Intervention de Jérôme Giusti

Réunion du jeudi 9 mars 2023 à 9h30
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Jérôme Giusti, avocat :

Je ne suis pas économiste. En tout état de cause, le modèle juridique n'est pas viable puisqu'il est fondé sur l'illégalité. Quant à la question économique, elle devrait être posée dans le sens inverse. Ainsi, la question n'est pas de savoir si ce qui est proposé aux entreprises est viable économiquement, mais de savoir si, en appliquant le droit, les entreprises peuvent mener leur activité. Si moi-même, en tant qu'avocat, je ne paie pas mes collaborateurs, mes impôts ou mes charges sociales, viendra-t-on me demander si unnon-paiement de mes obligations risquerait de menacer mon modèle économique ? La question laisse penser que le salariat est une notion antiéconomique comme si nos industries n'avaient pas prospéré, depuis la Révolution industrielle, alors que le salariat était de mieux en mieux protégé. Il ne faut pas tomber dans le jeu d'Uber et consorts qui prétendent que, s'ils doivent payer des taxes, ils « fermeront boutique ». Une entreprise non rentable en appliquant le droit ou une entreprise qui n'est pas « viable juridiquement » doit en effet fermer boutique.

Il faut savoir par ailleurs que mon confrère et moi-même nous épuisons dans les conseils de prud'hommes à passer toutes les barrières, notamment à Paris, où le conseil a décidé de ne pas juger et d'envoyer systématiquement en départage. Par conséquent, nos dossiers sont jugés en première instance dans un délai de quatre ou cinq ans. J'ai d'ailleurs engagé la responsabilité de l'État pour délai déraisonnable. Il a transigé. En fait, l'État paie et reconnaît sa responsabilité en indemnisant les chauffeurs à hauteur de plusieurs milliers d'euros avant même qu'Uber ne soit condamnée à payer les salaires. Je vous remettrai une note que j'ai publiée sur ce sujet. Juridiquement, l'État est responsable pour Uber sur plusieurs points.

On nous oppose la présomption de non-salariat. S'il y avait présomption de salariat, les choses seraient facilitées, même s'il faudrait encore plaider contre le renversement de la charge de la preuve. Je ne comprends pas pourquoi le Gouvernement français est si opposé à un tel progrès social. Des pays comme l'Italie et l'Espagne soutiennent la présomption de salariat. Tous les travailleurs que je représente n'acquièrent des droits qu'en combattant au quotidien au niveau judiciaire. Nous parlons de milliers de chauffeurs et d'un problème systématique. Je veux mentionner aussi ceux qui n'ont pas les moyens de saisir la justice. Les personnes dont nous parlons sont traitées comme les pires des justiciables. Un des premiers chauffeurs ayant saisi le conseil de prud'hommes contre Uber a fait le parcours suivant : procédure devant le conseil de prud'hommes qui a déclaré son incompétence, après plusieurs années ; appel, cassation, retour en conseil de prud'hommes, etc. L'affaire n'est pas encore jugée. Faut-il demander à ces travailleurs pauvres d'être plus riches que le plus riche des justiciables ?

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