Intervention de Barbara Pompili

Réunion du mercredi 15 février 2023 à 18h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBarbara Pompili, ancienne ministre de la transition écologique (2020-2022) :

Je suis heureuse de pouvoir expliquer devant cette commission d'enquête ce qui s'est passé durant les deux années où j'ai été aux manettes de ce très vaste ministère de la transition écologique, dont le périmètre avait été, par rapport à celui de mes prédécesseurs, élargi au logement, ce qui avait l'intérêt d'inciter l'administration du logement à davantage s'orienter vers les questions énergétiques et, en particulier, vers la rénovation thermique, qui a fait l'objet de plusieurs mesures dans le cadre de la loi « climat et résilience » que vous avez citée.

Quand j'arrive au ministère en 2020, beaucoup de choses ont évolué récemment. En 2015, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte avait instauré la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et lancé une forme de dynamique. L'accord de Paris avait fixé des objectifs ambitieux en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. La loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, qui avait été défendue par Nicolas Hulot, avait notamment défini un objectif de neutralité carbone pour 2050 et contenait des mesures emblématiques, comme la fin des centrales à charbon ou l'arrêt de la commercialisation des véhicules thermiques en 2040 – ce qui était à l'époque une révolution. Les choses avancent vite, puisque le Parlement européen a, entre-temps, fixé cette dernière échéance à 2035, mais si l'évolution était rapide concernant les intentions et les objectifs, leur mise en œuvre soulevait des difficultés.

Comprendre celles-ci était le préalable indispensable à toute action. En premier lieu, il me semblait qu'on avait du mal à accepter l'idée qu'il fallait faire radicalement évoluer notre politique énergétique. Quand on sait qu'on doit évoluer, on le fait vite et bien – même en France. Pensez au lancement du plan Messmer. On traversait à l'époque une crise énergétique du fait de la crise pétrolière. Le plan reposait sur trois piliers : la sobriété énergétique – déjà ! « En France, on n'a pas de pétrole mais on a des idées ! » ; l'efficacité énergétique ; et le déploiement d'une nouvelle technologie de production énergétique, le nucléaire. Le plan nucléaire a permis d'installer des centrales nucléaires dans tout le territoire français en très peu de temps – l'immense majorité d'entre elles ont été construites en l'espace d'une décennie. On avait donc à l'époque une vision claire de ce qu'il fallait faire, et je crois que c'est la grande différence avec la période qui nous occupe.

Dès lors qu'il manquait une vision claire, il n'y avait pas d'impulsion politique, les différentes filières se trouvaient en position d'attente et l'on prenait du retard par rapport aux objectifs qui, dix ans plus tôt, étaient atteignables. Je prétends en effet, et j'y insiste, que la position que je défendais alors dans le cadre du débat sur les différents types d'énergie, à savoir qu'il était possible de tendre vers 100 % d'énergies renouvelables en 2050, était, il y a dix ans, tout à fait réaliste, dès lors que nous respections les objectifs que nous nous étions nous-mêmes fixés et y compris dans l'hypothèse, aujourd'hui vérifiée, d'une augmentation du besoin d'électricité dans le pays. Mais pour que ce soit possible, il aurait fallu que tous les acteurs s'alignent sur cette volonté. Or le débat public était malheureusement biaisé du fait des positions foncièrement antagonistes des partisans des énergies renouvelables et des défenseurs de l'énergie nucléaire – et je pense que c'est là le péché originel de toute notre politique énergétique.

