermé Superphénix. À ceux qui ont dit que ce choix était strictement politique, je répondrais qu'en annonçant cette intention dans l'accord signé avec les Verts, nous avons informé dûment l'opinion, avant les législatives, et les électeurs ont fait leur choix. La politique, c'est aussi instaurer une relation de confiance avec les citoyens par la transparence. En outre, en démocratie dirait-on que les choix énergétiques qui engagent un pays sur des dizaines d'années sont purement techniques et non pas politiques ? Ce serait singulier. Pour autant, les raisons de la fermeture de Superphénix ont été avant tout industrielles. La technologie du surgénérateur était séduisante théoriquement. Le plutonium obtenu lors de l'utilisation de l'uranium dans les centrales classiques laissait espérer un usage comme combustible pour produire de l'électricité dans la filière du surgénérateur. En outre, la transmutation espérée des matières nucléaires semblait ouvrir une voie à l'élimination des déchets. Mais la centrale dite surgénérateur lancée à Creys-Malville en 1977 et terminée en 1987 était un échec industriel. Elle n'avait jamais fonctionné de façon stable, elle avait subi un incident sur incident et connu de longs arrêts de fonctionnement. Les technologies employées étaient risquées, puisque le sodium explose au contact de l'eau et elles n'étaient pas maîtrisées après 20 ans d'efforts. Le projet, qui devenait lourd financièrement pour EDF, ne promettait pas le succès. En revanche, les recherches sur la transmutation des déchets nucléaires ont été poursuivies par la relance du réacteur Phénix. Par ailleurs, la fermeture de Superphénix ne fragilisait pas la sécurité énergétique du pays. Notons en effet que le projet Astrid de réacteur à neutrons rapides, repris par le CEA en 2010, a été à son tour arrêté. 25 ans après notre décision, cette technologie n'a prospéré dans aucun pays occidental, ni aux États-Unis, ni au Japon qui l'avait explorée, même si elle semble avoir débouché en Russie et peut-être en Chine, dans des conditions que nous ne connaissons guère. Ainsi, solder l'échec industriel était une décision rationnelle et raisonnable qui ne portait atteinte ni à l'indépendance ni à la souveraineté énergétique du pays.

Après cette décision, que j'assume pleinement, nous avons engagé de nombreuses actions pour sécuriser la filière nucléaire française et assurer la crédibilité de l'État dans ses responsabilités de contrôle. Nous avons renforcé la filière MOX, qui permet de mélanger des oxydes de plutonium et d'uranium, pour réduire la quantité de plutonium dite sur étagère. Elle est une compétence française de pointe dans le monde et elle permet de réduire notre dépendance aux importations d'uranium. Dans la période 1997, cette technologie a été introduite dans dix tranches nucléaires supplémentaires.

Nous avons préparé l'aval du cycle. On le sait, l'une des critiques principales adressées au nucléaire est l'accumulation de déchets radioactifs. En décidant la création du laboratoire de Bure dans des terrains argileux étanches, nous avons permis d'étudier dans le détail la possibilité de stocker, de manière réversible, les déchets à haute activité et à vie longue, en limitant au maximum le risque d'exposition pour les générations futures. Nous sommes sans doute devenus le pays nucléaire le plus avancé au monde sur la question de l'aval du cycle.

Nous avons intégré sûreté nucléaire et radioprotection. En France, la sûreté nucléaire, c'est-à-dire la maîtrise des risques industriels, était assurée par des organisations solides, à la compétence reconnue. En revanche, la radioprotection, c'est-à-dire la maîtrise des risques pour la santé des populations, était sous-équipée. Elle répondait malaisément aux inquiétudes de l'opinion, nous l'avions constaté au moment de l'accident de Tchernobyl. Mon gouvernement a donc décidé de rapprocher la sûreté nucléaire et la radioprotection en réunissant les deux missions. Par la création en février 2002 de la direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, la radioprotection et l'attention portée aux risques pour la santé ont été renforcées. Nous avons ainsi redonné de la crédibilité aux autorités publiques de contrôle et plus largement à la parole de l'État.

