Intervention de André Merlin

Réunion du mercredi 1er février 2023 à 14h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

André Merlin, président d'honneur du Réseau de Transport d'Électricité (RTE) :

Des idées fausses circulent sur ce sujet du marché européen de l'électricité. Pour rappel, il n'existe pas un marché unique de l'électricité en Europe. En effet, il existe un marché spot par État membre, car il existe des limitations physiques liées aux capacités d'interconnexions dans le cadre des échanges d'électricité. Nous avons développé, en 2006, un premier couplage des marchés à l'initiative de RTE et TenneT, son homologue hollandais, en accord avec le gestionnaire de réseau belge.

Lorsque vous formez le prix sur le marché français, vous prenez en compte les propositions d'importations d'électricité. Au départ, nous travaillions avec un prix horaire, qui était prévu du jour au lendemain. Ce couplage conduisait, lorsqu'il n'y avait pas de saturation de l'interconnexion, à avoir le même prix de l'électricité sur les bourses des deux côtés de la frontière. Lorsque l'interconnexion était saturée, un découplage du prix de l'électricité intervenait. Par conséquent, le prix du pays exportateur était inférieur au prix de l'électricité du pays importateur. Il en résulte la crise connue à l'automne dernier, qui s'explique également par la situation de l'Allemagne vis-à-vis du gaz russe. Les problèmes d'indisponibilité du parc nucléaire français se sont aussi ajoutés à ce phénomène. La France était alors importatrice d'électricité en provenance d'Allemagne notamment. Le prix sur le marché français découlait du prix proposé par l'Allemagne pour compléter l'offre et satisfaire la demande. Ce prix était donc corrélé, ou indexé, au prix du gaz et du charbon alors que la France dispose de moyens de production très compétitifs.

Dès lors que nous retrouverons une disponibilité satisfaisante du parc nucléaire, la France exportera à nouveau de l'électricité nucléaire et les prix de l'électricité diminueront. Cependant, le prix du gaz ne retrouvera pas les prix d'avant la crise, car nous importerons davantage de gaz naturel liquéfié, qui coûte beaucoup plus cher. Je prévois donc un écart significatif entre le prix de l'électricité sur le marché français et le prix de l'électricité sur le marché allemand. Cette situation est d'ailleurs redoutée par l'Allemagne depuis longtemps. En outre, celle-ci n'était pas réellement favorable à la mise en place de cette forme de marché de l'électricité.

J'ai été conseiller spécial du commissaire européen à l'énergie et j'ai été sollicité par Mme Neelie Kroes pour régler le différend qui subsistait entre la France et la Commission européenne sur l'adoption du contrat Exeltium. Nous avions obtenu l'accord moyennant des opt out, qui correspondent à la possibilité, donnée aux bénéficiaires d'Exeltium, de sortir prématurément. J'avais été auditionné par la commission Champsaur qui voulait mettre en place l'ARENH et j'avais indiqué que ce système nous mettait entre les mains de la direction générale de la concurrence. En effet, ce tarif était dérogatoire par rapport au droit de la concurrence. La direction générale de la concurrence n'a d'ailleurs donné son accord qu'en 2012. L'idée provient de l'administration française et elle découle de ce qui a été fait dans les télécoms, qui sont pourtant réellement différentes du sujet de l'énergie.

M. Patrick Pouyanné a justement indiqué que le défaut de l'ARENH réside dans l'absence de contrepartie demandée aux bénéficiaires de ce tarif. En outre, nous avons eu l'idée saugrenue d'augmenter, en pleine crise, la part de l'ARENH de 20 milliards de kilowattheures, ce qui a contraint EDF a racheté de l'électricité sur le marché au prix le plus élevé. Comme l'ARENH est prévu jusqu'en 2025, il est nécessaire de trouver un dispositif alternatif pour la suite. J'avais proposé la mise en place d'un contrat long terme entre EDF et ses concurrents, les alternatifs, du même type que celui que nous avions réussi à faire accepter par la Commission européenne. Il est en outre indispensable de prévoir, dans ce contrat à long terme, le financement du développement futur des moyens de production nucléaire à la hauteur de la demande faite par les alternatifs. Je ne comprendrais pas qu'ayant accepté le contrat Exeltium, la Commission européenne n'accepte pas un tel contrat pour remplacer l'ARENH.

À titre temporaire, si le prix du gaz explose à nouveau l'hiver prochain, je suis assez d'accord avec la proposition faite par le gouvernement français d'étendre l'exception ibérique à l'ensemble de l'Europe, à savoir plafonner le prix du gaz utilisé pour produire de l'électricité afin que les niveaux du prix de l'électricité soient davantage maîtrisés. Toutefois, l'Allemagne et les Pays-Bas n'y sont pas favorables. En Allemagne, la production d'origine fossile représente le tiers de la consommation d'électricité, soit 200 térawattheures, et cette mesure coûterait très cher à l'Allemagne. L'exécutif a donc proposé d'envisager une caisse de compensation au niveau européen. Cependant, la Commission européenne n'a pas vraiment retenu cette proposition. Je pense par ailleurs que nous ne pourrons pas renoncer à l'accès des tiers au réseau. Cependant, pour développer le nouveau nucléaire, nous devons avoir la possibilité de signer des contrats à long terme.

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