Intervention de Hervé Machenaud

Réunion du mercredi 8 février 2023 à 16h15
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Hervé Machenaud, membre de l'Académie des technologies, ancien directeur exécutif chargé de la production et de l'ingénierie, directeur de la branche Asie-Pacifique d'EDF (2010-2015) :

Je vous suis très reconnaissant de prendre le temps de m'auditionner sur un sujet dont j'ai été partie prenante sur l'ensemble du processus depuis le début des années 1980. La souveraineté implique d'être en mesure de choisir et de décider les politiques. Or, à date, la plupart des politiques sont guidées par la Commission européenne. La France a connu l'indépendance énergétique dans le domaine de l'électricité jusqu'en 2000. En effet, l'électricité était pratiquement 100 % française. La construction des centrales nucléaires s'est appuyée presque uniquement sur des fournisseurs français et a été entièrement financée par la France. Si l'on exclut l'uranium, qui représente une très faible proportion des coûts de la production d'électricité nucléaire, et qui est très abondant et très diversifié, l'indépendance d'électricité était assurée, car elle reposait à plus de 95 % sur le nucléaire et l'hydraulique.

J'identifie trois causes à notre perte actuelle de souveraineté et d'indépendance énergétique, parmi lesquelles la perte de la maîtrise industrielle, entraînée par le désalignement stratégique de la filière nucléaire française qui s'est exportée et qui a conduit à son éclatement lors de la décision de construction d'un EPR.

Le succès économique et industriel de l'organisation précédente résulte d'une organisation industrielle unique au monde. En effet, jusqu'à une période récente, aux États-Unis, en Allemagne, en Suède, et au Japon, les sociétés commerciales construisent des réacteurs clé en main pour les exploitants. Il s'agit d'un modèle d'échec contrairement au modèle utilisé par EDF dans lequel l'exploitant est également concepteur et constructeur de ses réacteurs nucléaires. Ce modèle permet une politique de responsabilité vis-à-vis de la sûreté, car l'exploitant discute avec les autorités de sûreté les conditions à remplir, tandis que dans le système clé en main, c'est le fournisseur qui discute avec les autorités de sûreté et l'exploitant est le tiers payant.

Ainsi, le parc nucléaire français en exploitation a coûté deux fois moins cher que le parc nucléaire allemand au kilowattheure installé et trois fois moins cher que le parc japonais et le parc anglais. Il ne s'agit pas d'un effet de série. En effet, les Allemands ont construit des Konvois dans tout le pays, mais chaque réacteur était attribué à un exploitant différent, entraînant un référentiel de sûreté différent ainsi que des coûts de construction et d'exploitation deux fois plus importants.

Par ailleurs, cette différence de modèle a des conséquences sur la responsabilité de sûreté. Dans le parc EDF, un problème d'exploitation ou d'équipement, aussi simple soit-il, est aussitôt remonté à l'ingénierie qui a assuré la conception et aux fournisseurs. Ainsi, les remèdes sont immédiatement intégrés dans les réacteurs en construction et dans tous les réacteurs en exploitation. Le parc se standardise progressivement ; les six modèles différents du parc d'EDF actuel s'inscrivent tous sur le même référentiel de sûreté et sont exploités indifféremment par les exploitants. Ce processus de standardisation permet également une amélioration constante de la sûreté, car lors de chaque décennale – autorisation d'exploitation tous les dix ans – un examen de la sûreté est mené et le référentiel est constamment mis à jour avec l'autorité de sûreté. D'ailleurs, la quatrième décennale, la plus importante, représente un saut important en matière de sûreté et explique la durée des arrêts actuels.

