Intervention de Nicolas Sarkozy

Réunion du jeudi 16 mars 2023 à 9h30
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Nicolas Sarkozy, président :

J'ai aimé être président de l'Union européenne ! Exercer cette présidence en période de crise était une chance, contrairement à ce que l'on a dit, car un tel moment allège les procédures. Vous pouvez vous échapper de la mainmise technocratique à Bruxelles et à Strasbourg, car la crise provoque un tel choc tellurique que le politique reprend toute son utilité. Nous avons assez peu parlé d'énergie pendant ce second semestre de 2008, car M. Poutine a eu la mauvaise idée d'envahir la Géorgie : les chars russes sont arrivés à 25 kilomètres de Tbilissi et je me suis rendu dans cette ville ainsi qu'à Moscou pour faire sortir les Russes de Géorgie, ce qui a demandé une grande énergie et a bloqué toute ma présidence. Un grand débat a eu lieu sur le fait de me donner ou non un mandat pour négocier au nom de l'Union européenne – je ne voulais pas de mandat car je voulais être libre. En outre, nous devions gérer les conséquences de la crise financière : les discussions autour de la table du Conseil portaient sur la régulation financière, pour éviter que l'ensemble de l'économie n'explose. Je n'ai donc pas mené de combat homérique pour défendre le nucléaire pendant la présidence française de l'Union européenne.

La technostructure européenne n'a jamais été pronucléaire. Plusieurs de nos amis et rivaux auraient été très contents de pouvoir scier l'avantage exceptionnel dont jouissait la France – pour une fois que nous en avions un ! – grâce au nucléaire. Vous n'imaginez pas quel combat cela a été pour faire reconnaître le nucléaire comme énergie propre. Il y avait de la jalousie et de la concurrence – que je peux comprendre, nous faisons pareil. Les gouvernements français pronucléaires n'ont jamais bénéficié du soutien de la technostructure européenne, qui aurait pourtant dû se féliciter que le troisième moteur de la fusée européenne – quand les Britanniques étaient encore dans l'Union – bénéficie d'un avantage dont il aurait pu faire profiter les autres. Nous qui étions pour le nucléaire, nous étions attaqués à la fois par l'Union européenne et par le lobby antinucléaire, dont les relais médiatiques étaient formidablement puissants.

Dans les compétitions sur les marchés mondiaux, parfois on gagne, parfois on perd, comme en politique. Ce serait tellement bien que l'on gagne à tous les coups, quoique peut-être pas, car l'expérience de la défaite accroît le plaisir de la victoire – vous le ressentez peut-être en regardant tous ceux qui n'ont pas été élus. Aux Émirats arabes unis, j'ai connu une grande déception. De mon point de vue – je vous livre là ma conviction, mais je peux me tromper –, nous avons perdu l'appel d'offres pour la construction de réacteurs nucléaires parce que l'EPR était un peu surdimensionné pour un pays qui comptait à l'époque 10 millions d'habitants, et que le consortium sud-coréen qui a remporté l'appel d'offres avait fait des promesses – qu'il n'a d'ailleurs pas pu tenir. Outre qu'il était surdimensionné, notre produit comportait des mesures de sécurité qui n'avaient rien à voir avec celles du consortium sud-coréen – je ne dis pas que leur projet était dangereux mais il était moins exigeant en termes de sécurité. Je n'attribuerais donc pas notre défaite à une mésentente entre Areva et EDF, même si celle-ci était réelle et ne nous a pas aidés, mais plutôt à un problème de « produit sur étagère ».

Pour le reste, les centrales EPR chinoises fonctionnent, même si l'installation des réacteurs a pris six ou sept ans, soit le double du temps initialement prévu ; en outre, les deux réacteurs ont coûté plus cher qu'estimé puisque leur prix a atteint une dizaine de milliards d'euros, mais ils fonctionnent et nous avons gagné. En Finlande et au Royaume-Uni – dans ce dernier pays, le projet a été mené après mon mandat mais je l'ai totalement soutenu –, les EPR fonctionnent également. J'ai relu l'intéressant rapport de Jean-Martin Folz commandé par Bruno Le Maire et portant sur la construction de l'EPR de Flamanville : il explique bien que le produit EPR n'est pas en cause. Si on avait pu proposer une centrale nucléaire adaptée à un pays de 10 millions d'habitants, nous aurions eu plus de chances.

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