Intervention de Hervé Berville

Réunion du mercredi 15 mars 2023 à 13h30
Commission des affaires européennes

Hervé Berville, secrétaire d'État :

La France est opposée au plan d'action présenté par la Commission, car il condamnerait notre pêche artisanale. Il l'amènerait à disparaître, non dans dix ans, mais demain. Je suis d'accord avec Sébastien Jumel, qu'on ne peut pourtant pas taxer d'être pro-Gouvernement, avec Pierre Karleskind et avec les élus écologistes, LR ou MODEM qui soulignent, dans les régions, que le plan d'action conduirait à ne plus avoir que de la pêche industrielle dans notre pays.

Si ce plan d'action était adopté, je devrais aller voir en 2024 les producteurs d'huîtres plates de la baie de Quiberon pour leur expliquer qu'ils doivent arrêter leur production parce qu'elle représenterait un danger pour l'écosystème. Je devrais aller voir les douze goémoniers qui récoltent de l'algue hyperborea dans le parc naturel marin d'Iroise, avec un peigne fonctionnant comme une drague et touchant donc le fond, pour leur dire qu'ils doivent mettre un terme à leur activité qui serait une menace pour la biodiversité. Plus à l'Est, je devrais aller voir, toujours en 2024, tous les pêcheurs à la coquille Saint-Jacques de Port-en-Bessin pour leur annoncer la même nouvelle, parce qu'ils seraient un problème pour l'habitat marin. Tous ceux qui connaissent un peu nos territoires voient bien que cela n'aurait pas de sens.

Le plan d'action ne prend pas en compte la spécificité des pêcheries, il ne fait aucune distinction entre les engins mobiles qui peuvent toucher le fond et, ce qui est plus grave encore, il est complètement déconnecté de la réalité de la gestion des aires marines protégées (AMP). Sans entrer dans des détails trop techniques, nous avons en France quatorze types d'aires marines protégées, allant de la réserve intégrale, où aucune activité n'est possible, à des espaces où peuvent avoir lieu des activités humaines de toutes sortes, notamment de pêche, sur la base de concertations locales et d'études scientifiques. Il faut aller voir les gestionnaires des aires marines protégées pour comprendre comment elles fonctionnent sur le terrain. Cette approche au cas par cas, AMP par AMP, est précisément ce que nous avons prévu dans le cadre du traité BBNJ pour les activités nouvelles.

Le plan de la Commission balaie d'un revers de main tous les efforts réalisés par les pêcheurs et les acteurs locaux. Le stock de coquilles Saint-Jacques dans la baie de Saint-Brieuc a été multiplié par trois ! Et on dirait à ces pêcheurs de fermer boutique, d'aller voir ailleurs ?

La position que nous allons défendre est qu'il faut viser trois objectifs dans le cadre de la politique commune de la pêche : la protection de la ressource, la viabilité économique des entreprises, notamment celles de la pêche artisanale, qui donne à nos territoires leur identité, et la capacité de planifier, ce qui correspond à tout le travail que nous menons dans le cadre de la stratégie nationale pour la mer et le littoral. Nous allons développer des zones de protection renforcée, mais sans nous y prendre de manière aveugle, indifférenciée : il faut regarder ce qui se passe dans les territoires.

Ce plan d'action, au fond, est perdant sur tous les tableaux : la biodiversité, la souveraineté et la pêche de proximité.

S'agissant du plan d'accompagnement individuel, 70 % des quotas concernés seront à la main des organisations de producteurs. Il doit y avoir une réallocation permettant d'assurer un équilibre géographique. Les 30 % restants, je le dis et je le répète, seront réalloués de manière à maintenir les équilibres entre les différentes places, c'est-à-dire en évitant de favoriser certaines d'entre elles au détriment d'autres, et dans l'objectif de privilégier la transmission, l'entrée des jeunes dans le métier. Nous regarderons de manière très précise où il y a des besoins, en bonne intelligence avec le comité national et les comités régionaux des pêches maritimes et des élevages marins, que j'ai reçus le mois dernier pour évoquer ce sujet. Nous tiendrons l'engagement qui a été pris. Il faudra, de l'autre côté, que toutes les licences soient rendues et qu'il y ait de la transparence sur les 70 % placés entre les mains des organisations de producteurs, sinon cela ne fonctionnera pas.

