Intervention de Dominique Voynet

Réunion du mardi 7 février 2023 à 20h30
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Dominique Voynet, ancienne ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement :

Je n'ai pas besoin de faire de l'idéologie pour cela. Je constate : aucun calendrier n'est jamais tenu.

J'ai visité de nombreuses centrales. M. Jean Syrota m'a hurlé au téléphone qu'il n'était pas prêt à entendre les « conneries » d'une ministre de l'environnement. Le problème n'était pas que je sois verte ; c'était d'être ministre de l'environnement. Il considérait que l'environnement n'avait rien à voir avec la politique énergétique.

Mme Anne Lauvergeon m'a aussi dit qu'elle avait fait installer des caméras, pour voir ce qui se passait dans les centrales. Mais la radioactivité ne se voit pas : on ne discernait que des salles vides, avec des tableaux de commande – la belle affaire ! On se doutait bien que cela ressemblait à ce que l'on avait vu dans les journaux.

Chooz a été arrêtée en 1991, voilà trente ans. En 2007, on a pris la décision de déconstruire. On a commencé à vidanger le circuit primaire en 2010, à déconstruire la cuve en 2017. Le chantier devrait être fini en 2025, mais on dit aussi qu'il a pris plusieurs années de retard. Il va produire 10 000 tonnes de déchets dont 30 de haute activité à vie longue.

Je n'insinue pas que l'on ne fait pas les choses comme il faut. J'espère qu'elles sont faites avec rigueur et sérieux. Je constate simplement que déconstruire une centrale est un « travail de chien », titanesque et coûteux. Je ne vois pas comment on fera simultanément tout cela.

J'espère qu'à terme on pourra se passer du nucléaire – on le doit – compte tenu de son coût et des risques économiques, sanitaires, environnementaux, de prolifération, de terrorisme. C'est devenu extraordinairement difficile. On avait beaucoup de marge il y a vingt-cinq ans. Le fait de n'avoir rien fait pendant un quart de siècle pour desserrer la contrainte rend les choses bien plus compliquées. J'ai bien noté qu'il était question de changer la réglementation pour que les centrales fonctionnent au-delà de cinquante, voire de soixante ans. Il est à craindre que l'on arbitre de plus en plus souvent entre la sûreté et la production.

Je crains que l'on ne puisse pas réaliser des investissements aussi indispensables que les investissements énergétiques si on continue la fuite en avant dans le nucléaire. Je suis médecin, et je me demande comment on va financer la remise en état de l'hôpital, ce que l'on fait pour l'école, pour l'université, pour les programmes de recherche qui ne sont pas liés au nucléaire. Ils sont tous dans la misère ; des chercheurs quittent la France dans tous les secteurs. J'aimerais qu'on ait une politique cohérente.

J'accepte deux perspectives. D'abord, même avec un gouvernement composé à 100 % d'écologistes, on aurait à gérer le démantèlement et le traitement des déchets. Je souhaite que cela se fasse de la façon la plus rigoureuse possible, dans le respect des connaissances scientifiques les plus pointues.

Ensuite, on est hésitant pour tenir un discours de vérité à la population. Cela fait des années qu'on a peur de dire qu'il va falloir changer. Et, faisant de la politique, j'établis un lien avec de nombreux sujets essentiels.

Il est par exemple dommage qu'on soit incapable de conclure une alliance avec les paysans pour des productions d'aliments sains, en mettant en avant l'intérêt commun à ce qu'une part grandissante de la valeur ajoutée de leurs produits leur revienne et qu'on arrête de dépenser autant d'argent dans du suremballage, du marketing ou de la vente en lots dans les grands magasins. Cela relève du choix de société.

On passe notre temps à faire comme si nos concitoyens ne pouvaient pas changer. Or ils ont appris à trier leurs déchets, à choisir le train plutôt que l'avion pour aller à Toulouse ou à Marseille, à prendre un sac en tissu plutôt qu'en plastique pour faire leurs courses, à mettre leur ceinture de sécurité et à ne pas picoler avant de prendre la route : ils vont apprendre que beaucoup de choses qui paraissaient des évidences n'en sont plus.

Ce n'est pas punitif de le dire : c'est un nouvel état du monde, un choix de société, pour mettre en avant ce qui est important pour nous – la culture, l'éducation, la baisse de la violence, les décisions en faveur des personnes handicapées. Il n'est pas important de savoir si on ose ou pas affronter les gens qui ont des jets privés ou ceux qui achètent un SUV électrique de trois tonnes – VinFast a monté un énorme showroom rue du Bac, pour encourager les gens qui ont les moyens à en acheter.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion