Intervention de Jean-Philippe Tanguy

Réunion du mardi 31 janvier 2023 à 16h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Philippe Tanguy :

Pendant votre mandat, vous avez été amené à faire des choix pour renforcer la souveraineté énergétique du pays. Je vous interrogerai sur ces choix qui m'interrogent. Auparavant, je souhaite revenir sur l'échange que vous avez eu avec le rapporteur sur Superphénix car j'estime qu'il subsiste une grande confusion. Vous avez dit que le programme politique négocié avec les Verts avait été arbitré par M. Moscovici. Pourtant, dans votre introduction, vous avez affirmé que le sujet de Superphénix avait été soumis à l'arbitrage des Français. Je ne comprends comment, en tant que chef de cette coalition, vous pouvez considérer que vous n'avez pas arbitré mais que les Français l'ont fait.

Par ailleurs, je ne pense pas que Superphénix ait été au cœur de l'élection de 1997 qui portait surtout sur les réformes sociales engagées par Alain Juppé. Vous n'avez pas clairement répondu sur la fermeture de Superphénix et je viens en support du rapporteur. L'ensemble des physiciens du nucléaire ont affirmé que le surgénérateur n'était pas un échec industriel ni technologique. C'était un prototype industriel, donc affirmer qu'il devait être fermé à cause de son parcours chaotique, c'est aberrant d'un point de vue d'ingénierie. Par définition, un prototype est chaotique. Plus on avance dans l'expérimentation d'un prototype, plus la production est assurée et plus les défauts techniques sont corrigés. Vous avez annoncé sa fermeture au moment où sa production d'électricité est à son maximum, avec un taux de charge de 35 %.

Vous dites également que le surgénérateur était une aberration financière. Par définition, l'ensemble des coûts d'investissement étaient réalisés au moment de votre décision, soit 35 milliards de francs. J'ajoute que sa fermeture, de mémoire, coûtera entre 10 et 16 milliards de francs à EDF. Avec un taux de charge de 35 %, il était possible de dégager sur 40 ans entre 300 et 400 millions de francs. Votre décision n'obéit donc pas à des considérations financières, je ne comprends pas comment vous avez rendu cet arbitrage dans le délai évoqué par le rapporteur sans tenir compte de considérations politiques. Cette décision représente un coût pour la société de 10 milliards d'euros.

De la même façon, vous dites que les sociétés occidentales n'ont pas poursuivi leurs expérimentations dans cette quatrième filière. J'y vois deux incohérences. Vous avez dit qu'après les accidents nucléaires aux États-Unis et à Tchernobyl, avec des conséquences sur les opinions publiques occidentales, nous avions assisté à une fermeture du nucléaire. Entre les années 1990 et aujourd'hui, nonobstant l'EPR dont le design était fixé, il n'y a eu aucune percée technologique. Toutes les démocraties occidentales se sont malheureusement retirées de l'expérimentation industrielle de nouvelles filières nucléaires de 4e génération. Les dictatures que vous avez citées ont malheureusement repris notre avance. Vous semblez oublier que la France disposait d'une avance inédite parmi les démocraties occidentales. Si aucun autre pays n'a pris le relais de la France, c'est parce que notre pays disposait d'une réelle avance. Vous avez évoqué le Japon mais la recherche japonaise sur la quatrième génération dépendait du projet français. On ne peut donc pas reprocher au Japon de ne pas avoir poursuivi les recherches puisque nous l'avons lâché.

Je ne comprends pas non plus quand vous dites que cette filière n'a pas prospéré alors que, dans le même temps, vous considérez qu'elle aurait dû prospérer avec le réacteur Astrid dont vous semblez regretter l'abandon.

Votre gouvernement a pris de nombreuses décisions de politique industrielle, notamment avec le début du démantèlement du conglomérat Alcatel Alstom. Avez-vous eu à connaître de la privatisation de 52 % de son capital en, je crois, 1998 ou 1999 ? En 1999, Alstom a décidé de vendre à General Electric ses turbines produites à Belfort et a rencontré des difficultés avec ABB (ASEA Brown Boveri). Êtes-vous intervenu dans les décisions prises par Alstom ou ont-elles été prises sans votre consentement ?

De la même manière, en 2000, Framatone a vendu à General Electric les activités Thermodyn du Creusot, qui sont essentielles pour le nucléaire et pour la flotte militaire et dont une partie de l'usine est sous secret-défense. Avez-vous eu à connaître de cette décision favorable aux Américains ?

Dans le secteur pétrolier et gazier, vous avez mentionné le rapprochement entre Elf et Total. Pourquoi avez-vous renoncé à mettre en place un mécanisme d'actionnariat populaire ou à prendre une participation importante de l'État dans ce qui deviendra Total ?

Vous avez parlé d'un certain nombre de contrats pétroliers susceptibles de renforcer notre souveraineté avec l'Iran, l'Arabie saoudite et le Venezuela. Considérez-vous que notre souveraineté soit renforcée en mettant notre destin dans les mains de régimes autoritaires ?

Enfin, sur la conférence de Kyoto, pourquoi avez-vous choisi comme date de référence 1990, qui est une date défavorable à la France parce que les efforts de décarbonation de notre électricité se déroulent au cours des années quatre-vingt alors que d'autres pays, notamment l'Allemagne avec l'intégration de l'Allemagne de l'Est, rencontrent des difficultés pour décarboner. Il aurait sans doute été plus juste pour France d'intégrer dans le protocole de Kyoto ses efforts de décarbonation.

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