Aux États-Unis, le référentiel de sûreté qui s'applique est le référentiel d'origine. Ainsi, la situation de sûreté de la centrale doit être équivalente à la situation originelle. En France, c'est l'exploitant qui est responsable de la sûreté tandis que dans les autres pays, Westinghouse, General Electric, Mitsubishi, Toshiba, ABB …, étaient les constructeurs. Pendant des années, nous avons essayé de coopérer avec les exploitants japonais, sans aucun succès, car ils ne connaissent pas leur matériel. D'ailleurs, tous les accidents qui se sont produits dans le domaine nucléaire ont eu lieu chez des exploitants qui avaient reçu des centrales clé en main. La plupart de ces fournisseurs ont fait faillite et se sont rachetés entre eux. Il ne reste que Westinghouse, soutenu par le département de l'énergie (DOE).

Je tiens à souligner qu'EDF ne produit rien, c'est un architecte qui anime 1 500 fournisseurs, tels que Framatome pour les chaudières et Alstom pour les turbines. Ce modèle a été contesté par Framatome, dont l'objectif, dès les années 1970, a été de devenir un constructeur clé en main. Cette volonté n'était pas problématique tant qu'EDF était le principal client de Framatome, car nous construisions entre quatre et six tranches par an, mais quand le centre de gravité s'est déplacé vers l'export, Framatome a tenté de prendre ses marques.

Cependant, EDF restait le propriétaire de la propriété intellectuelle des réacteurs et le transfert de connaissances a donc eu lieu par l'intermédiaire de Sofinel (société française d'ingénierie électronucléaire et d'assistance à l'exportation), société commune dont EDF possédait la majorité pour la construction des centrales de Koeberg, d'Ulchin en Corée et de Daya-Bay, même si cette dernière est un cas un peu différent. Cette organisation industrielle et cette capacité à construire de façon économique ont permis à la France de remporter tous les appels d'offres de l'époque, à l'exception de ceux du monde soviétique.

À Daya-Bay, les Chinois ont demandé à EDF de les accompagner et de prendre la responsabilité technique de la conduite du projet à leurs côtés, Framatome étant un fournisseur de l'îlot nucléaire. À ce moment-là, General Electric Angleterre était le fournisseur de l'îlot conventionnel.

Je tiens à préciser qu'un industriel n'a pas besoin de savoir produire un produit, mais de maîtriser l'outil de production. Par exemple, le savoir-faire de Michelin est la construction d'usines de fabrication de pneus, qui sont présentes dans le monde entier. L'ingénierie commune est basée à Clermont-Ferrand et diffuse à toutes les usines cette maîtrise industrielle.

Selon moi, la production d'électricité nucléaire est une industrie et il est important de maîtriser l'outil de production et de l'améliorer en permanence. Ainsi, après avoir acquis grâce à Westinghouse le savoir-faire de la construction des centrales nucléaires, le processus industriel d'amélioration constante de la nature du réacteur a été mis en place, palier après palier. La première centrale construite a été Fessenheim. De CP0, nous sommes passés à N4 que je considère comme l'un des meilleurs réacteurs du monde aujourd'hui.

Tombe alors l'injonction de développer un réacteur franco-allemand. L'étude du N4+, ou REP 2000, est interrompue pour discuter avec Siemens, constructeur des centrales nucléaires allemandes sur un modèle clé en main. Les exploitants allemands EDF se mettent d'accord pour passer des contrats à Siemens et Framatome. Siemens et EDF discutent de la centrale tandis que Siemens s'adresse à Framatome concernant la chaudière, car Framatome a toujours été responsable de cette ingénierie et de cette construction.

Ce jour-là commence une discussion entre une autorité de sûreté allemande dont la tutelle est un ministre de l'environnement écologiste, qui a dit explicitement vouloir tuer le nucléaire, et l'Autorité de sûreté nucléaire française (ASN). Cette situation entraîne une surestimation des besoins de sûreté ainsi qu'une asymétrie : en effet, EDF est un service public avec une vision d'intérêt général constante tandis que Siemens, très grande entreprise, a d'autres objectifs.

