Intervention de Nicolas Hulot

Réunion du mardi 28 février 2023 à 14h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Nicolas Hulot, ancien ministre d'État de la transition écologique et solidaire :

Lorsque j'ai pris mes fonctions, j'ai souhaité que le mot solidaire soit ajouté à l'intitulé du ministère, car j'avais une cruelle conscience que la mutation qui était devant nous – ce changement de paradigme que vous venez d'évoquer – était conditionnée à son acceptabilité sociétale. Compte tenu de l'urgence, nous devions garder ce paramètre en tête.

Dans le domaine purement énergétique, la loi « Grenelle 1 », la loi « Grenelle 2 », la loi relative à la transition écologique pour la croissance verte ou le plan Climat s'étaient accompagnés de nombreux engagements, mais les objectifs fixés n'étaient pas en voie de réalisation. Pour ce qui était de la réduction de la consommation, du développement des énergies renouvelables ou de l'évolution de la part du nucléaire dans le mix électrique, nous ne respections pas les trajectoires souhaitées.

La transition énergétique est un terme générique, derrière lequel se profile une transformation de notre modèle économique et de notre modèle de société. Celle-ci ne peut pas se faire dans la brutalité, car elle remet en cause des éléments fondamentaux. Malheureusement, le sens de la planification fait défaut à notre démocratie.

En matière énergétique, nous devions concilier plusieurs contraintes, la première étant, vous l'avez rappelé, la sécurité de l'approvisionnement. La couverture des besoins essentiels des entreprises, comme des particuliers, devait être assurée.

Par ailleurs, nous devions tenir compte du paramètre climatique, qui prime presque sur tout le reste. Il a fallu du temps pour prendre conscience de son importance et il s'est finalement imposé brutalement, nous contraignant à programmer la sortie de l'économie carbone. Chez nous, comme ailleurs, elle était l'économie de référence. Sans rappeler le rôle que les énergies fossiles ont joué dans le développement des économies contemporaines, nous avions une forme sinon d'addiction, du moins de dépendance, vis-à-vis de ces énergies. Elles ont permis certaines choses que nous pouvons mettre au crédit du progrès, même si cela n'a pas été sans conséquences.

Nous devions également prendre en compte la réalité énergétique de notre pays, avec un parc nucléaire composé de cinquante-huit réacteurs, parfois vieillissants.

Il nous fallait composer avec toutes ces contraintes, alors que nous avions déjà accumulé un retard considérable dans l'atteinte de nos objectifs. Pour respecter la loi, nous aurions dû mettre en place des mesures d'une grande brutalité sociale. Elles nous auraient également fait prendre des risques concernant la sécurité d'approvisionnement et la sûreté de notre appareil de production, notamment dans le domaine du nucléaire.

Il était nécessaire de tout remettre à plat. Nous avons essayé de dresser un état des lieux, sans aucun dogme, en ayant une approche intégrale et transversale de la politique énergétique, c'est-à-dire en nous intéressant autant à l'offre qu'à la demande.

Tous ceux qui se sont un peu intéressés à la question le diront, le modèle énergétique de demain, quel qu'il soit, reposera sur la sobriété, clé de voûte de toute réussite. Or de ce point de vue, nous étions aussi très en retard. Nous étions confrontés à une croissance constante des besoins d'énergie, du fait de l'urbanisation, de l'évolution des comportements et de l'utilisation massive de nouveaux appareils ou de l'explosion des véhicules électriques de plus en plus énergivores. Il était indispensable de retrouver une certaine rationalité.

Avec mon cabinet, nous avons adopté une méthode consistant à ne pas nous focaliser sur l'électricité, mais à appréhender la politique énergétique de manière globale. Notre ambition était de développer des filières industrielles, de protéger l'approvisionnement et l'indépendance nationale, de réduire la demande d'énergie – nous la considérions comme une priorité, en particulier s'agissant des énergies fossiles –, et de soutenir les différentes formes d'énergies renouvelables. Nous avons réussi à faire accepter le gaz comme énergie de transition, ce qui n'était pas évident à l'époque. Je nous félicite d'avoir pris l'initiative d'augmenter les capacités de stockage : cette décision nous permet certainement de passer l'hiver actuel dans de meilleures conditions.

