Intervention de Jean-Christophe Niel

Réunion du jeudi 16 février 2023 à 15h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Jean-Christophe Niel, directeur général de l'IRSN :

L'IRSN est l'expert public du risque radiologique et nucléaire. Il évalue les risques liés aux utilisations des rayonnements ionisants sous toutes leurs formes. Cela concerne la sûreté nucléaire – les accidents, les grosses installations nucléaires telles que les réacteurs mais aussi les sources et les transports – ; la sécurité nucléaire – accidents provoqués par de la malveillance – ; la protection contre les rayonnements ionisants qui vise l'environnement, le public, les travailleurs – l'IRSN assure le suivi de l'état de santé des 400 000 travailleurs susceptibles d'être exposés à des rayonnements ionisants ; ils sont 60 % à exercer dans le domaine médical et 25 % dans le domaine nucléaire – et les patients soumis à un scanner ou à une radiothérapie, notamment pour lutter contre les cancers.

Notre travail répond à une double exigence : assurer un très haut niveau de sûreté en France et à l'international – l'IRSN est reconnu sur le plan international – ; contribuer à l'implication des citoyens.

L'évaluation repose sur deux métiers : d''abord, l'expertise, qui est la raison d'être de l'IRSN. Il s'agit de rendre des avis scientifiques à un large éventail d'autorités et d'institutions dans le cadre d'un processus de décision – un quart de l'activité de l'IRSN est dédié à l'ASN, mais d'autres autorités le sollicitent – l'Autorité de sûreté nucléaire défense (ASND), la direction générale de la santé, la direction générale du travail, le ministère des affaires étrangères avec lequel nous avons récemment collaboré au sujet de l'Ukraine. L'expertise comprend la surveillance de l'environnement mais aussi des personnes – l'IRSN assure le suivi dosimétrique des travailleurs et des patients.

L'activité d'expertise est très structurée – l'IRSN respecte la norme ISO9001 – mais elle est régulièrement remise en cause par les imprévus et l'actualité. Ainsi la survenue du problème de la corrosion sous contrainte nous a obligés à concentrer les moyens sur ce problème au détriment d'autres dossiers. L'IRSN est évidemment impliqué dans la gestion de crise : il dispose d'un centre de crise dont la mission est de conseiller les pouvoirs publics ainsi que d'une flotte de véhicules – dix dédiés à l'environnement et dix à la santé – qui peuvent intervenir à la demande du préfet pour suivre les conséquences d'un accident. Nous rendons 700 livrables par an – avis, rapports, notes techniques, accompagnements d'inspections, exercices de crise. La plupart de nos avis, conformément à la loi, sont publics.

L'autre métier de l'IRSN est la recherche. Il s'agit de recherche orientée puisqu'elle est dictée par les besoins identifiés par l'activité d'expertise. 40 % du budget de l'Institut est consacré à la recherche. L'Institut, qui a développé des partenariats avec d'autres organismes européens et internationaux, dispose de plateformes de recherche et compte une centaine de doctorants. Le rapport du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES) est plutôt positif sur notre activité de recherche.

L'IRSN ne travaille pas en vase clos. Il interagit fortement avec ses donneurs d'ordre ainsi qu'avec les opérateurs. Avec ces derniers, notre travail s'inscrit dans un dialogue technique ; il ne se borne pas à vérifier la conformité aux exigences réglementaires.

L'IRSN collabore avec ses homologues européens, les technical safety organisations (TSO), dans le cadre du réseau ETSON (European Technichal Safety Organisations Netwaork). Les échanges avec l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) sont nombreux. Récemment, ils ont porté sur l'Ukraine et la radiothérapie – l'Agence a lancé le programme Rays of hope pour faciliter l'accès aux traitements contre le cancer alors que certains pays, notamment en Afrique, sont dépourvus d'installations de radiothérapie.

La loi ainsi que le contrat d'objectifs et de performance confient à l'IRSN la mission de contribuer à la transparence et au dialogue avec la société civile, mission pour laquelle il dispose d'une équipe dédiée. La charte de l'ouverture à la société liste les engagements de l'IRSN dans ce domaine. L'IRSN est très impliqué dans les débats publics : vous avez mentionné les rapports remis à la CNDP sur l'EPR2 ; nous organisons régulièrement avec les acteurs – les opérateurs, l'ASN mais aussi l'Association nationale des comités et commissions locales d'information (Anccli) qui fédère les commissions locales d'information (CLI) – des dialogues techniques sur des sujets sensibles. Nous menons également des actions de science participative. Nous avons développé avec le fablab de l'université Pierre et Marie Curie un dosimètre accessible au public autour duquel a été créée une communauté avec l'association Planète science et l'Institut français des formateurs risques majeurs et protection de l'environnement (IFFO-RME) qui dépend de l'éducation nationale.

Le modèle de l'IRSN, vieux de vingt ans, repose sur la prévention des risques sous toutes leurs formes pour favoriser les synergies entre sûreté nucléaire, sécurité nucléaire et radioprotection, entre expertise et recherche, entre défense et civil. Il respecte les canons de la gestion du risque en séparant l'évaluation de la décision dont la Haute Autorité de santé (HAS) souligne la nécessité dans son dernier rapport d'analyse prospective consacré à l'expertise publique en santé en situation de crise. Le budget de 275 millions d'euros est financé par le programme 190 Subventions pour charge de service public de la mission Recherche et enseignement supérieur et par une contribution des opérateurs en vertu du principe pollueur-payeur.

