Intervention de Dominique Voynet

Réunion du mardi 7 février 2023 à 20h30
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Dominique Voynet, ancienne ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement :

J'aurais été frustrée que cette question ne soit pas abordée.

J'ai été amenée à défendre les positions de la France dans de multiples sommets internationaux, d'autant que notre pays a exercé la présidence de l'Union européenne durant mon passage au gouvernement. Nous avons en outre négocié le protocole de Kyoto et celui de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques relatif à la Convention sur la diversité biologique.

J'ai été mise en cause de manière très agressive à partir d'un extrait tronqué d'un documentaire d'Arte consacré aux négociations internationales sur le climat. Le film Nucléaire : une énergie qui dérange a été produit par une association, Documentaire et vérité, qui est pronucléaire et antiéolienne : il comporte un extrait tronqué d'un documentaire produit par M. Daniel Leconte pour Arte, qui donne à penser que j'aurais trahi mon pays et saboté la filière nucléaire. Des journalistes à la déontologie incertaine – je pourrais être plus grossière si cela était nécessaire –, des sites d'extrême droite et des responsables politiques imprudents ont repris cette position sans prendre le temps de vérifier les faits. Il ne s'agit pas de positions argumentées et échangées dans le cadre d'un débat politique mais de faits alternatifs montés pour tromper. Le producteur du film affirme d'ailleurs que le montage est mensonger. Je passe sur les commentaires injurieux qui semblent devenus une routine sur certains sites et réseaux asociaux, moins sur les menaces de mort que cela m'a valu.

C'est me faire beaucoup d'honneur et me prêter un grand pouvoir que d'imaginer que j'aurais pu, seule contre tout l'appareil d'État, de grandes entreprises et des intérêts puissants, prendre une décision susceptible de miner une filière stratégique. C'est également prendre tous ceux qui nous ont succédé pour des imbéciles incapables de revenir sur une décision désastreuse. Or personne n'y a ultérieurement trouvé à redire. Pourquoi ? Parce que la réunion bruxelloise à laquelle il est fait allusion ne concernait ni les choix énergétiques de l'Union européenne, ni la taxonomie des énergies, contrairement à ce que dit une journaliste, ni leur financement, mais la liste des technologies qui pourraient être utilisées dans le cadre du mécanisme de développement propre. On aurait pu le comprendre si la phrase qui explique ce dont il est question n'avait pas été coupée au montage.

Le mécanisme de développement propre est l'un des trois mécanismes de Kyoto et le seul dédié aux pays en voie de développement. Il prévoyait que les pays riches gros émetteurs de carbone pourraient comptabiliser, au titre de leurs propres efforts, les réductions d'émissions qu'ils financeraient dans les pays du Sud. L'idée que l'on puisse financer du nucléaire dans des pays pauvres, ne disposant ni des outils et services permettant d'assurer la sécurité des installations, ni d'un réseau de distribution d'électricité centralisé, ni des ressources assurant l'aval du cycle, sans oublier le risque de prolifération s'agissant d'États à la stabilité incertaine, était particulièrement saugrenue. Il est probable qu'aucun responsable d'une entreprise du secteur nucléaire n'ait jamais envisagé de vendre ou de financer une centrale en Sierra Leone ou en Afghanistan. L'insistance à inscrire le nucléaire dans la liste relevait davantage d'une diplomatie d'influence dans laquelle il s'agissait d'utiliser tous les canaux pour avancer ses pions et ne céder sur rien, y compris sur le symbolique ou l'accessoire.

J'ai raconté cette anecdote à Arte pour illustrer les contraintes d'une négociation multilatérale dans laquelle l'Union européenne jouait un rôle moteur – elle a considérablement perdu de son leadership depuis. J'étais pour ma part comptable, en tant que membre du gouvernement du pays exerçant la présidence de l'Union, de la cohésion européenne. Dresser un parallèle, comme l'ont fait quelques populistes, avec la situation énergétique générée par l'indisponibilité du parc nucléaire et la guerre en Ukraine est grossier, d'abord parce que la décision aurait été dénoncée si elle avait été jugée contraire aux intérêts de la France, ensuite parce que de nombreux gouvernements se sont succédé depuis, qu'ils comptaient pour certains d'entre eux des ministres de l'énergie puissants et que ces derniers auraient évidemment pu remettre cette question sur la table.

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