Intervention de Delphine Batho

Réunion du jeudi 9 février 2023 à 14h30
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDelphine Batho, députée, ancienne ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie (2012-2013) :

Le seuil de 50 % était atteignable en 2028 ou 2030 si l'on écartait des procédés tels que des cycles combinés gaz (CCG) pour compenser la diminution du nucléaire. Le scénario 2025 impliquait une augmentation du bilan carbone de la production d'électricité. Je penchais pour le premier scénario, le second étant exclu pour moi.

Les moyens d'atteindre ne serait-ce que l'horizon de 2028 n'ont absolument pas été déployés. Les 50 %, comme la fermeture de Fessenheim, renvoient à la question centrale de l'avenir du parc nucléaire existant. La diminution de la part du nucléaire participe à la réduction de notre vulnérabilité : plus les sources d'approvisionnement électrique sont diversifiées, plus notre résilience et notre sécurité sont renforcées. C'est aussi une problématique économique et industrielle. Du fait de l'âge du parc, un mur d'investissement se dresse devant nous. La rationalité commande donc, pour diminuer la charge qui pèse sur la nation et l'opérateur, de casser ce mur. Cela implique de fermer des réacteurs, même s'ils auraient pu être prolongés, et d'en prolonger d'autres.

Lorsque j'ai pris mes fonctions, la première chose que j'ai demandée à la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) était qu'elle me transmette l'étude réalisée par les services sur les différents scénarios de prolongation du parc nucléaire, avec la mention des coûts, des procédures et des hypothèses envisagées. À ma grande surprise, cette étude n'existait pas. J'ai reçu rapidement une note m'expliquant ce qui avait été fait : la ministre en charge de la sûreté nucléaire avait demandé à l'ASN comment cette dernière allait déterminer sa position sur cette question. C'est tout. Or, dans la perspective du débat national, de la loi de programmation et de la fixation des moyens budgétaires, il était important de savoir ce qui était faisable à l'horizon 2028, avec le nombre de réacteurs à fermer – dont, à mon avis, pour des raisons liées au fonctionnement du système électrique national, le choix devait relever de l'opérateur et de Réseau de transport d'électricité (RTE) – et les options de prolongation.

L'avis générique de l'ASN était attendu en 2015 mais a été rendu beaucoup plus tard. J'ai tout de même fait passer l'amortissement comptable des centrales à cinquante ans dans les comptes d'EDF, ce qui a été matérialisé bien plus tard, sans que je comprenne pourquoi.

Je reste convaincue qu'il faut fermer des réacteurs, mais la situation, compte tenu du retard qui a été pris, commande très certainement d'en prolonger d'autres, puisque nous n'avons pas de moyens de remplacement immédiat. Cela dit, je ne sais pas si c'est possible. J'entends parler de prolongation jusqu'à soixante, voire quatre-vingts ans, mais on a très peu d'éléments pour se prononcer. L'ASN n'a pas donné d'avis à ce sujet, et j'ai appris qu'il faut être extrêmement prudent dans ses affirmations. Lorsque j'ai affirmé, au nom de la France et devant le peuple français, que l'EPR ouvrirait en 2016, je croyais à la véracité des informations que m'avait données la filière nucléaire, qui, après avoir dit : « c'est sûr, l'EPR ouvrira en 2012 », avait assuré qu'il ouvrirait en 2016. Ce manque de fiabilité de la filière est un problème majeur : on peut parler de fiasco.

J'ai acquis le réflexe, dans un cadre de gestion de crise, lorsque les services m'indiquaient que je pouvais annoncer la résolution d'un problème pour telle date, de dire la vérité : on n'en sait rien. Si j'étais aux responsabilités et que l'on me demandait quand l'EPR produirait de l'électricité, je répondrais : je ne sais pas. On ne peut pas jouer avec la crédibilité de la parole publique. Le manque de fiabilité est le problème majeur de la filière nucléaire. La fiabilité est la règle de base de l'industrie ; c'est aussi celle de la politique.

J'en viens à Fessenheim. Fermer un réacteur, ce n'est pas comme éteindre la lumière : sont en jeu, non seulement des emplois, mais aussi des questions liées à la sûreté nucléaire et à un territoire. Cela doit être préparé. Le statu quo, l'absence de décision et de préparation va rendre la situation complètement ingérable. Même si l'on souhaite renouveler le parc nucléaire – ce qui n'est pas mon cas –, il va falloir fermer des réacteurs, ce qui exige de la préparation. Ce facteur explique le temps qui a été nécessaire pour fermer Fessenheim. Par ailleurs, EDF est une société anonyme : elle a un intérêt social ; l'État ne fait pas ce qu'il veut. Je suis assez d'accord avec les remarques de la Cour des comptes sur les conditions d'indemnisation d'EDF. Il n'a jamais été démontré que Fessenheim pouvait produire de l'électricité jusqu'en 2041. Je ne vois donc pas pourquoi il faudrait indemniser l'énergéticien sur le fondement d'une hypothèse de production jusqu'à cette date.

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