Parallèlement, nous avons lancé la création d'une autorité de contrôle indépendante. C'était indispensable car, dans l'opinion, se répandait l'idée que les organismes de contrôle placés sous l'autorité des gouvernements pouvaient être soumis à leur influence et ne pas être suffisamment crédibles. Pour des raisons administratives diverses, cette autorité indépendante, l'autorité de sûreté nucléaire, a finalement été créée par une loi le 13 juin 2006, donc après la fin de mon gouvernement, mais c'était le prolongement de notre initiative et cette loi a été votée de manière consensuelle à l'Assemblée nationale, comme au Sénat.

Nous avons préparé la nouvelle génération des centrales nucléaires. Dans la période 1997-2002, la France arrivait à la fin d'un cycle de 30 ans de construction de centrales nucléaires. Nous avons en effet mis en service commercial de nouvelles centrales, celles de Chooz et de Civeaux et nous avons poursuivi les études nécessaires pour préparer la génération future de centrales nucléaires, des réacteurs pressurisés européens (EPR) destinés à compléter ou remplacer les premières centrales nucléaires mises en production à la fin des années 1970. Nous avons renforcé les acteurs du nucléaire comme Cogema et Framatome, en réorganisant leur actionnariat. La filière française d'enrichissement et de retraitement était un leader mondial qui exportait son savoir-faire dans plusieurs pays, notamment en Allemagne et au Japon. Elle a été un moment fragilisé par le refus du gouvernement allemand de reprendre les déchets de son industrie nucléaire retraités à la Hague. Après une négociation difficile avec le gouvernement fédéral, dans laquelle je suis personnellement intervenu avec force auprès de Gerhard Schröder, le Chancelier allemand, nous avons obtenu la reprise des transports de déchets de la France vers l'Allemagne, ce qui restaurait des marges pour l'entreposage des déchets et a redonné de la visibilité aux industriels.

Nous avons également stabilisé l'actionnariat de Framatome, après le retrait de plusieurs industriels, dont Siemens, en l'adossant à Cogema, créant ainsi un industriel public dont la taille était adaptée aux investissements à venir, même si la structure a ensuite beaucoup bougé. Nous avons correctement intégré le système électrique français dans son environnement européen, conformément aux engagements pris par deux présidents, François Mitterrand, avec l'Acte unique, et Jacques Chirac, avec l'adoption de la directive européenne 1996. Le Parlement a ainsi adopté la loi de régulation de l'électricité du 10 février 2000, dite loi Pierret, ouvrant de façon limitée le marché français à la concurrence européenne. Nous l'avons fait en renforçant le service public de l'électricité, sans fragiliser la filière nucléaire. Nous avons maintenu le monopole, dit naturel, du réseau électrique au sein d'EDF, sous le contrôle d'une autorité indépendante de régulation et nous avons ouvert à la concurrence européenne la fourniture d'électricité aux gros consommateurs industriels, et à eux seuls. En outre, cette loi a mis en place le financement du service public d'électricité, permettant à tous d'accéder à cette énergie à un coût abordable. Ce dispositif, bien calibré pour la filière française, a d'ailleurs permis à EDF d'accroître ses positions en Europe et dans le monde en tirant parti de son avantage compétitif nucléaire. Quant aux décisions de régulation critiquées aujourd'hui, aucune, et notamment pas l'obligation faite à EDF de revendre l'électricité nucléaire à prix coûtant à ses concurrents, ne date de mon gouvernement ni ne peut trouver sa cause dans des décisions prises par lui.

J'espère vous avoir montré que, pendant cinq ans, nous avons agi avec esprit de responsabilité et prévoyance pour préserver la filière nucléaire et son avenir, sans affaiblir la souveraineté et l'indépendance énergétique de notre pays.

