Intervention de Nicolas Sarkozy

Réunion du jeudi 16 mars 2023 à 9h30
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Nicolas Sarkozy, président, ancien président de la République :

Il est émouvant pour moi de revenir dans ces lieux, que j'ai beaucoup aimés, comme le mandat que j'y ai exercé.

Je veux dire, avant toute chose, que le nucléaire est un sujet qui relève du Président de la République, parce qu'il y va de notre indépendance et que les décisions dans ce domaine ont des effets sur plusieurs décennies. C'est moi qui ai décidé l'installation des éoliennes offshore au large des Pays de la Loire, mais c'est M. Emmanuel Macron qui les a inaugurées – c'est dire s'il y a un continuum. Et le nucléaire a fait l'objet d'un consensus politique. J'ai été ministre sous la présidence de François Mitterrand, pendant la cohabitation : jamais il n'a remis en cause le nucléaire.

Le nucléaire est un sujet du Président de la République, non pas parce que le Président est ingénieur, mais parce qu'il doit remonter sur son bureau. Un ministre de l'industrie ne peut pas décider, à lui seul, de ces questions : elles concernent trop de monde et engagent trop l'avenir.

Toute ma vie politique, j'ai pensé que la filière nucléaire était une chance pour la France. Je n'ai jamais changé d'avis et j'ai d'ailleurs souvent été accusé de faire partie du « lobby nucléaire ». Plaisanterie ! Le seul lobby qui existe, c'est le lobby antinucléaire, qui a bénéficié pendant des années de la bienveillance médiatique. Les raisons pour lesquelles je suis pour le nucléaire ne sont pas très originales, mais elles n'en sont pas moins exactes et, à ce titre, méritent d'être martelées – et on entend tellement de bêtises !

La première raison est très simple : nous n'avons pas d'énergies fossiles. Ce n'est pas parce que c'est connu que cela ne doit pas être rappelé. Tout part de là !

La deuxième raison, c'est que nous avons besoin du nucléaire pour atteindre nos objectifs environnementaux ; sans lui, nous n'y arriverons pas. Ceux qui se préoccupent le plus du réchauffement climatique devraient être les premiers défenseurs du nucléaire. Cela n'a aucun sens de l'opposer aux énergies renouvelables ! Les partisans de l'énergie nucléaire sont tous pour les énergies renouvelables, mais beaucoup de partisans des énergies renouvelables sont contre l'énergie nucléaire, alors qu'ils devraient être pour.

La troisième raison est moins mise en avant, mais elle est essentielle : la filière nucléaire a accumulé pendant soixante-dix ans des compétences scientifiques et technologiques extraordinaires, grâce auxquelles elle tire derrière elle toute l'industrie. Or, au moindre signal de mise en cause du nucléaire, c'est toute la filière de formation que l'on met à mal, et durablement, car il faut des années pour former nos meilleurs ingénieurs. C'est le même problème que les quotas dans les études de médecine : ils sont indolores au début mais, dix ans plus tard, on manque de médecins. La filière nucléaire est fantastique et elle tire tout le monde vers le haut. Il faut voir le dévouement de ceux qui travaillent dans les centrales, pas seulement les ingénieurs et les concepteurs, mais aussi les gens qui y sont au quotidien : ils aiment leur métier.

Ma quatrième raison d'être pour le nucléaire, c'est qu'elle est, de toutes les énergies, celle qui produit le moins de nuisances, visuelles comme sonores. Aucune énergie n'est totalement neutre ; toute forme d'énergie produit des effets négatifs ou indésirables.

Enfin, le nucléaire est l'énergie qui permet d'avoir l'électricité la moins chère.

Tout cela est tellement évident et incontestable qu'on se demande comment des gens peuvent être contre le nucléaire. Il n'y a pas besoin d'être polytechnicien pour le comprendre.

Pour aggraver mon cas, j'ai récapitulé tous les moments d'« aiguillage » où j'ai eu à prendre des décisions en la matière : toute ma vie politique, elles ont été en faveur de la filière nucléaire, et je les ai toujours assumées publiquement, quel que soit le prix politique à payer. Aujourd'hui, c'est facile d'être pour le nucléaire : j'en vois qui font des doubles ou des triples saltos arrière ! Mais, à l'époque, le nucléaire a fait l'objet d'une campagne de dénigrement digne des chasses aux sorcières du Moyen Âge, irrationnelle et mensongère, d'une hystérie médiatique et collective fondée sur rien. Les premières fake news sont nées à propos du nucléaire.

La première décision que j'ai eue à prendre, c'était en 2004, en tant que ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est moi qui ai fait le choix de lancer un réacteur de troisième génération, le réacteur pressurisé européen (EPR), et de le construire à Flamanville. J'ai choisi cette localité, parce que sur les deux qui m'étaient proposées, tout le monde était d'accord pour celle-ci, alors que Laurent Fabius était contre Penly.

