Intervention de Ségolène Royal

Réunion du mardi 7 février 2023 à 16h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie :

L'ARENH est un scandale. Il date de 2010, et se trouve à l'interface d'une idéologie libérale, selon laquelle le marché résoudrait miraculeusement tous les problèmes, et des injonctions européennes, invitant à libéraliser le marché dans l'intérêt des consommateurs. Le marché de la commercialisation s'est trouvé libéralisé et y sont alors intervenus des vautours et des spéculateurs. L'État avait financé les centrales nucléaires et les installations hydroélectriques, mais ces spéculateurs achetaient l'énergie sous son prix de production et EDF était obligée de vendre à perte. Cela semble aberrant.

Ces personnes qui ne produisaient pas et achetaient à perte, revendaient ensuite cette énergie au prix du marché, aligné sur celui du gaz russe. Nous ne l'avons pas remarqué au début, car l'énergie n'augmentait pas beaucoup ; puis elle a commencé à flamber, et ces opérateurs ont empoché l'écart. Or nous n'avons rien fait, mettant en avant la pseudo-réglementation européenne, en réalité mal appliquée dans ce domaine. Du reste, ces opérateurs n'ont même pas rempli leurs obligations, et une commission d'enquête me semblerait d'ailleurs intéressante sur l'utilisation de l'ARENH, les personnes qu'il a enrichies et les raisons pour lesquelles elles n'ont pas été sanctionnées alors même qu'elles n'avaient pas tenu leurs engagements.

Je rappelle ces engagements, car ils restent d'actualité : les opérateurs qui investissent ce créneau ont l'obligation de produire de l'énergie. L'ARENH leur permet d'acheter de l'énergie à un prix inférieur au coût de production, mais ils doivent, en contrepartie de ce profit, créer des filières de production d'énergie. Cela me semble d'ailleurs absurde, et je ne vois pas comment ils auraient pu construire des réacteurs nucléaires ou des barrages. Quoi qu'il en soit, ils n'ont pas tenu ces obligations.

Pis encore, ils ont abandonné leurs clients. Nous avons tous vu leurs publicités, incitant les consommateurs à quitter EDF pour les rejoindre. Certains, en particulier parmi les moins fortunés et les plus attentifs à leurs factures, ont changé d'opérateur, mais le nouvel opérateur a disparu quand le dispositif n'a plus été rentable.

Saviez-vous que l'État lui-même a dû acheter son électricité à ces opérateurs privés, alors qu'il est actionnaire d'EDF ? L'État a été obligé d'acheter son énergie sur le marché libre auprès de l'entreprise Hydroption, qui a fait faillite fin 2021. Avant cela, elle avait empoché toutes les plus-values possibles, et aujourd'hui, l'État retourne chez EDF, qui a augmenté ses prix entre-temps. Réalisez-vous l'aberration de ce système ?

Il convient de le dénoncer et d'en sortir. Quand je suis arrivée aux responsabilités, il était en place depuis 2010, et je n'ai jamais été saisie pour supprimer l'ARENH. Du reste, les plus-values étaient moins visibles à cette époque qu'aujourd'hui, où les prix de l'énergie flambent.

Un autre sujet concerne les barrages hydroélectriques. J'ai toujours admiré ces constructions, réalisées par des ingénieurs et ouvriers dans des conditions incroyables. Quand leurs concessions sont arrivées à échéance, j'ai reçu une note comminatoire de la part de la Commission européenne, me demandant de les remettre sur le marché, en libre concurrence.

Il m'a paru étonnant de remettre sur le marché des ouvrages que nous avions payés depuis des générations et de laisser des opérateurs empocher les bénéfices de la revente d'énergie. Je l'ai donc refusé. La France s'est alors trouvée menacée de pénalités, mais j'ai maintenu mon refus en arguant que ces barrages produisaient de l'énergie renouvelable, sans émission de carbone. Les placer sur le marché était susceptible d'entraîner une hausse des prix, ce qui aurait été contraire à l'accord de Paris sur le climat. Ce dernier prévoit en effet de faire monter en puissance les énergies renouvelables, ce qui implique de ne pas augmenter leur prix.

Cet argument a pesé, et les sanctions n'ont pas été appliquées. Cet exemple montre qu'il existe toujours des possibilités face à une situation qui semble injuste, et qu'il est possible de faire valoir des arguments justes, solides, structurés et équilibrés.

Tel n'a pas été le cas pour l'ARENH. L'idéologie prévalente à cette époque estimait que ce tarif ferait diminuer les prix de l'énergie ou augmenter les volumes d'énergie produite, mais le contraire s'est produit. EDF a été spoliée, et nous aussi.

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