J'évoquerais maintenant plus brièvement les énergies fossiles, charbon, pétrole, gaz naturel, et la façon dont mon gouvernement les a appréhendées. Naturellement, la réalité du réchauffement climatique était connue, même si le rythme d'accélération du phénomène et la perception collective de ces dangers étaient moins aigus. Toutefois, les énergies fossiles représentaient encore à l'époque plus de 50 % de la consommation totale de la France, avec des secteurs comme les transports où aucune solution alternative n'existait à l'époque. Notre politique a donc consisté à marier la préparation de la transition énergétique vers des énergies non carbonées et la sécurisation de nos approvisionnements en énergie fossile. Nous avons donc réduit la consommation de charbon, la source la plus importante d'émissions de carbone dans l'atmosphère, nous avons fermé les mines de Carmaux, d'Alès et de Gardanne, tout en organisant le réaménagement des sites et la formation des enfants des mineurs à de nouveaux métiers. Nous avons également fermé la centrale à charbon de Penchot. Nous avons en outre sécurisé et diversifié nos approvisionnements pétroliers et gaziers par des accords avec des pays producteurs, notamment le Venezuela, l'Angola, l'Arabie saoudite et l'Iran, en obtenant même dans ces deux derniers pays un pourcentage garanti de certaines de leurs réserves. Nous avons travaillé à la création de nouvelles routes d'enlèvement de pétrole d'Azerbaïdjan, afin d'en sécuriser l'approvisionnement. Nous avons également participé à des négociations internationales avec les pays producteurs, afin de limiter la hausse potentielle des prix du pétrole et ce à des niveaux extrêmement bas. Il est vrai que c'était dans un tout autre contexte que celui d'aujourd'hui.

Dans ce secteur, nous avons là encore cherché à renforcer les acteurs. Ainsi, nous avons accompagné la fusion entre Total et Elf en 1999, alors que le duel fratricide des deux entreprises créait le risque d'une prise de contrôle par un industriel étranger. Si Total est aujourd'hui un acteur essentiel de la sécurité de l'approvisionnement pétrolier et gazier français, mais aussi désormais une entreprise engagée dans la transition énergétique, c'est bien parce que nous avons œuvré à la création de ce champion national doté d'une grande capacité d'investissement. Ce rappel de la volonté qui a été la nôtre de sécuriser nos approvisionnements tout en préparant la transition énergétique, me conduit, pour finir, à parler des énergies non carbonées.

Cinq ans après la conférence de Rio en 1992, la deuxième grande conférence internationale sur le changement climatique a eu lieu en décembre 1997 à Kyoto. Nos délégués ont été très actifs dans la négociation. La ratification du protocole de Kyoto fut opérée par la loi du 10 juillet 2000. Tirant les leçons de cette négociation, nous avons commencé à associer étroitement les scientifiques à nos équipes de diplomates, rattrapant ainsi un retard par rapport aux structures mises en place chez nos grands partenaires. Nous avons amorcé la transformation de l'action extérieure de la France en matière de développement durable. Ces idées seront reprises et mises en œuvre par nos successeurs. La jonction et la mobilisation de ces compétences seront utiles plus tard, lorsqu'il s'agira de négocier l'accord de Paris.

Toujours à Kyoto, la France a défendu le principe d'une taxe carbone et le soutien du financement de la transition dans les pays en développement. Si la taxe carbone n'a pas abouti à cause des divergences intereuropéennes, mon gouvernement a préparé, dès après Kyoto, la mise en place du marché européen des droits d'émission, qui est aujourd'hui l'instrument principal de la politique climat de l'Union européenne. Nous l'avons fait en associant les énergéticiens et les acteurs industriels français à la préparation de ce marché. En 1997, nous avons renforcé la mission interministérielle sur l'effet de serre. Placée auprès du Premier ministre, cette structure a joué un rôle majeur pour la mise en cohérence des politiques menées dans chaque département ministériel. Elle a montré que la lutte contre le changement climatique touchait tous les secteurs, agriculture, transport, où nous avons privilégié le rail, bâtiment, aménagement du territoire, économie numérique, etc. et qu'elle devait concerner chacun. Nous avons finalisé en 2000 le premier programme national de lutte contre le changement climatique, destiné à réduire les émissions de gaz à effet de serre sur la période 2000-2010. C'est l'ancêtre du plan climat.