Pour ce qui est des parcs éoliens, évoqués par M. François, nous avons un objectif ambitieux : produire 40 gigawatts d'ici à 2050. Il faut tenir cet objectif, il y va de la souveraineté énergétique de notre pays, et cela se fera dans le cadre de la planification que j'ai évoquée. Je viens d'un territoire, les Côtes-d'Armor, où un parc était plutôt contesté. D'ailleurs, pour ce qui est de la manière de procéder, j'ai été le premier à déclarer que ce n'était ni fait ni à faire. Mais nous apprenons de nos erreurs : le parc de Saint-Nazaire a été réalisé en pleine concertation avec le comité régional des pêches et des élevages marins, et il est parfaitement accepté.

Il faut de la concertation, de la planification et de la visibilité, et il faut aussi un retour des activités de pêche dans les parcs éoliens, qui ne doivent pas être des zones où rien d'autre ne peut se passer. Si on s'y prend en associant dès le début les pêcheurs, en traitant de manière juste la question de la répartition des taxes et en donnant de la visibilité aux acteurs concernés, on y arrive, comme le montre l'exemple de Saint-Nazaire. Il est normal que des contestations s'élèvent, il faut les écouter et modifier les projets quand c'est nécessaire, mais je crois qu'on peut faire cohabiter tous les usages et développer pleinement notre souveraineté énergétique, notre souveraineté alimentaire et la protection des ressources. C'est le travail que nous allons mener cette année.

J'en viens, Monsieur Bourgeaux, aux navires de remplacement. Je vous dois une réponse d'ici un mois au sujet des bateaux concernés, mais vous ne m'avez toujours pas envoyé une liste précise. Nous avons des échanges très productifs avec nos amis de Jersey et de Guernesey : des positions ont évolué, des améliorations se profilent, mais certaines choses ne nous conviennent pas encore totalement. Néanmoins, je suis plutôt optimiste. De notre côté, nous avons prévu des assouplissements, notamment en Normandie, afin de montrer notre bonne volonté, et nous espérons en échange des évolutions positives pour nos pêcheurs.

Quant à la production d'huîtres plates, je le redis, le plan d'action de la Commission européenne reviendrait à la condamner, à l'instar de l'ensemble de la pêche artisanale française.

Madame Morel, il faut travailler sur la pollution à plusieurs niveaux. S'agissant des plastiques, la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire et la loi « climat et résilience » ont essayé d'apporter des réponses : il faut éviter de produire des déchets, afin de ne pas en retrouver ensuite dans nos fleuves ou dans la mer. S'agissant de la question des filets abandonnés, l'Ifremer (Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer) travaille sur des techniques innovantes. C'est un sujet sur lequel une accélération est vraiment nécessaire.

S'agissant des microbilles plastiques, c'est un combat que nous menons auprès de l'Organisation maritime internationale (OMI). Nous poursuivons trois objectifs concrets : déclarer systématiquement les pertes de containers à l'OMI, mieux tracer les containers et rendre les sanctions plus dissuasives. En outre, nous accordons une attention particulière au multilatéralisme environnemental. Après la COP15 et le traité BBNJ, un traité sur la pollution plastique sera discuté à Paris avec le Programme des Nations unies pour l'environnement, qui associera tous les pays dans la lutte contre la pollution plastique, de la phase de production jusqu'à la phase de ramassage. Nous soutenons des techniques innovantes de ramassage, en lien avec le ministère de la transition écologique.

Monsieur Jumel, vous avez évoqué le plan d'entrée de flotte. C'est exactement ce que nous sommes en train de faire. Le secteur privé consacrera 20 millions cette année à la décarbonation des navires de pêche, et 200 millions à l'efficacité énergétique et à la conception de nouveaux moteurs. Tout cela est concret : il y a des navires qui sortent. De notre côté, nous avons adopté un plan de décarbonation du secteur maritime de 300 millions. Nous travaillons sur la formation aux métiers et sur l'augmentation des moyens dédiés au lycée maritime. Notre stratégie vise à créer une flotte différente, consommant moins de carburant. La meilleure illustration de notre action est l'aide carburant, à laquelle nous aurons consacré, d'ici à la fin octobre, plus de 100 millions d'euros : aucun autre pays européen n'en a fait autant. C'est ce qu'il faut pour assurer le maintien des activités de pêche dans tous les territoires. La France a également obtenu le relèvement du plafond de l'aide de 65 000 à 330 000 euros : c'est quelque chose qui change concrètement la vie des pêcheurs.