Lors de la campagne présidentielle de 2007, un animateur de télévision, dont j'ai oublié le nom, a fait défiler les candidats devant des ONG. Ce n'est pas le moment le plus digne de ma vie politique, mais je voulais être élu… Devant ces ONG, des gens bien, modernes, qui savaient ce qu'il fallait faire, j'ai acté que je ferai le Grenelle de l'environnement – c'était quelque chose d'assez nouveau, associant les élus, les syndicats, le Gouvernement et les ONG – mais j'ai dit aussi que jamais je ne remettrai en cause le nucléaire. Trois mois avant l'élection, j'ai dit que je le sanctuariserai et j'ai acté notre désaccord. C'est d'ailleurs à cause de ce désaccord que Greenpeace – dont le directeur des campagnes allait devenir, en 2022, le candidat des écologistes à la présidentielle –, a refusé de participer au Grenelle. Ils voulaient déjà casser la filière.

Le 12 octobre 2007, peu après mon élection, je suis allé sur le site de la centrale de Penly pour annoncer que la filière nucléaire resterait « le cœur de la production électrique française ». J'ai souligné que si la France produisait deux fois moins de gaz à effet de serre par habitant que les autres pays d'Europe, c'était grâce au nucléaire : il n'y avait pas de mystère. On ne pouvait pas me dire qu'il fallait lutter contre les gaz à effet de serre et détruire la filière qui en produit le moins. J'ai précisé que nous allions développer le renouvelable, mais qu'il s'agirait évidemment d'un complément et non d'un substitut du nucléaire. Ceux qui expliquent que le renouvelable peut se substituer au nucléaire mentent : c'est impossible. Je n'ai jamais pensé qu'il fallait choisir entre le nucléaire et le renouvelable : il faut le nucléaire et le renouvelable, en complément.

Le 3 juillet 2008, au Creusot, je récidive en annonçant la construction d'un deuxième réacteur de nouvelle génération. Nous faisions face à une flambée des prix des hydrocarbures. Le bon sens nous imposait de renforcer nos capacités nucléaires. J'ai donc décidé de créer un deuxième EPR, à Penly. Je suis allé plus loin en demandant à ma ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, Mme Valérie Pecresse, de développer de nouveaux programmes de formation, car je savais que nous aurions besoin de 1 200 ingénieurs nucléaires de plus par an à partir de 2010. Je rappelle que le projet de Penly a été arrêté par M. François Hollande –nul ne sait pourquoi – avant d'être relancé. Nous avons perdu douze ans, et pas à cause d'un manque d'ingénieurs ou d'un problème de moteur. J'avais pris la décision, le site était choisi, tout était possible. Pourquoi être revenu là-dessus ?

Le 6 février 2009, je me rends sur le site de Flamanville. Alors que nous subissons les effets de la crise financière de 2008, j'annonce mon intention de faire du nucléaire le moteur de la reprise économique. Notre déficit extérieur était très important. Je pensais que les futurs EPR, qui produisent chacun 12 milliards de kilowattheures par an, nous permettraient d'avoir facilement des excédents à l'export : chacun représentait un potentiel de 600 millions d'euros par an. Je voulais que la France, non seulement soit autonome énergétiquement, mais puisse exporter.

Dans un souci d'équilibre, je précisais : « Ce n'est pas parce que la France est le champion du nucléaire qu'elle doit être la lanterne rouge des renouvelables. » Et j'annonçais notre soutien au développement d'une véritable filière du renouvelable. Je précisais aussi, sous forme d'avertissement, qu'il est très difficile de « recréer la compétence nucléaire […] dans un pays qui n'investirait plus dans cette technologie » et que « la succession de périodes d'investissement massif et de périodes d'arrêt complet serait destructrice pour une filière […] d'une telle intensité technologique ».

Les signaux désastreux qui ont été envoyés ont détourné nos meilleurs étudiants de la filière nucléaire. Contrairement à ce que l'on dit souvent, la parole du politique compte, et les mots ont un sens, surtout en France, où on a l'amour des mots. Arrêter la filière du nucléaire, c'est la détruire. Avec le nucléaire et les filières à haute intensité technologique, vous avancez ou vous reculez ; vous vivez ou vous mourez.

Le 3 mai 2011, je vais sur le site de la centrale de Gravelines et je dis que « nous allons continuer à investir dans le nucléaire pour développer la production d'électricité ». C'est quelques semaines après Fukushima ; je ne reçois pas d'applaudissements. Je précise que sans le nucléaire, le prix de l'électricité serait multiplié par quatre. Mes propos suscitent l'indignation des écologistes, comme des socialistes, qui ne faisaient pas mystère de leur volonté de freiner brutalement le développement de la filière nucléaire.