Je travaillais au centre national d'ingénierie nucléaire (CNIN), qui était responsable du basic design de l'EPR. Le responsable de la négociation, directeur des études du CNIN, rentrait trois fois par semaine en nous assurant que les discussions avançaient, mais nous avons surtout accepté les solutions de Siemens qui n'étaient pas nécessairement plus mauvaises que les nôtres. En conséquence, Siemens fabrique les équipements et l'EPR est devenu un réacteur dont les solutions et équipements sont presque uniquement de facture allemande, y compris le contrôle commande, un élément clé. J'ignore pourquoi le Chancelier Helmut Kohl a demandé au Président François Mitterrand de réaliser un réacteur commun, mais il est certain que la filiale nucléaire de Siemens était en faillite.

Une fois le basic design de l'EPR achevé, un accord a été passé entre Framatome et KWU (Kraftwerk Union) pour constituer une société commune, NPI (Nuclear Power International). Dans cette joint venture, Framatome devient propriétaire du savoir-faire de l'EPR et change brusquement de politique : l'entreprise n'a plus besoin d'EDF et décide de construire des centrales clé en main dans le monde entier.

Les trente-quatre projets menés ont contribué à la faillite d'Areva, qui a investi pendant des années dans des projets qui n'ont jamais vu le jour sur le mode du clé en main excluant EDF. Il convient de signaler que, quand les Chinois ont demandé l'aide d'EDF, Areva a fait tout son possible pour qu'EDF soit le moins impliquée possible dans le projet.

La deuxième cause de la perte de souveraineté et d'indépendance est la politisation progressive et constante de l'industrie. L'influence politique s'est avérée de plus en plus prégnante dans les décisions industrielles, de même que l'influence politique de l'écologie antinucléaire, qui a investi l'appareil d'État à tous les niveaux.

Il est miraculeux d'avoir réussi à maintenir un parc nucléaire avec une telle efficacité dans un contexte politique qui se détériore depuis quarante ans. À l'époque de la construction du parc, le gouvernement donnait à EDF des missions et EDF définissait les moyens pour les remplir. Or, aujourd'hui, les injonctions formulées n'ont ni continuité ni cohérence. Compte tenu des actions menées en matière de dérégulation, EDF n'a plus la responsabilité du service public et il est paradoxal que le ministre de l'environnement demande au président d'EDF de prendre ses responsabilités, puisqu'en matière de droit, EDF n'a plus la responsabilité d'assurer la production nécessaire pour la consommation française.

Contrairement à d'autres, je me montre extrêmement positif sur le rôle qu'a réussi à tenir l'ASN dans un tel contexte politique. En effet, garder la tête froide et maintenir un niveau d'exigence raisonnable en étant soumis en permanence à la pression des médias et du lobby antinucléaire était extrêmement difficile et l'ASN y est parvenue uniquement avec une très grande rigueur qui a peut-être conduit à un accroissement des contraintes d'exploitation.

La politisation de l'industrie a entraîné l'arrêt des constructions et des centrales en activité, telles que Creys-Malville et Fessenheim. En l'absence de construction, les industriels se sont disséminés et, aujourd'hui, nous avons toutes les peines du monde à trouver les compétences nécessaires.

La perte d'indépendance énergétique est également liée à notre dépendance, pour ne pas dire notre soumission à l'Allemagne et à la Commission européenne qui est son outil. Aujourd'hui, toutes les décisions, quel que soit le domaine, sont prises pour ne pas déplaire à Bruxelles. Je ne suis pas complotiste et je pense que l'Europe est à construire, mais il convient de s'interroger sur quelles bases.

M. Joschka Fischer, ancien vice-chancelier et ministre des affaires étrangères d'Allemagne a dit publiquement : « Les gouvernants actuels [de l'Allemagne] voient de plus en plus l'Europe comme une simple fonction de la politique de défense des intérêts allemands. Il y a là un risque qui n'est pas mince pour l'Europe, mais aussi avant tout pour l'Allemagne. » Cet état de fait est illustré par les problèmes liés à la taxonomie et à la fabrication de l'hydrogène. L'Allemagne préfère produire du CO2 qu'utiliser le nucléaire et elle impose cette stratégie à l'ensemble de l'Europe par l'intermédiaire de la Commission européenne. Je pourrais citer de nombreuses analyses. Ainsi, l'École de guerre économique a publié un document, « J'attaque ! Comment l'Allemagne tente d'affaiblir la France dans le domaine de l'énergie » en mai 2001.