En effet, qui furent, dès l'origine, les partisans des énergies renouvelables ? Dans leur immense majorité, des militants écologistes ; or les militants écologistes étaient historiquement, et pour de très bonnes raisons que je ne renierai pas, antinucléaires. Dès lors, tous ceux qui défendaient le nucléaire ont considéré que les énergies renouvelables s'opposaient à celui-ci, et que leur développement serait une menace pour lui. Je peux vous assurer que j'ai fait l'expérience de cet antagonisme et de ce positionnement défensif des partisans du nucléaire à de nombreuses reprises, et bien avant que je sois ministre, notamment quand j'étais présidente de la commission du développement durable ou rapporteure de la commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires. Dans ces conditions, toute avancée en faveur des énergies renouvelables était freinée. Dès lors, les opérateurs, à commencer par le plus important d'entre eux, EDF, n'ont pas fait beaucoup d'efforts – je l'affirme sous serment – pour développer les énergies renouvelables à la vitesse qui avait été prévue par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte et par la PPE. Ils les ont développées en dehors de l'Hexagone, mais, dans celui-ci, ils n'ont pas fait les efforts nécessaires pour que l'on puisse atteindre les objectifs fixés. EDF a toujours considéré comme prioritaire le maintien et le développement de l'énergie nucléaire. D'autres opérateurs se sont engagés dans la voie des énergies renouvelables, mais, parce qu'il fallait « sauver le soldat nucléaire », les efforts ont été globalement insuffisants, et cela grâce aux relais utilisés au sein des gouvernements successifs comme à tous les niveaux pour faire, au minimum, de la résistance passive au développement des énergies renouvelables – c'est pourquoi il est si difficile de déterminer les responsabilités. J'ajoute que l'action d'associations de défense des paysages n'est pas étrangère au phénomène non plus.

Quand j'arrive au ministère, il est donc évident que nous n'atteindrons pas nos objectifs. Un de mes prédécesseurs, Nicolas Hulot, a déjà dû rectifier le tir concernant le mix énergétique et annoncer le report de 2025 à 2035 de l'objectif de 50 % de part du nucléaire.

D'autre part, j'arrive une semaine après la réception à l'Élysée des membres de la Convention citoyenne pour le climat, qui vient de remettre ses 149 propositions. Je sais que l'une de mes principales tâches sera de préparer un projet de loi en vue de transcrire une bonne partie des mesures proposées, dont celles relatives au développement des énergies renouvelables et à l'efficacité énergétique.

Or je ne me sentais pas les mains libres parce que le débat entre énergies renouvelables et nucléaire n'avait pas été soldé – essayer de lutter contre les idées reçues des uns et des autres a été le fil rouge, ou plutôt vert, de mon action. Le préalable était toutefois de prouver qu'un mix 100 % renouvelable était possible, dès lors que certaines conditions étaient respectées.

L'Agence internationale de l'énergie (AIE) et RTE m'ont rendu en janvier 2021 un rapport qui confirmait qu'il était possible d'atteindre en 2050 un mix 100 % renouvelable, mais à condition de passer par des étapes assez lourdes et complexes. Néanmoins, cela a eu le mérite d'empêcher le monde du nucléaire de continuer à soutenir le contraire.

L'étape suivante était la réception de la commande passée par ma prédécesseure Élisabeth Borne, en accord avec moi – j'étais alors présidente de la commission du développement durable : il s'agissait de demander à RTE de nous proposer des scénarios de mix électrique envisageables à l'horizon 2050, de sorte qu'on atteigne la neutralité carbone. L'objectif était d'avoir une analyse purement technique et complètement dépassionnée de la question, qui expose les avantages et les inconvénients respectifs de chacun des scénarios, en prenant en considération les deux extrêmes qu'étaient un mix 100 % renouvelable et un autre comprenant le maximum de centrales nucléaires, au moyen d'un allongement de la durée de vie des centrales actuelles et de la construction de nouveaux réacteurs. Ces scénarios, qui ont fait l'objet de plus de deux ans de travail et de 4 000 contributions, nous ont été remis en octobre 2021, soit après la promulgation de la loi « climat et résilience », ce qui explique que celle-ci doive être complétée. Je vous invite à lire le document de synthèse qui en a été tiré, car il est très éclairant sur la situation à l'époque.

L'intérêt était qu'on n'imposait pas une seule solution. Il s'agissait plutôt d'un outil d'aide à la décision des responsables publics, en particulier du Gouvernement et du Président de la République, et qui décrivait six options possibles ; il leur revenait de choisir celle qui leur paraissait la plus acceptable. En revanche, des constantes émergeaient, quel que soit le scénario. Premièrement, une forte augmentation du besoin en électricité était à prévoir dans les années à venir. Deuxièmement, il serait nécessaire de développer considérablement les énergies renouvelables, même si le scénario comportant un maximum de nucléaire était retenu. Troisièmement, il faudrait faire de gros efforts d'économies d'énergie.

