Intervention de Marie-Noëlle Battistel

Séance en hémicycle du mardi 21 mars 2023 à 15h00
Accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires et fonctionnement des installations existantes — Explications de vote

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Noëlle Battistel :

Vous le savez, le groupe Socialistes et apparentés n'est pas une formation politique antinucléaire : aucun président de la République n'a engagé la construction ou inauguré autant de réacteurs nucléaires que François Mitterrand. Nous l'avons souligné tout au long des débats : si notre objectif à terme est d'élaborer un mix énergétique diversifié et entièrement composé d'énergies renouvelables, le retard pris dans le développement de ces énergies, la maturité des technologies, l'électrification des usages et l'état du parc électronucléaire rendent fort probable la nécessité de recourir à un nouveau nucléaire de transition.

Cependant, il est évident qu'on ne peut prendre une telle décision que dans le cadre d'une vision plus globale, programmatique, qui embrasse les efforts de sobriété à fournir, y compris dans un contexte de réindustrialisation, comme le développement de chaque type d'énergie décarbonée. Seule une loi de programmation sur l'énergie et le climat permettrait d'y parvenir. Madame la ministre de la transition énergétique, vous avez fini par répondre à nos questions inquiètes sur son arrivée, mais on ne peut pas dire que votre réponse ait été très rassurante, d'autant que votre décision d'utiliser une deuxième lecture au Sénat pour maintenir ou intégrer des dispositions vous offre la possibilité de nous priver de ce débat très attendu.

Ainsi, la part du nucléaire dans le mix énergétique n'a plus ni plancher ni plafond. Tout au long du texte, les objectifs et les outils d'évaluation ne sont fondés que sur un unique scénario : la construction de quatorze nouveaux réacteurs. Nous ne pouvons pas soutenir un texte qui préempte ainsi le futur projet de loi de programmation sur l'énergie et le climat comme le débat démocratique que nous devons avoir sur ce sujet.

Votre objectif affiché est d'accélérer les procédures. Très bien. Pourtant, le rapport de Jean-Martin Folz sur la construction de l'EPR – réacteur pressurisé européen – de Flamanville nous a au moins appris que les délais de mise en compatibilité du schéma de cohérence territoriale (Scot) ne sont pas responsables des retards pris dans la construction de cet EPR. Il s'agit d'abord d'un problème de capacité industrielle. Or le texte ne prévoit rien, ou quasiment rien désormais, concernant les aspects fondamentaux que sont les métiers, les compétences et la formation. Il ne prévoit rien non plus s'agissant du parcours du combustible ou de la gestion des déchets, alors que les évaluations en matière de capacité ne tiennent pas compte d'un parc de quatorze nouveaux réacteurs et que nous n'avons pas de solution d'entreposage au-delà de 2040. Ainsi, les causes structurelles des retards ne sont pas résolues, et nous faisons de la législation de chef de bureau sur un aspect mineur du calendrier d'un nouveau réacteur.

Au milieu de ce petit choc de simplification, nous percevons de grands motifs d'inquiétude. Outre la dérogation totale, sans compensation ni contrepartie, à la loi « littoral » – loi 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral –, je dénonce le nouvel article 1er BA, cadeau supplémentaire au groupe Les Républicains, qui prévoit ni plus ni moins que de supprimer la procédure d'autorisation d'exploitation d'un réacteur électronucléaire, en ne conservant que celle d'autorisation de création. L'autorisation de créer l'installation de Flamanville, par exemple, date du 10 avril 2007, près de dix-huit ans avant son exploitation projetée ; un nombre considérable de modifications sont intervenues depuis, que l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) doit contrôler. Comment peut-on envisager de se priver d'un tel processus ? Comment peut-on le faire en déposant un amendement sans fournir d'étude d'impact ? Il faudra évidemment revenir sur ce point au cours de la navette.

L'atteinte à la sûreté nucléaire a atteint son paroxysme avec la proposition – tombée du ciel – de fusionner à la hussarde l'ASN et l'IRSN – Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire. Fort heureusement, une majorité de députés a fait le choix de surseoir à ce projet. Vous avez pointé du doigt un prétendu coup du rideau sur l'article 11 bis, en occultant la responsabilité de votre propre majorité, éclaircie : sur le vote de l'amendement tendant à réécrire l'article, pas moins de dix députés du groupe Renaissance, de la moitié des députés du groupe MODEM et de la moitié des députés du groupe Horizons et apparentés présents ont voté contre l'avis de la rapporteure et du Gouvernement. Sur ce sujet, votre majorité était donc largement fracturée – à juste titre.

Dans le contexte des événements survenus jeudi dernier, vous avez fait le choix – bienvenu – de ne pas solliciter de seconde délibération. Néanmoins, vos intentions en la matière sont assumées, comme en témoigne votre rejet de la main que nous vous avons tendue pour parvenir à un compromis sur l'article 9 A, afin, au minimum, d'évaluer l'opportunité d'une telle réforme.

Ainsi, le projet de loi usurpe les prérogatives d'une future loi de programmation sur l'énergie et le climat, voire la rend inutile ; il ne provoquera pas de réelle accélération, faute de s'attaquer aux causes principales des retards, qui sont industrielles ; avec l'article 1er BA et le maintien du cap vers la fusion, non travaillée, de l'ASN et de l'IRSN, il pose les fondements de la défiance des Français envers l'industrie nucléaire. Notre groupe votera donc contre ce texte.

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