Intervention de Hervé Berville

Réunion du mercredi 15 mars 2023 à 13h30
Commission des affaires européennes

Hervé Berville, secrétaire d'État auprès de la Première ministre, chargé de la mer :

Il est de bonne hygiène démocratique que nous nous voyions avant les conseils « Pêche ». La France ayant la chance de posséder la deuxième zone économique exclusive au monde, il s'agit d'un sujet important pour vos circonscriptions, en matière d'identité et de développement économique comme de protection des espaces littoraux. Il est en outre nécessaire que l'Europe se pense comme une puissance maritime, et nous avons besoin de vous pour mener ce combat. Enfin, et surtout, la politique de la pêche est une politique communautaire ; l'objectif de souveraineté économique que nous visons ne peut être atteint que dans ce cadre, surtout vu les deux grandes puissances qui nous font face.

La politique maritime, et a fortiori celle de la pêche, est une priorité du Gouvernement. Si mon secrétariat d'État est rattaché à la Première ministre, c'est précisément pour mettre en évidence le caractère interministériel de cette politique. La mer est au cœur de deux grands enjeux : le changement climatique – il n'y aura pas de solution qui ne passe par l'espace maritime – et la bataille pour la souveraineté économique – 85 % du commerce mondial se fait par voie maritime. Le déploiement des énergies marines renouvelables est essentiel pour atteindre cette souveraineté.

Mes priorités sont au nombre de trois. Premièrement, la protection des océans, qui conditionne tout le reste. Deuxièmement, le développement de l'économie maritime et le soutien à nos modèles de pêche, dont la diversité traduit les spécificités de nos territoires. Troisièmement, la planification, sur le littoral et en mer, en liaison avec les acteurs locaux et les collectivités territoriales. En effet, alors que, par le passé, la mer était un espace réservé aux pêcheurs et aux explorateurs, désormais différents usages doivent pouvoir cohabiter : le tourisme, les énergies marines renouvelables, les zones de protection forte – je rappelle que le Président de la République a fixé un objectif de 10 % en la matière.

Il convient d'aménager les espaces littoraux de manière à prendre en considération toutes ces dimensions qui, sans être contradictoires, répondent à des préoccupations diverses. Cela se fera dans le cadre de la stratégie nationale pour la mer et le littoral. La première étape sera la présentation, le 2 juin, à l'occasion du comité interministériel de la mer présidé par la Première ministre, d'une première version élaborée en liaison avec les acteurs locaux représentés au sein du Conseil national de la mer et des littoraux. Les trois priorités dont j'ai parlé sont déclinées à l'échelon local, national et européen, ainsi qu'à l'international, à travers par exemple le BBNJ ou la lutte contre la pêche illicite.

Nous ne pourrons atteindre ces objectifs que si nous écoutons les acteurs locaux – c'est pourquoi je tenais à être devant vous aujourd'hui et que j'essaie de me rendre autant que possible dans vos magnifiques territoires – et que si nous nous fondons sur des données scientifiques – c'est ainsi que l'on peut créer du consensus autour des décisions que l'on prend. Et nous ne le pourrons que si nous renforçons la place de la France dans les instances européennes – si l'on est absent, on ne peut pas gagner de bataille. C'est pourquoi, depuis ma nomination¸ j'ai participé, à peut-être une exception près, à toutes les réunions du Conseil Pêche afin de défendre la position de la France, émettre des propositions ou soutenir des coalitions. Cela nous a permis de conclure en décembre un accord relatif aux totaux admissibles de capture (TAC) et aux quotas, que les pêcheurs français ont considéré comme satisfaisant, en particulier pour la pêche à l'anguille, et respectueux de la spécificité de leurs territoires.

Deux sujets seront abordés lors du prochain conseil. En premier lieu, il donnera lieu à une communication attendue de longue date sur la décarbonation. J'avais évoqué le sujet avec le commissaire Sinkevičius lors du premier conseil auquel j'ai assisté, en juillet. Soyons clairs : toutes les grandes crises de la pêche sont liées à la dépendance au pétrole, parce que c'est le poste de dépenses le plus important, pour lequel nous nous trouvons dans une situation de totale dépendance et sur lequel le pêcheur ne dispose d'aucune latitude : il ne peut ajuster le prix du poisson en fonction du prix du carburant. Si l'enjeu de la décarbonation est de réduire notre dépendance aux énergies fossiles, cet objectif s'inscrit donc dans le cadre d'une stratégie à la fois de développement durable et de souveraineté économique. Il doit être au cœur de l'action de l'Union européenne et de la Commission.

Force est de constater que, pour l'heure, la communication n'est pas à la hauteur de l'enjeu. Nous devons renouveler massivement nos flottes, qui datent de trente ans, voire plus dans certains territoires ultramarins. On ne peut pas pratiquer la pêche du XXIe siècle avec des outils du XIXe ! Cela crée bien évidemment des dépendances et de la frustration, notamment dans les territoires ultramarins, qui voient des flottes plus récentes être financées par des programmes européens de développement.

Notre objectif est de faire évoluer rapidement les règles en matière de puissance et de jauge en soulignant le fait que des navires modernisés seront peut-être plus grands, mais qu'étant soumis au système des quotas, ils ne pourront pas pêcher davantage. Nous ne pourrons pas attirer des jeunes dans le métier si nous ne modernisons pas la flotte. La sobriété et la décarbonation sont à l'ordre du jour dans tous les secteurs : aviation, transport ferroviaire ou maritime… Personne ne comprend qu'on ne se donne pas les moyens de la réaliser dans celui de la pêche.