Du coup, ma feuille de route devenait beaucoup plus facile à appliquer parce qu'on dépassait enfin la « guéguerre » entre les pro- et les anti-. Je faisais moi-même partie d'un clan – je l'assume. Mais dans la période complexe que nous vivons, on doit se fonder, non pas uniquement sur la manière dont on voit les choses, mais sur la réalité. Et c'est ce que nous permettait de faire ces scénarios.

Certes, il en existait d'autres. Vous avez mentionné, monsieur le président, le scénario de l'association négaWatt. J'ai eu l'occasion d'en discuter avec ses membres. Il s'agit d'un scénario intéressant, qui se fonde sur des postulats un peu différents et sur l'hypothèse d'un mix 100 % renouvelable. Le problème, c'est qu'il suppose de prolonger très longtemps la durée de vie des centrales existantes – or on voit actuellement les problèmes d'entretien qui se posent.

J'insiste sur le moment de bascule que cette étape a représenté. À partir de ce moment-là, cela en a été fini des tergiversations. On savait où l'on voulait aller et comment il fallait procéder. Il suffisait de dérouler. Ce qu'on retient en général du discours de Belfort, c'est l'annonce de la construction de nouvelles paires d'EPR, mais pour moi, il marque le déblocage tant attendu en matière d'énergies renouvelables. Derrière, tout se met en ordre de marche : les administrations, les collectivités territoriales, la filière… On donne de nouveaux outils à tout le monde, on édicte des règles plus précises et plus complexes, on signe avec la filière une charte de l'éolien terrestre, on lance des plans de développement de l'éolien offshore, du photovoltaïque et d'autres sources d'énergie renouvelable non électrique, comme la méthanisation. Les certificats de production de biogaz sont une grande avancée, inscrite dans la loi « climat et résilience ».

La politique énergétique ne peut pas se faire sans véritable planification. Nous avions fait inscrire dans la loi « énergie-climat » – et j'en suis fière – que la PPE ne serait plus imposée par en haut, qu'elle ne viendrait plus de l'administration, mais qu'elle serait votée par le Parlement sur la base des scénarios que nous avions fait établir. Ce sera donc le cas de la prochaine, que nous examinerons cette année : elle fera l'objet d'une loi.

La mise en œuvre de la transition énergétique a rencontré sur le terrain beaucoup d'obstacles, certains d'ordre réglementaire, mais aussi d'autres liés à une insuffisance d'associations de citoyens ou de parties prenantes. Une planification était nécessaire, mais elle ne pouvait pas se faire au niveau du ministère de l'écologie, car elle devait être transversale. D'où la création du Secrétariat général à la planification écologique (SGPE), qui est directement rattaché à la Première ministre. On verra ce qu'il adviendra, mais les jalons sont posés.

Il ne restait plus qu'à développer la sobriété énergétique. Je rappelle en effet que le discours de Belfort, qui définit la direction que doit suivre la politique énergétique, fait reposer celle-ci sur trois piliers : la relance de réacteurs nucléaires, le développement des énergies renouvelables et la réduction de la demande d'énergie. Ce dernier point avait du mal à entrer dans les mœurs – ce qui est curieux puisqu'on en parlait déjà à l'époque du plan Messmer. Il était difficile de faire des annonces politiques sur le sujet, car l'on craignait de bousculer les Français. J'avais préparé un plan de sobriété mais je n'ai pas pu le présenter parce que les prix de l'énergie étaient en train d'augmenter fortement. Il y avait aussi la présidence française de l'Union européenne à préparer, durant laquelle il faudrait aborder notamment des questions regardant les marchés de l'énergie, la guerre en Ukraine qui éclatait – bref, on avait d'autres priorités. Toutes ces crises ont néanmoins eu le mérite de mettre crûment en lumière notre dépendance en matière d'approvisionnement en énergie et de provoquer une prise de conscience. On a pu mettre en œuvre des mesures pas toujours faciles à accepter mais nécessaires, notamment un plan de sobriété pour faire face au manque de gaz et de pétrole par suite de la guerre.

Pour conclure, si j'avais pu avoir par le passé le sentiment qu'en matière de politique énergétique, il manquait un pilote dans l'avion, ce n'est plus le cas aujourd'hui. Nous sommes sur de bons rails. Bien sûr, il reste beaucoup à faire, mais au moins avons-nous une véritable politique énergétique dans notre pays.

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