Concernant la réduction de la part du nucléaire dans le mix électrique et sa limitation à 50 %, j'ai été obligé de prendre une décision, difficile pour moi, mais rationnelle. Si nous n'avions pas repoussé l'échéance, nous aurions dû imposer des mesures brutales dont nous n'aurions pas forcément maîtrisé les conséquences.

Nous avons surtout organisé la fin des énergies fossiles, en prenant en compte les enjeux de développement territorial.

S'agissant de la terminologie, plutôt que de parler d'indépendance ou de souveraineté, j'emploierais plutôt le mot de « vulnérabilité ». Un pays produisant l'intégralité de l'énergie qu'il consomme à l'intérieur de ses frontières sans être dépendant d'autres technologies ou d'autres sources d'approvisionnement remplirait les conditions de la souveraineté. La France n'a semble-t-il jamais connu une telle situation, même à l'époque du charbon. Nous en sommes loin désormais : en ce qui concerne les énergies fossiles, nous dépendons principalement de la Russie pour le gaz et du Moyen-Orient pour le pétrole. S'agissant du nucléaire, nous dépendons de l'uranium importé notamment du Kazakhstan. Il faut se garder de sous-estimer la complexité des chaînes de valeur. Celles-ci impliquent de nombreuses technologies, qui peuvent aussi être source de dépendance. Ne voyez pas dans cette remarque une critique facile vis-à-vis du nucléaire ! Nous devons toutefois être objectifs.

Dans mon esprit, l'indépendance énergétique pourrait être atteignable à l'échelle européenne, même si nous sommes également dans une forme de dépendance concernant les énergies renouvelables. Celles-ci ont besoin de matières premières, comme les terres rares, dont nous n'avons pas trouvé de réserves dans notre sol, en tout cas pas pour le moment.

L'esprit dans lequel nous avons travaillé consistait à remettre de l'ordre et, autant que possible, à dresser un état des lieux. Un ministre manque souvent d'informations. Il est facile de dire qu'il faut fermer une centrale ou réduire la part du nucléaire à 50 % du mix électrique, mais quel est le coût social ou le coût économique d'une telle décision ? Comment être certain qu'elle n'entraînera pas une rupture d'approvisionnement ?

Je ne suis pas resté en poste très longtemps, mais jusqu'à la fin, il m'a manqué beaucoup d'éléments pour appréhender la situation de manière globale. Combien coûte le démantèlement ? Quelle prolongation d'exploitation serait envisageable, pour quels réacteurs, quelles centrales ? Les données, lorsque j'en avais, n'étaient pas toujours concordantes. Dans ces conditions, il était difficile de prendre des décisions.

J'ai beaucoup regretté que le débat sur la stratégie énergétique de la France se focalise en permanence sur un rejet ou une défense du nucléaire ou des énergies renouvelables. Ces positions tranchées nuisent à une réflexion rationnelle et experte. Elles sont presque devenues un marqueur politique. Compte tenu des enjeux sociaux, économiques ou écologiques, cette situation me désole. Les travaux de votre commission permettront peut-être de revenir à un peu de rationalité.

La question est tellement épidermique qu'elle s'est traduite par une multiplication des fronts de refus. Quand vous êtes ministre de l'énergie, vous avez face à vous les antiéoliens, les antisolaires, les antithermiques et les antinucléaires. Je caricature évidemment, mais la situation peut devenir compliquée, car en démocratie, il faut tenir compte des oppositions locales ou nationales.

Il n'existe pas de modèle parfait. Je défie quiconque de démontrer que les énergies renouvelables pourraient, à elles seules, pourvoir aux besoins d'énergie de la France – je le souhaiterais, pourtant. Le nucléaire ne le permettrait pas non plus. Rien n'est tout blanc ou tout noir. Dans le domaine énergétique comme dans beaucoup d'autres, la diversité est probablement la meilleure option. Elle doit en outre s'accompagner de sobriété, c'est-à-dire d'une baisse drastique de notre consommation. Les gisements sont nombreux et pourraient permettre la création d'emplois non délocalisables. Grâce aux économies réalisées, nous pourrions en outre réorienter de l'argent vers des secteurs prioritaires comme la santé, l'éducation ou l'environnement.

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