La réaction de la France est surprenante et mérite explication. Pourquoi se soumet-elle à de telles injonctions ? Tout d'abord, l'Allemagne garantit la dette de la France. C'est sans doute une bonne raison, mais ce n'est pas ainsi que l'on va construire l'Europe. Le philosophe Pierre Manent s'interroge : « J'aimerais comprendre d'où vient cette fascination amoureuse des élites françaises pour l'Allemagne. » Il ne peut être soupçonné d'antieuropéanisme, pas plus que Jürgen Habermas, qui s'exprime de façon similaire : l'Allemagne est retombée dans son syndrome historique de domination. Elle se sert de l'Europe pour servir ses intérêts et la France sacrifie les siens au bénéfice d'une certaine idée de l'Europe, particulièrement dans le domaine des énergies renouvelables.

Je tiens à souligner qu'en France, les énergies renouvelables sont inutiles tant qu'on a un parc décarboné, car elles ne complètent pas un parc. Le parc existe parce qu'il est composé d'énergies pilotables. L'électricité n'est pas stockable et nous avons besoin d'un parc entièrement pilotable pour couvrir les pics de consommation. C'est vrai partout, sauf dans les pays où il pourrait y avoir des vents fixes ou du soleil en permanence. En Europe, les parcs de pointe sont composés d'énergies pilotables. En France, le parc qui couvre la totalité du besoin est nucléaire et hydraulique et contient un peu de gaz. En Allemagne, le parc pilotable est constitué d'un peu de nucléaire, de charbon et de gaz et s'élève à environ 90 gigawatts. L'Allemagne a ajouté à ce parc 130 gigawatts de renouvelable. Ainsi, les énergies renouvelables ne complètent pas la production, elles s'y substituent. Quand le vent souffle, les centrales sont arrêtées. Quand il s'agit de centrales à charbon, cette démarche est favorable au climat, mais si ce sont des centrales nucléaires, elle est catastrophique pour l'économie et pour le climat. Ainsi, la construction de renouvelable est totalement absurde en France. En outre, la France compte 25 gigawatts d'éolien et 61 gigawatts de nucléaire, pour 250 gigawatts d'éolien en Europe.

Le 8 décembre 2022, on enregistre une pointe de consommation dans toute l'Europe et il n'y a pas un souffle d'air. EDF achète de l'électricité en Allemagne, fabriquée avec du charbon et du lignite, à 580 euros le mégawattheure. Le 20 décembre, le vent se met à souffler et EDF est obligée de réduire ses centrales au minimum et de vendre l'électricité à des valeurs nulles ou négatives. Ainsi, à l'heure actuelle, l'ajout d'un gigawatt d'éolien en France est contraire au bon sens.

En parallèle, la Commission européenne nous demande de payer 500 millions d'euros de pénalités, car nous n'avons pas atteint les quotas en énergies renouvelables. En effet, comme l'Allemagne, la Commission européenne refuse de tenir compte des moyens bas carbone tels que l'énergie nucléaire. En outre, l'ensemble de l'Europe doit atteindre un objectif de 40 % d'énergies renouvelables. L'augmentation des énergies renouvelables en France entraîne une hausse de CO2 à un coût prohibitif.