Concernant les TAC et quotas, j'ai rappelé nos principes dans la négociation avec l'Union européenne : celle-ci doit tenir compte de la spécificité des régions et de la viabilité économique des entreprises, et doit protéger la ressource en se fondant sur des données scientifiques reconnaissant les efforts des pêcheurs. La France a défendu sa position concernant tous les stocks d'intérêt – lieu jaune, bar, sole, anguille. Encore du concret pour les pêcheurs.

S'agissant de la pluriannualité des quotas, nous ne nous contentons pas de déclarations d'intention. Pour la première fois, nous avons tenu des réunions techniques pour déterminer les stocks au sein de l'Union européenne. Le Conseil international pour l'exploration de la mer devra travailler avec tous et rendre sa copie le plus rapidement possible. Cela prend un peu de temps parce que la pluriannualité des quotas nous fait entrer dans une nouvelle ère, mais nous avançons concrètement sur ce sujet. Vous voyez que nous pouvons allier passion et action pour le développement de la filière halieutique dans l'espace européen.

Je me suis rendu aux Pays-Bas, il y a trois semaines, pour rencontrer mon homologue ainsi que tous les acteurs néerlandais de la pêche afin de trouver une solution au problème de la senne démersale dans la Manche. Des réunions ont lieu au niveau politique et administratif pour étudier les propositions faites par les pêcheurs et j'ai bon espoir que nous parvenions à une avancée dans le mois. C'est une question de responsabilité pour tous les acteurs européens.

Madame Métayer, la décision de la CTOI n'a pas été prise sur la base d'un consensus, comme cela aurait dû être le cas, est infondée sur le plan scientifique et discrimine nos pêcheurs. Nous allons donc nous battre pour que la Commission élève une objection et fasse reconnaître pleinement les droits de nos pêcheurs.

Monsieur Buchou, les discussions sur la pluriannualité des quotas sont en cours au niveau technique mais ce n'est pas simple. Dès que nous aurons obtenu des avancées, dans le cadre de la présidence espagnole, nous pourrons vous donner de plus amples informations.

Madame Le Grip, le traité BBNJ changera la nature de la protection de la haute mer. Dans un contexte géopolitique assez tendu, parvenir à un accord touchant à la souveraineté des États démontre que le multilatéralisme fonctionne quand on s'en donne les moyens. L'Union européenne a fortement poussé pour y parvenir. J'ai tenu plus de quatre-vingts réunions bilatérales avec mes homologues pour les convaincre un à un qu'il fallait absolument conclure ce traité si nous voulions que notre ambition de protection des océans soit crédible.

La France est le seul pays à demander une interdiction totale de l'exploitation minière des fonds marins, d'autres se prononçant plutôt pour un moratoire. Au niveau politique, nous continuons à affirmer qu'il n'y aurait pas de cohérence à préserver les océans si l'on autorise des projets qui causeraient des dommages irréversibles à la biodiversité marine. Au niveau diplomatique, nous faisons grandir une coalition pour arriver à une déclaration commune demandant à l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) de ne pas se précipiter pour écrire un code minier et surtout de ne pas accorder de licence d'exploitation en 2023. La coalition compte désormais une petite quinzaine de pays, contre cinq il y a six mois. Je me rendrai à l'assemblée générale de l'AIFM en juillet pour m'assurer qu'aucune autorisation d'exploitation minière ne sera délivrée à cette occasion. Bref, face à cette échéance importante, nous jetons toutes nos forces diplomatiques dans la bataille.

Par ailleurs, nous menons une stratégie de coopération scientifique avec les pays désireux d'accélérer la recherche et de partager les connaissances sur les fonds marins. Dans le cadre du plan France 2030, le ministère de la mer gère un programme de 350 millions d'euros dans ce but. C'est un combat important, car mieux connaitre, c'est mieux protéger.

La France s'est positionnée à l'avant-garde de la préservation des fonds marins contre les dégâts causés par l'exploitation minière. Cela fait partie des sujets sur lesquels nous serons jugés dans vingt ou trente ans. Nous le devons aux générations futures mais aussi aux îles du Pacifique, qui subissent déjà les conséquences du changement climatique – acidification, élévation du niveau de la mer, phénomènes qui ne pourraient que s'accélérer avec l'exploitation minière.

Concernant les cétacés, le plan d'action pour lutter contre les captures accidentelles a été doté d'une dizaine de millions pour accompagner la filière dans l'installation de caméras et la participation à des dispositifs d'observation dans le but d'acquérir des connaissances scientifiques. La mise en œuvre de ce plan, qui a été discuté avec plusieurs ministères, nous permet de lutter ardemment contre ce phénomène.

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