Intervention de Jean-Christophe Niel

Réunion du jeudi 16 février 2023 à 15h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Jean-Christophe Niel, directeur général de l'IRSN :

L'IRSN se prononce sur la sûreté des installations. S'agissant du parc existant, pour répondre à la demande de l'ASN de se rapprocher des standards de l'EPR, et pour intégrer des événements récents tels que l'accident de Fukushima et les attentats du 11 septembre, EDF a réalisé un investissement technique et humain pour améliorer la sûreté. L'avis de l'IRSN de mars 2020 jugeait la démarche globalement satisfaisante. Parmi les recommandations adressées à l'ASN figuraient le renforcement du traitement des non-conformités – leur identification plus précoce, l'étude de risques, les travaux de remise en état – ainsi que l'ajout de certains composants dans le programme d'examen de non-conformité – les tuyauteries enterrées par exemple. EDF a organisé les travaux, au demeurant importants, en deux phases, les sujets le plus importants étant traités pendant la visite décennale, les autres dans la visite suivante. Le programme d'EDF prévoit aussi des études sur les accidents graves et le comportement des filtres.

Outre son avis générique sur les réacteurs de 900 mégawatts, l'IRSN intervient au cas par cas sur les sites sur lesquels EDF décline son programme éventuellement amendé. Nous commençons le travail sur les 1 300 mégawatts, lequel sera facilité par les similitudes entre les deux catégories. Toutefois, il reste des caractéristiques spécifiques parmi lesquelles la double enceinte en béton.

S'agissant des constructions en cours, l'IRSN a établi pour l'ASN un bilan des expertises incomplètes sur l'EPR. Ainsi, les échanges se poursuivent avec EDF sur la soupape de sûreté du pressuriseur qui est une pièce importante puisqu'elle permet de relâcher la pression dans le circuit primaire ; sur les puisards et les filtres qui jouent un rôle en cas d'accident grave dans la recirculation de l'eau. En outre, des matériels doivent encore être qualifiés, ce qui est normal tant que le réacteur n'a pas démarré.

Lorsque nous avions été auditionnés dans le cadre du rapport de Jean-Martin Folz « La construction de l'EPR de Flamanville », nous avions identifié plusieurs difficultés auxquelles l'EPR avait été confronté : après Tchernobyl, les concepteurs de réacteurs et les autorités de sûreté se sont interrogés sur le choix entre la conception de nouveaux réacteurs plus sûrs – le modèle révolutionnaire – ou l'amélioration de l'existant à partir des nombreux retours d'expérience. C'est la seconde option qui a été prudemment retenue. Or en améliorant l'existant, le plus souvent vous le complexifiez – dans le cas de l'EPR, le récupérateur de corium en est un bon exemple. Ensuite, la collaboration franco-allemande a dicté des choix diplomatico-techniques – la soupape du pressuriseur provenant de réacteurs allemands, EDF ne la maîtrisait pas autant que son propre composant ; il est prévu pour l'EPR2 de revenir à des soupapes plus proches de ce qu'il connaît. Troisième point, pendant très longtemps, l'EPR est resté un « réacteur papier ». Cela a sans doute créé un décalage entre ce qui était dessiné et ce qui était faisable sur le terrain. Enfin, je ne suis pas le seul à le dire, l'EPR a souffert d'une perte d'habitude, le dernier réacteur ayant été mis en service en 1998.

En ce qui concerne l'EPR2, quelle que soit la décision qui sera prise, nous commençons à nous intéresser, en lien avec EDF et l'ASN, à certains sujets tels que les gros composants.

En 2018, nous avons rendu un avis sur les options de sûreté d'un réacteur dénommé EPR nouveau modèle (EPR NM), dont l'EPR 2 est dérivé. L'EPR NM conservait le principe général de l'EPR, mais beaucoup de choses étaient modifiées. L'EPR 2 est en quelque sorte un EPR NM dans lequel on a repris la chaudière de l'EPR et fait évoluer les bâtiments périphériques.

Nous avions dit dans l'avis rendu sur l'EPR NM que les options de sûreté retenues par EDF étaient telles que le réacteur devrait pouvoir atteindre un niveau supérieur à celui de l'EPR. Nous avions aussi constaté que l'EPR NM intégrait bien les retours d'expérience du parc en exploitation, de l'EPR et de l'accident de Fukushima.

Notre seul commentaire à l'époque portait sur le fait qu'EDF souhaitait un réacteur plus puissant. L'IRSN avait recommandé d'en rester à une puissance moindre, car le surcroît de puissance conduisait à se rapprocher de limites de sûreté. EDF est finalement revenu à la puissance retenue pour l'EPR actuel. Nous avions aussi constaté une amélioration des bâtiments périphériques – ce que l'on appelle les systèmes « support » aux systèmes de sauvegarde. De notre point de vue, il ne devrait pas apparaître de nouveau sujet.

Le travail reste à faire et nous allons examiner le dossier d'autorisation de création, mais il s'agit d'un réacteur qui repose sur des bases qui ont déjà été bien expertisées.

Il n'existe pas de définition précise des petits réacteurs modulaires ( Small Modular Reactors – SMR). Selon l'acception internationale, il s'agit en général de réacteurs de moins de 300 mégawatts. L'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) en compte plus de quatre-vingts modèles, avec des conceptions et surtout des niveaux de maturité très différents. Le terme « modulaire » peut être interprété de deux manières. D'une part, ces réacteurs sont destinés à pouvoir être installés les uns à côté des autres en fonction des besoins de producteurs d'électricité, voire sur des sites industriels. D'autre part, il s'agit de réacteurs de petite taille, qui peuvent être construits en atelier. C'est plutôt bien en matière de sûreté, car il est par exemple plus facile de contrôler des soudures dans ce cadre que dans une ambiance de chantier – on sait que cette question des soudures a défrayé la chronique s'agissant de l'EPR.

Le projet de SMR français Nuward retient un concept proche de celui de réacteurs existants – ceux qui sont installés dans les sous-marins. Un choix technologique innovant a été retenu pour le générateur de vapeur, mais de notre point de vue il n'y a pas de verrous techniques à lever – ce qui n'est pas le cas pour d'autres projets de SMR. Il faudra procéder à la démonstration de sûreté, mais nous n'anticipons pas de difficultés importantes.

Une des caractéristiques importantes des SMR – et de leur intérêt pour leurs concepteurs – réside dans le fait que les systèmes de sûreté sont passifs. Cela signifie qu'ils ne nécessitent ni l'intervention d'un opérateur, ni une alimentation électrique. C'est un sujet qui attire l'attention de l'IRSN car ces systèmes passifs doivent fonctionner lorsque c'est nécessaire, y compris en situation d'accident. C'est la raison pour laquelle nous avons obtenu un financement dans le cadre du programme d'investissements d'avenir (PIA) pour construire une station expérimentale sur le site de Cadarache, afin de simuler le fonctionnement de systèmes passifs et de recueillir des données expérimentales. Celles-ci seront utilisées dans nos codes de calcul pour expertiser des projets de SMR, le moment venu.

Le dernier exemple de SMR est celui du réacteur haute température conçu par la startup Jimmy. Nous avons expertisé son dossier d'option de sûreté et conclu qu'il était bien réalisé. Il reste à le compléter sur des points de nature technique. L'IRSN est tout à fait disposé à aider les concepteurs, dans ces conditions qui seront à définir, avec des formations à la sûreté ou par la mise à disposition de nos codes de calcul. Mais nous ne pouvons pas réaliser les études à leur place, car cela nous ferait franchir une limite déontologique.

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