Intervention de Delphine Batho

Réunion du jeudi 9 février 2023 à 14h30
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDelphine Batho, députée, ancienne ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie (2012-2013) :

Le conservatisme énergétique du couple pétrole et nucléaire était tel qu'il ne croyait pas du tout aux énergies renouvelables. Et cette vision était largement partagée par l'appareil d'État. Si des mécanismes de soutien aux énergies renouvelables ont été mis en place, c'est sous la pression de la société civile dont les attentes étaient fortes. Le problème, c'est qu'aucune stratégie industrielle ne les a accompagnés. Cela signifie que, comme on n'a pas la maîtrise des technologies, on retombe dans la dépendance de l'étranger. On n'a pas non plus le modèle de notre production énergétique intégrant un service public et un monopole, et le modèle social qui l'accompagne avec des emplois à la clé. Or on aurait pu l'avoir ; la fatalité n'y est pour rien. Simplement, il aurait fallu changer les règles du jeu, car la mécanique articulant tarifs de rachat, appels d'offres et ouverture à la concurrence n'est pas propice au développement de vrais acteurs industriels, français ou européens – la notion de « souveraineté » doit aussi s'entendre à l'échelle européenne.

Les choses ont bougé un tout petit peu autour de l'éolien offshore, mais je n'ai pas vu les dirigeants des grandes entreprises de l'énergie faire le siège de mon bureau pour obtenir des mécanismes de soutien aux énergies renouvelables. Les demandes venaient plutôt des petits acteurs subsistants de la filière, qui venait de perdre 14 000 emplois.

Votre question recouvre aussi le sujet des différents scénarios. Le débat national sur la transition énergétique en a produit plusieurs, d'ailleurs assez comparables à ceux que propose RTE depuis quelques années. De ces débats sur ce que sera le mix énergétique en 2050, qui sont passionnants, intellectuellement stimulants et qui nous invitent à avoir une vision à long terme, j'ai retenu que les scénarios, même bâtis sur des visions divergentes, ont tous le même point de départ, et aucun n'est compatible avec le facteur 4 si on ne commence pas par diviser par deux la consommation d'énergie.

Le débat public sur l'énergie cultive l'expertise et la contre-expertise à un horizon lointain, alors que ce qui compte, c'est ce qu'on va faire d'ici à 2030. Quoi qu'on décide pour 2050, la priorité est d'investir dans les économies d'énergie. L'essentiel n'est pas tant de choisir entre les différents scénarios que de retrouver des leviers : la nationalisation d'EDF, des marges d'action à l'échelle européenne, la réduction de notre consommation d'énergie et l'adaptation au changement climatique.

Ce qui me frappe, aussi, c'est que la plupart des raisonnements sont construits à climat constant. Quand RTE propose un scénario intégrant le nouveau nucléaire, il se fonde sur le niveau des cours d'eau en 2050. Or un réacteur nucléaire ouvert en 2045 sera encore en fonction en 2085 : il faut donc envisager ce que seront les conditions de vie, les écosystèmes et la ressource en eau à cet horizon-là. Et cela vaut pour l'organisation du système énergétique dans son ensemble.

À mon avis, le développement des énergies renouvelables ne peut pas se faire sur le même modèle que celui qui a servi pour l'électricité nucléaire, avec un réseau national. La part du diffus, de l'autoconsommation, y compris l'autoconsommation collective à l'échelle locale, est complètement sous-estimée. Je ne plaide pas pour le chacun pour soi énergétique ; il faut évidemment garder la péréquation tarifaire, l'égalité des tarifs, la sécurité d'approvisionnement pour tous à travers le réseau et les interconnexions, mais le modèle actuel n'est pas le bon. Surtout, il n'est pas résilient dans cette période d'accélération du changement climatique. Compte tenu de l'inertie du système climatique, il est certain que, même si l'on arrive à limiter le réchauffement à deux degrés à l'échelle mondiale, ses conséquences seront déjà extrêmement graves pour la France.

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