Dans le même temps, j'annonce que j'ai décidé de lancer un audit de sécurité sur tous les équipements nucléaires, sans exception – pas seulement les centrales. L'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) fait déjà 700 contrôles par an et toutes les centrales passent au grand contrôle tous les dix ans. Mais, après Fukushima, je décide de faire, en plus, un audit sur toutes les installations nucléaires. Au passage, je trouvais étrange que les mêmes personnes pour qui le nucléaire était dangereux refusent qu'on investisse dans cette filière, alors que, grâce aux retours d'expérience, les nouvelles centrales sont plus sûres que les anciennes. C'est incohérent.

D'ailleurs, si le nucléaire est dangereux, il faudrait fermer toutes les centrales. Pourquoi seulement Fessenheim ? Il ne faut sauver que les Alsaciens ? C'est invraisemblable de dire une chose pareille ! Et le pire, c'est que tout cela pouvait être asséné sans provoquer de tollé dans les médias, bien au contraire.

Le 7 juin 2011, j'ai un entretien téléphonique avec la chancelière Merkel, à la suite de l'annonce de l'Allemagne de fermer les neuf centrales nucléaires de Bavière. Cet entretien est franc – j'ai du respect et de l'admiration pour Angela Merkel, et j'ai aimé travailler avec elle. Je lui fais part de mon incompréhension et elle me répond : « Nicolas, tu n'as pas vu Fukushima ? » À quoi j'ai rétorqué : « Mais d'où le tsunami pourrait-il arriver en Bavière ? » C'était un moment difficile. On pourrait me reprocher, et je l'accepte, de ne pas avoir marqué publiquement mon désaccord. J'ai toujours pensé que le couple franco-allemand était important et qu'il ne fallait pas jouer avec lui. Entre le règne de Louis XIV et 1945, nous nous sommes affrontés tous les trente ans. Avec les Italiens, on peut s'étriper, cela n'a aucune importance, on s'aime ; s'agissant du couple franco-allemand, il faut prendre soin de l'acquis de la réconciliation et de la paix, qui est tellement précieux. Je n'ai donc pas protesté publiquement et je me suis contenté de dire que les Allemands auraient besoin d'électricité après l'arrêt de leurs centrales et que nous pourrions leur en vendre. J'ai également dit qu'après Fukushima, un chef d'État devait garder son sang-froid et qu'aucune fermeture de centrale n'aurait lieu en France. Aucune ! Au passage, quand les Allemands ont fermé leurs centrales nucléaires, ils ont rouvert toutes leurs centrales à charbon, dont on sait parfaitement que les particules – je le dis aux écologistes – sont transportées jusqu'à Paris par les vents. Il y avait quand même beaucoup de cynisme dans cette décision.

Le 25 novembre 2011, j'ai visité la centrale de Pierrelatte où j'ai déclaré que la réduction de la part de l'énergie nucléaire provoquerait une vague massive de délocalisations et serait un cataclysme économique et une folie. Je peux tout entendre et tout comprendre – ma conviction n'est pas forcément la bonne –, mais personne ne peut dire que nous n'avons pas mis en garde sur les conséquences de la réduction de la part du nucléaire. Il y a eu un débat sur cette question, les responsables politiques ont dit ce qu'ils pensaient. Il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier, c'est trop facile ! Des gens ont assumé les responsabilités de l'État. J'ai dit que cette politique serait une folie qui entraînerait un mouvement de délocalisations massif. Je visais là l'accord passé entre le Parti socialiste et Europe Écologie Les Verts en novembre 2011, qui prévoyait la fermeture de vingt-quatre de nos cinquante-huit réacteurs pour réduire de 74 % à 50 % la part du nucléaire dans la production d'électricité française. L'accord stipulait, en outre, la fermeture de l'usine de retraitement de La Hague et celle de production de combustibles de Marcoule : pourquoi ? Ils voulaient fermer l'installation de retraitement et celle de production, ils voulaient tuer la filière. Cet accord faisait écho à la décision prise en 1998 par Lionel Jospin de fermer Superphénix, qui faisait du retraitement, pour faire plaisir à Dominique Voynet. Il y a donc une constance, entre ceux qui ont voulu détruire la filière et ceux qui l'ont promue. Dans une démocratie, il importe de souligner les erreurs des uns et des autres – les miennes pour commencer –, mais quand on a eu raison contre le courant dominant, chacun doit avoir le courage de le reconnaître. Les projets de fermeture des usines de Marcoule et de La Hague me semblent plus représentatifs de la volonté de détruire la filière. Les mêmes disaient qu'un problème d'uranium allait se poser alors qu'ils voulaient fermer ces usines : quelle est la cohérence ?

