Intervention de Yves Marignac

Réunion du mercredi 1er février 2023 à 17h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Yves Marignac, Chef du pôle énergies nucléaire et fossiles de l'institut négaWatt :

Je participe à des groupes permanents d'experts auprès de l'ASN, et non en son sein. Les experts y siègent intuitu personae, et non en tant que représentants de leurs associations.

M. Pierre-Franck Chevet avait dit un jour que, s'il était élève, il ne se satisferait pas d'une appréciation « globalement satisfaisant ». Cette appréciation constitue pour l'ASN une manière de dire que la situation ne présente pas d'alerte majeure en matière de sûreté, mais reste perfectible.

J'avais notamment parlé d'une crise systémique de la sûreté, ou de la gouvernance de la sûreté, lors de l'une de mes deux auditions par la commission d'enquête sur la sûreté nucléaire, au regard d'une multiplication d'événements relatifs à la sûreté, parmi lesquels peuvent être cités les suivants : les incidents faisant suite à des défauts de surveillance et de maintenance en 2018 et 2019 (notamment s'agissant de l'ancrage d'équipements nécessaires au fonctionnement des groupes diesels de secours) ; la problématique apparue en 2015 de la cuve de l'EPR de Flamanville et les problèmes de soudure survenus depuis ; l'accumulation de matières dites « valorisables » sans emploi, avec les difficultés de fonctionnement de l'usine Melox à Marcoule, qui conduisent aujourd'hui à saturer les capacités d'entreposage de plutonium à La Hague, donc à recourir pour cet entreposage à des ateliers de l'installation qui n'y étaient pas initialement destinés ; la saturation des capacités d'entreposage du combustible dans les piscines, avec le projet d'une nouvelle piscine d'entreposage centralisé, qui, comme beaucoup d'autres, a pris du retard ; etc.

Or, ces difficultés diverses ont souvent eu pour origine un défaut d'anticipation, de compétence ou de sérieux du côté des exploitants, et une capacité insuffisante à anticiper, détecter les problèmes et à agir, du côté de l'ASN. J'ai donc parlé d'une crise systématique au regard des difficultés posées par l'origine du système de gouvernance et l'évolution institutionnelle des dernières années.

Vous avez évoqué hier avec M. Lionel Jospin la loi de 2006 sur la transparence et la sécurité nucléaire. Il s'agit d'une loi importante, même si je n'aime pas du tout le terme de transparence. Daniel Pennac dit ainsi dans Monsieur Mallaussène que « la transparence est un concept d'escamoteur ». Je lui préfère largement le concept d'« accès à l'information », qui inverse la charge entre le demandeur et le détenteur. Surtout, cette loi a changé le rôle institutionnel des différents acteurs de la gouvernance de la sûreté nucléaire, mais sans changer les règles concrètes du contrôle de la sûreté. Dans la réalité, l'ASN reste dépendante du bon vouloir des exploitants, qui sont, dans la logique de la réglementation française, les « premiers responsables de la sûreté ». Or, cette expression souvent utilisée signifie que l'IRSN, dans son évaluation, et l'ASN, dans son contrôle, doivent pouvoir en permanence faire confiance à la sincérité et à la qualité des informations transmises par les exploitants. Toutefois, les problèmes rencontrés avec la forge du Creusot, la cuve de l'EPR, etc. ont montré que cette sincérité et cette qualité n'étaient plus acquises par principe.

Par ailleurs, j'avais indiqué dans ces auditions que la réglementation nucléaire comportait de très nombreuses « zones grises ». Par exemple, l'ASN utilise souvent dans ses décisions des termes apparemment exigeants : elle demande, pour prolonger la durée de vie des réacteurs existants, de « s'approcher autant que possible » du niveau de sûreté d'un EPR ; de mettre en œuvre telles dispositions « aussi tôt que possible » ; etc. Toutefois, aucun élément réglementaire ne permet d'apprécier la pertinence des actions de l'exploitant face à ces exigences, ce qui laisse l'ASN relativement démunie dans sa fonction de contrôle, dès lors qu'elle ne peut plus compter sur l'exploitant pour se plier réellement à ses exigences, et qu'elle est confrontée à des problèmes de délais et de carence dans la mise en œuvre de ses exigences.

La crise dont je parle est donc à la fois une crise de compétences, manifestée par la multiplication des problèmes, et une crise de la capacité des acteurs à réguler ces difficultés.

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