Intervention de Andy Kerbrat

Séance en hémicycle du lundi 6 mars 2023 à 16h00
Garantir le respect du droit à l'image des enfants — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndy Kerbrat :

Une fois n'est pas coutume, nous sommes d'accord. Je veux saluer le travail et les efforts accomplis par M. le rapporteur pour aboutir à un texte consensuel et sérieux. Je vous annonce donc que nous retirons l'amendement de suppression de l'article 4 et que nous voterons en faveur du texte.

Néanmoins, dans un souci de clarté, je tiens à dire que cette loi est d'abord un pansement sur un vide juridique. Or, dans le domaine du numérique, le vide juridique est la règle, plutôt que l'exception. Certains diront : où est le problème ? Un espace aussi immense de liberté est une bouffée d'air pour chacun d'entre nous, un espace de curiosité et de création, de rencontre et de démocratie. Ils auront raison ! En tant que parlementaires et législateurs, nous devons éviter la fièvre réglementaire et nous garder de céder à la peur du vide, surtout quand il s'agit de la liberté de chacun de s'exprimer et de se construire. Nous devons accompagner, pour que tout le monde puisse profiter de la liberté nouvelle offerte par le monde virtuel, et non la subir.

Si internet était un ciel où nous pouvions voler sans effort, le but de la loi serait non pas d'installer des feux rouges à chaque nuage, mais d'ajouter des cours de vol à l'école et d'installer des trampolines pour rattraper ceux qui tombent. Voilà à quoi sert cette proposition de loi. En instituant les deux parents comme responsables de la vie privée en ligne de leur enfant, nous rendrons possible un vrai rebond, à savoir un travail judiciaire quand un enfant subit l'emprise, le harcèlement ou la violence en ligne.

L'identité virtuelle d'un enfant est la partie de la vie privée qui est la plus exposée en ligne, non seulement par lui-même, bien sûr, mais aussi par ses proches, en particulier ses parents. Il est normal que tout le monde puisse publier à sa guise des photos et des vidéos montrant sa vie et celle de ses enfants. Cependant, les pires dérives partent souvent de là, car toute action publiée en ligne laisse des traces, potentiellement préjudiciables dans le temps pour la vie personnelle ou professionnelle. C'est pourquoi a été institué en 2016 un droit à l'oubli, qui permet d'obtenir l'effacement de certaines données personnelles, notamment des mineurs. Toutefois, il n'existe aucun moyen de contrôler la diffusion d'informations ou d'images, ni leur réappropriation ou interprétation par des tiers.

Dans l'exposé des motifs, vous rappelez ce chiffre sinistre : « 50 % des photographies qui s'échangent sur les forums pédopornographiques avaient été initialement publiées par les parents sur leurs réseaux sociaux ». Ce qui est de nature numérique peut rapidement avoir des conséquences néfastes sur le réel, parfois de façon complètement imprévisible. Le cyberharcèlement qui existe depuis la naissance d'internet a déjà brisé de nombreuses vies.

Parents comme enfants doivent être formés et informés pour pouvoir défendre au mieux leurs droits. Nous avions déposé des amendements tendant à faciliter l'accès à de telles formations ; nous regrettons qu'ils aient été jugés irrecevables. Nous aurions pu en outre faciliter l'accès aux recours, notamment devant la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) ou la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos). En effet, si les parents portent la responsabilité de protéger la vie privée de leurs enfants, il revient à l'État de leur fournir les outils à cette fin.

Toutefois, soyons lucides : aujourd'hui, nos lois ne peuvent pas aller plus loin car, s'agissant d'internet et des plateformes, les règlements européens priment sur les législations nationales. De WhatsApp à LinkedIn, de TikTok à Tinder, nos vies professionnelles, intimes et familiales, tout passe par des entreprises qui obéissent avant tout à une logique de profit. On parle même d'une « économie de l'influence », qui a vu le jour au cours de la dernière décennie avec l'avènement des réseaux sociaux.

Je prends un exemple parmi d'autres, celui de YouTube, qui est plus strict que son concurrent TikTok. La première phrase du règlement de la communauté YouTube relatif à la sécurité des enfants indique : « YouTube interdit les contenus qui portent atteinte au bien-être émotionnel et physique des mineurs. » Cela peut sembler aller dans le bon sens, mais, dans la pratique, la limite apparaît vite. YouTube prohibe toute vidéo montrant des enfants se mettant en danger, par exemple avec du feu ou des pétards, mais autorise dans le même temps la monétisation de vidéos montrant des enfants qui se gavent de bonbons, pour faire du placement de produits.

En l'espèce, ce n'est pas l'enfant qui est le créateur de la vidéo ; ce sont bel et bien les parents, qui utilisent leur enfant sur leur chaîne d'influenceur, souvent contre son bien-être. C'est aussi le cas dans la pratique du sharenting. Il naît ainsi un conflit d'intérêts entre le rôle de garant de l'intégrité et de la vie privée de l'enfant et le gain financier, social ou émotionnel tiré de l'exploitation de son image. L'enfant peut dès lors ressentir un conflit de loyauté, voire une dissonance cognitive entre ses aspirations propres et la volonté de ses parents. Qui plus est, l'identité virtuelle amène un autre risque, car le fichier de la photo comporte des métadonnées telles que la date et le lieu, déterminé par géolocalisation. Si une photo prise chez vous tombe dans les mains de personnes malveillantes, vous pouvez être sûr qu'elles disposent également de l'adresse de votre domicile.

Grâce à la présente proposition de loi, qui énonce clairement la responsabilité des parents, vous permettrez de réparer les pots cassés, mais vous n'empêcherez aucunement de telles pratiques – il faut en avoir conscience. Seules des contraintes fortes comme celles qui sont proposées dans le Digital Services Act (DSA) en cours de discussion au niveau européen pourront les faire évoluer, sachant qu'elles sont mises en avant par les plateformes. Si vous pensez que les amendes sur le chiffre d'affaires ne sont pas utiles, les plateformes, elles, les prennent au sérieux. Puisqu'il est question de l'Union européenne, parlons du modèle allemand, que vous aimez beaucoup. L'Office fédéral de la justice, installé à Bonn, peut condamner à une amende allant jusqu'à 5 millions d'euros les personnes physiques qui ne respectent pas les restrictions imposées en Allemagne aux réseaux sociaux, le montant pouvant atteindre 50 millions pour les personnes morales.

Je sais, collègues, que vous avez déjà beaucoup travaillé sur la protection des enfants en ligne, et nous soutenons votre travail, mais écoutez notre message, qui est simple : responsabiliser les parents, c'est bien ; responsabiliser les plateformes quant à leurs pratiques commerciales, c'est mieux.

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