Toujours en 2000, nous avons lancé un grand plan d'énergie pour répondre à la hausse des prix du pétrole mais aussi dans un but de lutte contre le réchauffement. Les moyens de l'ADEME ont augmenté de plus de 50 % dans les cinq années de mon gouvernement. En outre, sur une initiative parlementaire, le Sénat et l'Assemblée nationale ont adopté à l'unanimité, le 17 février 2001, la loi qui modifie le Code de l'environnement et qui dans son article premier confère à la lutte contre l'intensification de l'effet de serre et à la prévention des risques liés au réchauffement climatique le caractère de priorité nationale. Nous avons ainsi créé l'Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique, chargé de collecter et de diffuser des informations et de formuler des recommandations à destination du gouvernement et du Parlement.

Si j'ai déjà longuement parlé de la première des énergies non carbonées, le nucléaire, nous étions conscients, dès 1997-2002 de l'ardente obligation de faire évoluer notre système énergétique national vers une complémentarité du nucléaire et des énergies renouvelables, pour progressivement remplacer les énergies fossiles. La première de ces énergies renouvelables est bien sûr l'hydraulique. Nous avons organisé la transformation de la Compagnie nationale du Rhône en producteur d'électricité hydraulique de plein exercice, en partenariat avec un autre énergéticien français, Suez, ce qui a sécurisé et stabilisé le secteur de l'hydraulique.

La deuxième ressource est l'éolien. Il était encore à l'époque à un stade embryonnaire. Nous avons adopté en 2001 un décret volontariste conduisant EDF à acheter l'électricité éolienne à un prix sécurisé à l'avance, 0,55 € par kilowattheure pendant cinq ans, puis une rémunération décroissante sur 10 ans.

En ce qui concerne l'énergie photovoltaïque, la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service de l'électricité a instauré un mécanisme d'obligation d'achat de la production d'électricité photovoltaïque, en vue d'intéresser les particuliers et de rentabiliser leur investissement. Plus globalement, c'est pendant la présidence française et sous son impulsion que l'Union européenne a adopté une directive fixant pour la première fois des objectifs chiffrés sur les énergies renouvelables (ENR). Sur le plan national, la loi d'aménagement et de développement durable du territoire de 1999, dite loi Voynet, a instauré les premiers exercices de prospective énergétique territoriale française. Il est vrai qu'ils ne survivront pas à l'alternance.

J'espère que cette introduction vous aura éclairés sur l'état d'esprit qui nous a animés pendant nos cinq années de responsabilité gouvernementale. Elle vous aura aussi rappelé les réalisations qui ont été les nôtres. Aujourd'hui, s'il m'est permis de nous projeter vers l'avenir, je me réjouis que la technologie prometteuse de la fusion nucléaire, dans le cadre du large projet international de recherche et d'ingénierie ITER, ait trouvé en France sa principale installation. J'y vois la reconnaissance de l'excellence française que nous nous sommes efforcés de servir. L'énergie est un secteur de l'activité humaine qui s'inscrit dans la longue durée mais où surgit parfois l'impératif de décision rapide. À ces deux échelles du temps, l'une qui implique la prévoyance, l'autre qui impose la réactivité, mon gouvernement a voulu servir le pays, œuvrer à la compétitivité de notre économie, améliorer le sort de nos concitoyens et sauvegarder la souveraineté et l'indépendance de la France.

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