Intervention de François de Rugy

Réunion du mercredi 8 mars 2023 à 20h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

François de Rugy, ancien président de l'Assemblée nationale, ancien ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire :

Sur l'énergie et sur la production d'électricité, si l'on observe ce qui s'est fait depuis l'après-guerre ou même sous la Ve République, objectivement, on débat beaucoup plus à l'Assemblée nationale de ces sujets que dans les années 1950, 1960, 1970 ou même 1980. Il n'existait pas de loi pour lancer le programme électronucléaire français. Vous demandez comment les députés sont informés, éclairés, mais je pense que d'autres personnes rêveraient de revenir à ces temps anciens où on ne parlait pas de ces sujets au Parlement, et, je le dis en tant qu'ancien ministre, où il y avait une forme d'État dans l'État, où les ministres n'étaient pas forcément informés de façon fiable, honnête, de bonne foi par un certain nombre d'acteurs qui se considéraient comme pouvant agir en propre sans avoir de compte à rendre aux décideurs politiques. Une partie des problèmes actuels vient de là ; je me permets de le dire, car c'est un sujet important pour les Français et qui a des conséquences très concrètes. Les difficultés d'EDF ne se limitent pas à la question de l'EPR de Flamanville ou de la maintenance des 56 réacteurs existants, mais aussi à sa situation financière. Il faut aussi assumer politiquement que tout cela a un prix et qu'à la fin, cela se retrouve dans le prix de l'électricité.

Sur le « verre à moitié vide », il existe la question plus générale : quand on vote des lois, effectue-t-on un travail préalable d'évaluation de la situation ? Ce n'est pas la tradition des institutions françaises et ce n'est pas celle du Parlement français. Je le regrette. Quand j'étais président de l'Assemblée nationale, j'ai voulu que celle-ci se dote d'un véritable organe d'évaluation, non pas dans le sens où l'entend souvent, à savoir évaluer la loi une fois votée, mais au sens d'évaluer la loi avant de la voter. De ce point de vue, le travail de votre commission est très utile. D'autres débats ont lieu en parallèle, mais cela peut tout de même nourrir les décisions qui vont être prises dans les mois ou les années à venir. Il y a eu une commission en 2014, mais elle était centrée sur un seul sujet, le coût du nucléaire.

Il s'agirait d'un changement culturel. En France, dans le débat politique, on préfère toujours se chamailler – terme quelque peu enfantin, qui est un euphémisme – sur ce que l'on devrait faire et non pas sur ce qui a été fait, sur l'évaluation concrète aussi objectivée que possible de ce qui a été fait. Il serait intéressant que vous posiez la question d'Astrid, que les parlementaires puissent prendre connaissance des raisons pour lesquelles, après avoir mis de l'argent, cela ne fonctionnait pas.

Quand j'étais président de l'Assemblée nationale, j'ai échoué sur ce sujet, sans doute parce que je ne suis pas resté assez longtemps et parce que la volonté n'était pas partagée par tout le monde. Le gouvernement avait indiqué qu'il mettrait à disposition les experts de France Stratégie, qu'ils seraient transférés sous l'autorité du Parlement pour mener ce travail d'évaluation. À peine avait-il fait cette proposition qu'elle a été retirée. J'ai proposé de développer notre propre expertise, nos propres outils, de payer des experts temporairement sur des missions de six mois, d'un an ou deux, sur des sujets sur lesquels des débats législatifs auraient lieu. Cela n'a pas été suivi après moi.

Au-delà de cela, c'est aussi aux députés de se saisir des sujets. Vous le faites et c'est très bien. Sur le débat de la LTECV en 2015, certains députés s'étaient saisis des sujets, avaient travaillé en amont. J'en faisais partie. M. François Brottes, qui était le rapporteur de ce texte de loi, avait travaillé depuis de nombreuses années sur ces sujets. Après, y avait-il suffisamment de personnes à l'Assemblée nationale à y avoir travaillé ? C'est une autre question. Un ancien président d'EDF m'avait indiqué que trop peu de responsables politiques s'intéressaient aux enjeux énergétiques. Alors même que nous n'avions pas le même point de vue, il avait reconnu que nous étions quelques-uns à nous être vraiment intéressés à ces sujets en tant que députés. Cela ne concerne d'ailleurs pas que l'électricité, mais aussi le gaz, le pétrole, etc. Il est certain que si l'on préfère faire des tweets qui enregistrent des millions de vues parce qu'on aura fait de la provocation ou participer à des émissions de télévision où l'on préfère s'empailler avec des symboles, on ne prendra pas les bonnes décisions.

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