L'IRSN dispose d'un ensemble d'infrastructures de recherche et de plateformes logicielles.

Quels sont les enjeux pour l'IRSN pour ce qui concerne les installations nucléaires ? Dans le parc existant, il s'agit, d'une part, du maintien de la conformité en dépit des progrès réalisés par EDF ces dernières années ; d'autre part, des réévaluations de sûreté, notamment lors des réexamens périodiques de sûreté. Dans le cadre du quatrième réexamen de sûreté, EDF a lancé un programme ambitieux de réévaluation de sûreté des réacteurs de 900 mégawatts pour les prolonger au-delà de quarante ans, programme sur lequel l'IRSN a rendu un avis le 31 mars 2020 qui faisait la synthèse d'une quarantaine d'avis ayant demandé plus de 200 000 heures de travail. Nous sommes en train de faire le même travail pour les réacteurs de 1 300 mégawatts, les nombreuses similitudes avec les 900 mégawatts nous permettant toutefois de ne pas repartir de zéro.

En ce qui concerne les installations nouvelles, l'IRSN a remis à l'ASN un état des lieux de ce qu'il reste à faire en matière d'expertise. Nous poursuivrons l'instruction du projet de centre industriel de stockage géologique (Cigéo) sur lequel nous avons déjà rendu un avis relatif aux options de sûreté et nous venons de recevoir le dossier de demande d'autorisation de création. Quant à l'EPR2, le dossier de demande d'autorisation de création devrait nous parvenir en 2023. Là aussi, nous ne partons pas de zéro puisque les similitudes avec l'EPR sont nombreuses. En 2021, quatre ETPT (équivalents temps plein travaillé) se sont consacrés à ce sujet et huit en 2022. Nous commençons à examiner les small modular reactor (SMR), y compris des modèles originaux par rapport aux pratiques françaises tels que ceux développés par la société Jimmy. Nous lançons le programme de recherche Pastis – PAssive Systems Thermalhydraulic Investigations for Safety – pour étudier les fameux systèmes passifs utilisés dans les SMR.

J'ai pris en charge ce sujet depuis 1991 et, hors une pause de deux ans, fréquenté successivement la direction de la sûreté des installations nucléaires (DSIN), l'Institut de la protection et de la sûreté nucléaire (IPSN), l'IRSN, puis l'Autorité de la sûreté nucléaire, comme Directeur général, avant de devenir en 2016 directeur général de l'IRSN et reconduit dans ce poste en 2021.

Je vous livre quelques constats tirés de mon expérience professionnelle : d'abord, les sujets liés à la sûreté nucléaire s'inscrivent dans le temps long. Lorsque j'ai commencé ma carrière dans ce secteur, la discussion portait sur les objectifs de sûreté des réacteurs de troisième génération – réduire le nombre d'incidents, les déchets, la probabilité d'un accident, éviter certains accidents graves –, objectifs de portée générale qui faisaient suite à un débat sur le choix entre réacteur évolutionnaire ou révolutionnaire – ce n'est pas neutre par rapport à l'histoire de l'EPR. J'ai également été témoin de la maturation des organisations qu'il s'agisse de l'IRSN ou du Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN) ou encore l'Anccli. Enfin, je note la permanence de plusieurs sujets tels que les séismes ou les gros composants.

Ensuite, notre activité est scandée par des crises de nature et d'intensité variables mais très fréquentes. Je citerai, dans l'exercice de mes fonctions, l'explosion de Rapsodie, un réacteur du CEA en 1994 ; l'accident de criticité au Japon en 1997 ; la fuite dans le circuit de refroidissement du réacteur à l'arrêt (RRA) à Civaux et la crise des transports contaminés en 1998 ; l'inondation de la centrale du Blayais en 1999 ; le passage à l'an 2000 – à une heure du matin, j'étais au centre de crise, c'était très sympa ; le 11 septembre 2001 ; un événement majeur, sans conséquences, mais peu commenté à la centrale de Davis-Besse aux États-Unis en 2002 – les Américains ne sont pas passés loin d'un problème très sérieux qui est devenu un cas d'école – ; les cas des surirradiés à Épinal et à Toulouse en 2007 et 2008 ; le rejet de 73 kilos d'uranium dans la Gaffière et d'autres cours d'eau depuis le site du Tricastin en 2008 ; Fukushima en 2011 ; un épisode de rejet de ruthénium venant de Russie en 2017 ; le séisme du Teil en 2019 ; le covid ; la guerre en Ukraine. Malheureusement, et cela est vrai pour toutes les activités à risque, les grands accidents sont ceux qui structurent les démarches de sûreté et de sécurité. Pour le nucléaire, les accidents de Three Mile Island, Tchernobyl et Fukushima ont chacun conduit à des évolutions sur plusieurs points.

Enfin, on observe l'implication grandissante de la société civile et la professionnalisation, au sens de la montée en compétences, des interlocuteurs.

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