Il existe un autre biais mental qui est le volume d'électricité. On affirme qu'en 2035, nous ne disposerons pas du volume d'électricité nécessaire faute de réacteurs. Cependant, il convient de garder à l'esprit que le volume, c'est-à-dire les térawattheures, n'existe pas puisque l'électricité ne peut être stockée. Si nous rencontrons des difficultés telles qu'en décembre 2022, nous devrons trouver des solutions et l'éolien n'en fait pas partie. Nous avons besoin de gigawatts de capacité de production et non de térawattheures. Il existe des volumes d'eau, de gaz et d'uranium, mais pas de volumes d'électricité ou de vent. Parler du volume d'électricité nécessaire en 2035 est donc indéfendable.

Par ailleurs, pourquoi ne parviendrions-nous pas à construire des réacteurs ? Il suffit de le vouloir. En 1970, nous avons décidé de construire un programme nucléaire et en 1977, la première centrale était en service. Pendant vingt ans, quatre centrales par an ont été construites en moyenne. Ainsi, si dans trente ans nous n'avons pas construit de nouveaux réacteurs, c'est uniquement parce que nous ne l'aurons pas voulu.

Je suis d'ailleurs très impressionné par le vote au Sénat. Je ne vais pas contester la représentativité nationale, mais le Sénat a voté par trois cents voix contre treize la loi sur l'accélération des énergies renouvelables, l'argument principal étant le retard de la France dans le développement des énergies renouvelables intermittentes. Comment expliquer un tel aveuglement ?

La France n'est pas en retard. Elle est l'un des trois pays les plus décarbonés d'Europe aujourd'hui. Je crois qu'il faut s'intéresser à qui profite le crime. Ainsi, le chiffre d'affaires de l'éolien jusqu'en 2018, est constitué à 56 % par des entreprises étrangères, dont les deux tiers sont allemands. En outre, la quasi-totalité du matériel vient d'Allemagne ou des États-Unis. Deux tiers du chiffre d'affaires réalisé en France part à l'étranger. Enfin, les revenus des promoteurs de l'éolien représentent entre 30 et 40 % du chiffre d'affaires. Compte tenu des conséquences sur la vie quotidienne en France, on peut s'interroger sur ces chiffres.

La politique européenne s'impose également à la France via la dérégulation. L'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) a été créé pour faire accepter à l'Europe le maintien en France des tarifs régulés de vente d'électricité. La commission Champsaur a décidé de garder des tarifs régulés afin de maintenir la rente nucléaire. Un sacrifice était nécessaire, car une telle démarche était contraire à la réglementation et l'ARENH a été proposé. À sa sortie, la Direction de la concurrence française a exprimé ses doutes concernant la concurrence de production, de même que la Direction de la concurrence européenne.

Pendant presque dix ans, les prix de marché étaient inférieurs à l'ARENH. Ainsi, le calcul du tarif réglementé de vente d'électricité (TRVE), proposé par la Commission de régulation de l'énergie (CRE), représentait 70 % d'ARENH et 30 % des prix de marché. Les fournisseurs alternatifs achètent une partie sur le marché et une partie d'ARENH, en fonction des cours et EDF a perdu un million de clients par an pendant la période où le prix de marché était inférieur ou équivalent au prix de l'ARENH. D'ailleurs, Total et Engie ont dénoncé leur contrat ARENH quand les cours sont tombés suffisamment bas.

En septembre 2021, les prix du gaz, donc les prix spot, augmentent brutalement et l'ARENH est très demandé. Or, il se trouve que le calcul de la CRE prévoit une diminution de la part d'ARENH dans le calcul du TRV si la demande d'ARENH augmente. Aujourd'hui, si l'on en croit la CRE, en février 2022, le prix de l'électricité aurait dû augmenter de 35 % et le 1er février 2023 de 100 %, alors qu'EDF produit aujourd'hui la quasi-totalité de ce que la France consomme à un prix constant depuis 30 ans, car le coût de production d'EDF, qui s'appuie sur le nucléaire et l'hydraulique, est peu affecté. Ainsi, la quasi-totalité de la consommation française pourrait être produite à 70 euros le mégawattheure, mais on demande à la population de la payer 230 ou 280 euros à cause du bouclier tarifaire. Qui plus est, si j'en crois certaines analyses, le bouclier tarifaire s'élèvera à une centaine de milliards d'euros, un montant qui pourrait couvrir le grand carénage ainsi que la construction d'une dizaine d'EPR. Où est cet argent ?