Nous agirons en ce sens au niveau européen, notamment par l'intermédiaire de coalitions – la présidence espagnole a prévu de soulever la question lors d'un conseil informel – ainsi qu'au niveau national. Il faut qu'une part plus importante du Fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche et l'aquaculture soit consacrée à la décarbonation. Il convient d'encourager les initiatives qui fonctionnent. J'ai visité un bateau au Guilvinec, dont la remotorisation a permis de réduire la consommation de 30 % ; plus de 300 personnes ont participé au Jeudi de l'innovation maritime au Salon de l'agriculture : la décarbonation n'est pas une utopie, c'est une réalité !

Au niveau national, nous avons lancé la stratégie France mer 2030, qui vise notamment la décarbonation de tout le secteur maritime, avec une attention particulière pour la pêche. Des entreprises privées y contribuent aussi, comme la CMA CGM, qui consacre 20 millions d'euros à la décarbonation des navires de pêche.

Les choses avancent donc en matière de décarbonation, mais je vais dire au conseil « Pêche » qu'il faut encore accélérer. Il s'agit d'un enjeu majeur si l'on veut être efficace à la fois en matière de changement climatique et de souveraineté économique.

Le deuxième sujet à l'ordre du jour du conseil sera le plan d'action sur la restauration des écosystèmes. Si la France partage l'objectif d'un renforcement de la protection, le Gouvernement est opposé à ce plan. D'abord, il n'y a eu ni concertation, ni consultation des États membres, ni étude d'impact : ce n'est pas normal, d'autant que cela fait des mois que nous discutons des techniques de pêche, du développement de la filière halieutique et de la protection de la ressource. Ensuite, le plan n'opère aucune différence entre les engins de fond mobiles : tout doit être interdit dans toutes les aires marines protégées, alors même qu'il existe quatorze types différents d'engins ! D'ailleurs, tous les États membres sont contre ce plan, de même que toutes les collectivités territoriales. Il méconnaît totalement la réalité de la pêche artisanale – par exemple la pêche à la coquille – et les efforts réalisés par les pêcheurs sur le terrain.

Nous allons donc travailler avec la Commission et avec les États membres pour que les objectifs fixés collectivement dans le cadre de la politique commune de la pêche soient pleinement atteints mais sans pour autant faire n'importe quoi.

Au-delà de la préparation du conseil, nous avons dû faire face au cours de ces derniers mois à deux urgences. La première avait trait au prix du carburant. Depuis juillet, nous avons prolongé à quatre reprises l'aide au carburant, pour un montant total avoisinant 80 millions d'euros. Au Salon de l'agriculture, le Président de la République a indiqué que cette aide allait être prolongée jusqu'en octobre, à hauteur de 20 centimes par litre, afin que nos pêcheurs puissent continuer à approvisionner nos étals en poisson et participer ainsi à notre souveraineté alimentaire.

La deuxième urgence était d'accompagner les pêcheurs qui, du fait du Brexit, n'avaient plus accès aux eaux britanniques, pour qu'ils ne soient pas fragilisés économiquement et que cela n'ait pas des répercussions sur la filière tout entière. Un plan d'accompagnement financier individuel a été mis en œuvre, autour de trois principes : le maintien des équilibres géographiques ; la restitution impérative des licences, afin notamment de permettre à des jeunes d'accéder à la filière ; la prise en considération des conséquences sur le reste de la filière, grâce au contrat stratégique de la filière présenté au Salon de l'agriculture. Des actions très concrètes devront être engagées pour favoriser l'entrée des jeunes dans le métier, accélérer la décarbonation des navires, mieux articuler les activités des différents acteurs, créer des mécanismes de solidarité, notamment de la grande distribution jusqu'à la production, et valoriser les produits issus de la pêche française.

Nous avons ainsi pu éviter l'effondrement total de la filière.

S'agissant des actions à moyen terme, nous continuons de travailler avec la Commission européenne en vue d'instaurer la pluriannualité des quotas, afin de donner une meilleure visibilité aux acteurs et de faciliter les investissements. On ne peut pas demander à un pêcheur d'attendre tous les ans le 15 décembre pour savoir s'il pourra pêcher le 1er janvier !

Il faudra aussi préparer la renégociation de l'accord avec les Britanniques, car l'échéance de 2026 va arriver très vite. Nous devrons être prêts. C'est fondamental pour la pérennité de la pêche et pour la cohabitation dans les espaces maritimes que nous partageons avec les Britanniques.

L'ensemble de ces actions s'inscrivent dans un cadre international. Cela fait quinze ans que le traité BBNJ était en discussion. Les négociations ont été relancées il y a un an par le Président de la République, lors du One Ocean Summit à Brest. La haute mer couvre 45 % de la surface de la planète. On ne peut pas protéger les océans si l'on ne la préserve pas, et on ne peut pas la préserver sans un traité ambitieux. Le traité BBNJ est historique : il couvre une surface inédite, il est juridiquement contraignant et il permet des avancées majeures. Toute nouvelle activité dans les aires marines protégées devra faire l'objet d'une étude d'impact. Il n'y aura plus besoin d'unanimité pour créer une aire marine protégée : une décision prise à la majorité suffira, aucun État ne pourra user de son droit de veto – c'est inédit dans les négociations environnementales. Des mécanismes de partage des ressources avec les pays en développement sont mis en place, afin qu'ils puissent eux aussi protéger les espaces maritimes. L'océan étant un bien commun de l'humanité, tout le monde doit avoir les moyens de participer à sa protection.

Nous entrons maintenant dans une nouvelle phase, qui est celle de la ratification du traité par soixante États pour qu'il puisse entrer en vigueur en 2025, à l'occasion de la Conférence des Nations unies sur les océans, qui se tiendra en France. Tel est le combat diplomatique et politique qui nous attend.

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