Intervention de Delphine Batho

Réunion du jeudi 9 février 2023 à 14h30
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDelphine Batho, députée, ancienne ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie (2012-2013) :

Pour comprendre ce débat, il faut en revenir à l'objectif poursuivi. Pendant sa campagne, le Président François Hollande avait pris l'engagement d'engager la transition énergétique. Il s'agissait de réaliser des économies d'énergie, de diminuer la consommation d'énergies fossiles, de développer les énergies renouvelables et de limiter à 50 % la part du nucléaire dans la production d'électricité à l'horizon de 2025. Ces orientations avaient été approuvées par le peuple français lors de l'élection présidentielle. L'avenir du nucléaire avait été un élément important de ce moment de débat démocratique. M. Nicolas Sarkozy avait fait campagne sur le sujet, y compris en tenant des meetings dans des centrales – ce qui, en soi, posait question, car une entreprise publique n'avait pas à interférer dans une campagne électorale.

Je sais que vous interrogez l'objectif de 50 %. Il est curieux, au regard de l'article 3 de la Constitution, qu'une réflexion portant sur la souveraineté énergétique commence par contester une décision souveraine du peuple français, en l'occurrence celle de changer de politique énergétique par le mandat confié à ses représentants. L'objectif résultait du programme présidentiel, lui-même issu d'un accord entre le Parti socialiste et les Verts. Depuis quand faut-il s'excuser de vouloir mettre en œuvre le programme sur lequel on a été élu ?

Sur le fond, cet objectif est dans l'intérêt de la nation, car la trop grande dépendance de la France à l'égard du nucléaire pour sa production d'électricité est une vulnérabilité, comme les faits viennent de le démontrer. La diversification des moyens de production électrique est dans l'intérêt de la France.

Un autre élément est au centre des questions qui entourent le parc nucléaire depuis des années : l'effet de falaise, c'est-à-dire la charge d'investissement que représente la fin de vie des réacteurs, au bout de quarante ans, et dans un laps de temps réduit. Face à ce défi, le choix responsable consiste, non pas à repousser l'échéance, mais à étaler l'effort en fermant certains réacteurs et en en prolongeant d'autres.

L'enjeu du quinquennat du Président François Hollande était donc de prendre des décisions concernant l'avenir du parc nucléaire. L'engagement pris pour y parvenir consistait à élaborer une loi de programmation, équivalente à ce qui existait dans le domaine militaire.

Le débat national sur la transition énergétique différait des autres événements que vous avez mentionnés dans la mesure où ce n'était pas seulement un débat entre experts ou entre les parties prenantes, mais aussi un débat citoyen, dans les territoires. Nous étions partis du constat d'un échec relatif du Grenelle de l'environnement, lié au fait qu'il ne suffit pas d'énoncer des objectifs pour les atteindre : encore faut-il planifier et organiser, y compris en précisant les moyens.

Pour la durée du quinquennat, les choses étaient cadrées : nous prévoyions la fermeture de Fessenheim et l'ouverture de l'EPR de Flamanville. Comme vous le savez, cette dernière n'a pas eu lieu. Par ailleurs, sur une période de dix à quinze ans, la loi de programmation devait organiser les économies d'énergie, le développement des énergies renouvelables, la sortie des énergies fossiles et la diminution de la part du nucléaire. Le texte devait également comporter des clauses de revoyure.

Les études que j'avais demandées aux services montraient qu'il était réaliste d'envisager l'atteinte de l'objectif de 50 % entre 2028 et 2030, mais qu'il n'était pas souhaitable de retenir la date de 2025 – même si c'était possible –, car cela obligerait à recourir aux énergies fossiles pour remplacer le nucléaire. Telle n'était pas mon option, car je tenais à affirmer un modèle français de transition énergétique, avec l'ordre de priorités suivant : d'abord, des économies d'énergie massives ; ensuite, la sortie des énergies fossiles ; enfin, la diversification et la diminution du nucléaire par un développement massif des énergies renouvelables. Selon moi, il fallait fermer des réacteurs à mesure que des progrès étaient accomplis en matière d'économies d'énergie, de sortie des énergies fossiles et de développement des énergies renouvelables.

J'ai soumis au Président de la République, début 2013, la possibilité d'inscrire cette stratégie dans les conclusions du débat national, puis de la transcrire dans le projet de loi de programmation qui serait soumis au Parlement, en l'assortissant d'un calendrier précis, documenté et réaliste. Il ne l'a pas souhaité.

Comme vous le savez, j'ai quitté les responsabilités avant la conclusion du débat national, et il n'y a pas eu de loi de programmation. Le débat national n'a même pas donné lieu à des recommandations, puisque le Medef a jugé inacceptable que l'on préconise de diviser par deux la consommation d'énergie. Au terme de sept mois d'activité, et alors que le débat avait mobilisé un nombre considérable de personnes et d'intelligences, il a fallu se contenter d'une simple « synthèse des travaux ».

Par parenthèse, Mme Anne Lauvergeon et M. Bruno Rebelle – ancien directeur exécutif de Greenpeace France – avaient participé au comité de pilotage. Le choix politique avait été fait de ne pas organiser un débat national sur l'énergie sur le modèle du Grennelle en considérant que le nucléaire était un tabou et que l'on ne pouvait pas en discuter. Oui, d'ardents défenseurs du nucléaire, mais aussi d'ardents militants de la sortie du nucléaire étaient parties prenantes au débat national.

La loi de 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte a énoncé des objectifs d'une façon purement déclaratoire, dans la continuité du Grenelle, sans préciser ni le calendrier ni les moyens de les atteindre, qu'il s'agisse de l'évolution du parc nucléaire ou d'autres domaines. Elle a, par exemple, repoussé de 2020 à 2030 l'objectif de réduction de la consommation d'énergie ; ce n'est pas un détail. Elle a confié la planification au seul pouvoir exécutif, à travers une programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) par décret. Celle-ci a renvoyé à 2019, soit après la fin du quinquennat, les arbitrages concernant l'avenir du parc nucléaire. On était donc très loin d'une loi de programmation.

En ce qui concerne le nucléaire, la loi a énoncé l'objectif de 50 %, mais la vraie disposition normative est celle qui gèle le parc à son niveau actuel, soit une capacité de 63,2 gigawatts. Ce dispositif a d'ailleurs donné lieu à une multitude d'interprétations, chacun y voyant des vérités différentes. Certains y ont ainsi perçu une intention réelle de diminuer le nucléaire, voire un point de passage vers la sortie. D'autres l'ont compris pour ce qu'il était au regard de sa portée juridique, à savoir un renoncement à la réduction, un plafonnement et une manière d'imposer le statu quo. D'autres encore se sont lancés dans des conjectures comme l'« addition énergétique » – du fait de l'augmentation de la consommation et du développement des énergies renouvelables, les 63,2 gigawatts représenteraient effectivement 50 % de la capacité de production électrique. D'autres, enfin, oubliant que le texte mentionnait la production d'électricité, ont imaginé que l'objectif de 50 % visait la consommation intérieure d'électricité, ce qui n'interdirait pas d'utiliser les 63,2 gigawatts pour l'export. Bref, c'était plus qu'ambigu.

L'ensemble de ces raisons m'ont amenée, étant redevenue députée, à ne pas voter le texte, à déplorer un enterrement de première classe de la transition énergétique et à dire que le fait de ne pas prendre de décision promettait de grandes difficultés à l'avenir.

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