Sans vouloir polémiquer, je souhaiterais vous citer trois phrases prononcées à cette époque, florilège extrait d'un corpus effarant. À la suite de ma déclaration à la centrale de Pierrelatte, M. François Hollande a affirmé ceci : « En défendant le nucléaire, Nicolas Sarkozy montre qu'il est un homme du passé car il défend un modèle économique dépassé. » Les faits ont parlé, et je ne suis pas sûr que le nucléaire soit plus dépassé que d'autres. Mieux, Mme Martine Aubry, alors première secrétaire du Parti socialiste, a dit : « Avec le nucléaire, Nicolas Sarkozy est le président du siècle dernier. » Enfin, la candidate écologiste à la présidentielle de 2012, Eva Joly, que j'ai peu l'habitude de citer, avait prétendu que « défendre le nucléaire, c'est s'accrocher à la ligne Maginot ou au minitel. » Mesdames, messieurs, quelles que soient vos convictions – et je m'excuse si je blesse tel ou tel ici –, entendre cela, non pas au Moyen Âge, mais en 2011, est grave. Je peux comprendre qu'on soit contre le nucléaire, mais une telle incompréhension fait honte ! À cela j'ai répondu – et je n'ai pas changé d'avis – que le nucléaire n'était ni de droite, ni de gauche, mais qu'il était l'intérêt supérieur de la France.

À l'époque, mes contradicteurs faisaient deux contresens historiques terribles.

Le premier était que la demande d'électricité allait baisser. Comment ? Pourquoi ? En France ? En Europe ? Dans le monde ? Quand je suis né, il y avait 2,5 milliards d'habitants dans le monde et, alors que je suis encore très jeune, il y en a actuellement 7,5 milliards, soit une multiplication par trois. Dans trente ans, ce nombre aura dépassé 8 milliards et, selon certains, 10 milliards à la fin du siècle, et la demande d'électricité va baisser ? J'ai entendu un animateur de télévision devenu ministre se réjouir, dans la même journée, que, dans quinze ans, le parc nucléaire français serait complètement fermé et que le parc automobile serait totalement électrique. Mais l'électricité, ça se récolte ? Je crois au débat, mais, clairement, il faut avoir conscience que l'électricité se produit – par du pétrole, du gaz, du charbon ou du nucléaire.

Le second contresens tenait à la conviction que l'éolien serait la source énergétique de remplacement. Si vous voulez remplacer les vingt-quatre réacteurs nucléaires promis à la disparition, il faut 30 000 éoliennes, ce qui représente 115 milliards d'euros d'investissement. Un détail ! Personne, citoyens comme élus, vivant dans le voisinage des centrales abritant les vingt-quatre réacteurs ne s'est jamais plaint de leur présence, aucune mobilisation n'y a été constatée – vous le savez, monsieur le président, vous qui êtes élu de la circonscription de Fessenheim, que les gens défendent plutôt leur centrale ! Et on fermerait vingt-quatre réacteurs qui ne posent aucun problème pour les remplacer par 30 000 éoliennes grâce à un investissement de 115 milliards d'euros ? Je le dis d'autant plus facilement que la capacité éolienne française a été multipliée par huit pendant mon quinquennat et que la production du parc photovoltaïque a été portée de 2 mégawatts à 1 700 mégawatts.

Je me suis rendu à deux reprises à Fessenheim. Travailleurs de la centrale et élus locaux ont été montrés du doigt, sans aucun respect pour eux. Pendant des années, on a accusé ces travailleurs d'être dangereux : c'est un mensonge ! Le 9 février 2012, j'ai expliqué que les rapports des autorités indépendantes après la visite décennale et celle ayant suivi la catastrophe de Fukushima montraient que le premier réacteur – il n'y avait pas encore de rapport pour le deuxième – était parfaitement sûr : l'ASN prolongeait son autorisation de fonctionnement de dix ans. La centrale de Fessenheim produisait 70 % de toute l'électricité consommée en Alsace et rapportait 400 millions d'euros de bénéfices à EDF. Vous vous rendez compte qu'on a dû recapitaliser EDF à hauteur de 8 milliards d'euros alors qu'on avait fermé une centrale sûre, profitable et capable de fournir 70 % de l'électricité d'une grande région industrielle, sans aucune – absolument aucune – raison valable. On disait que Flamanville prendrait le relais, mais on savait parfaitement à ce moment-là que le chantier de l'EPR accusait du retard.

Voilà ce qui s'est passé ! Vouloir détruire la filière nucléaire française, c'est trahir l'intérêt national !

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