Aujourd'hui, EDF et les consommateurs perdent de l'argent. Une partie entre chez les fournisseurs alternatifs, mais on constate aujourd'hui que ces fournisseurs alternatifs rendent les consommateurs qu'ils ont pris à EDF, obligée de les reprendre. EDF a déjà vendu toute l'électricité dont elle disposait et doit en acheter sur les marchés pour les nouveaux arrivants. La situation devient absurde au motif qu'il s'agit du marché de l'électricité. Avant la dérégulation, les importations et les exportations d'électricité existaient déjà, avec un équilibre entre les différents pays en fonction de leurs besoins.

J'ai quatre recommandations à formuler.

Premièrement, il est important de poursuivre l'exploitation des centrales existantes le plus longtemps possible et de construire le plus grand nombre de réacteurs possible.

Aujourd'hui, le grand carénage est l'opération de maintenance nucléaire la plus lourde qui ait jamais été réalisée, car on tente de rapprocher les structures des réacteurs de génération trois, qui tiennent compte des accidents graves de conception. Cette quatrième décennale est trois fois plus lourde en travaux que les précédentes, mais son coût, 1 000 euros par kilowatt installé, représente le cinquième du prix d'un nouveau réacteur, même standardisé, et il est nettement inférieur au coût de construction des centrales à charbon et à gaz. Il s'agit de l'investissement le plus rentable qu'on puisse imaginer.

Il est peu vraisemblable que la même quantité de travaux soit nécessaire pour passer de cinquante à soixante ans, mais quoi qu'il en soit, la limite doit être économique. Quand l'investissement pour une mise à niveau de sûreté sera supérieur au prix d'un nouveau réacteur, l'exploitation des centrales existantes sera interrompue à moins que la limite physique de la résistance de la cuve entre en jeu. Or, il est de notoriété publique que nos cuves sont meilleures que les cuves américaines, car elles ont été réalisées ultérieurement. Une grande partie du parc américain est à soixante ans et un nombre non négligeable de centrales s'inscrit aujourd'hui dans un processus d'autorisation pour aller à quatre-vingts ans. On envisage même une prolongation à cent ans.

Une limitation à cinquante ans en France est tout simplement un gâchis colossal. Il ne s'agit pas d'un choix aléatoire et une analyse de sûreté et d'économie doit être menée. Ainsi, la durée de vie du parc existant doit être prolongée et nous devons construire le plus rapidement possible de nouveaux réacteurs pour arriver en 2050 à 100 gigawatts de nucléaire. En outre, nous devrons poursuivre après cette date qui marque le démantèlement des premiers réacteurs.

Deuxièmement, je préconise la suppression de l'ARENH, qui est extrêmement simple, selon des analyses juridiques. Si la France décide de supprimer les TRVE, l'ARENH tombe le jour même et ce sera à la Commission européenne de prouver qu'EDF abuse de sa position dominante. Mais ce cas n'a pas de raison d'être, car les TRV sont quatre fois au niveau où ils étaient.

La troisième mesure est la suppression des subventions aux énergies renouvelables. Dans un marché soi-disant compétitif de production d'électricité, il n'existe aucune raison de subventionner des énergies avec une garantie d'achat et une garantie d'accès au réseau, car une telle démarche est disqualifiante.

Enfin, il est nécessaire de redonner à EDF sa dimension d'entreprise de service public intégrée qui est la condition de la gestion d'un service public. Pour adapter constamment la production à la consommation, cette consommation doit pouvoir être prévue à court, moyen et long terme et il faut pouvoir mettre en place et optimiser les moyens de production pour répondre à cette consommation. Un seul acteur doit avoir la capacité et la responsabilité de gérer l'ensemble : nucléaire, gaz et hydraulique.

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