Intervention de Liliana Tanguy

Réunion du mercredi 15 mars 2023 à 13h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLiliana Tanguy, rapporteure :

L'avis politique que je présente devant vous aujourd'hui revêt un enjeu considérable pour l'avenir de la pêche et la préservation de la souveraineté alimentaire en Europe et en France. J'espère vous convaincre de la nécessité de le voter à l'unanimité pour soutenir, lors du prochain Conseil des ministres de l'Union européenne, le 20 mars prochain, la position du secrétaire d'État chargé de la mer pour défendre la pêche française.

Il faut en effet s'opposer d'une seule voix à cette proposition, qui sous couvert de renforcer la conservation des ressources halieutiques et la préservation des écosystèmes marins, produit l'inverse, c'est-à-dire, l'insécurité des approvisionnements et des menaces sur la biodiversité.

Le 21 février dernier, la Commission européenne a présenté dans une communication au Parlement européen et au Conseil, un plan d'action de préservation des ressources halieutiques et de protection des écosystèmes marins. Cette recommandation, sans valeur juridique, interdit la pêche aux engins mobiles de fond dans l'ensemble des zones Natura 2000, d'ici mars 2024, et dans l'ensemble des zones marines protégées, d'ici 2030.

L'objectif affiché, une meilleure protection des ressources halieutiques et des écosystèmes marins, n'est en rien contestable. Toutefois, une fois expertisée, cette interdiction paraît irréaliste et dangereuse tant pour les écosystèmes marins eux-mêmes que pour la préservation des ressources halieutiques. Contraire à d'autres textes ayant, eux, une valeur juridique contraignante, elle aurait également des conséquences inacceptables sur la garantie de notre souveraineté alimentaire.

Toutes les aires marines protégées (AMP) ne se ressemblent pas car elles poursuivent des objectifs de conservation différents. Ainsi en France, on recense quatorze types d'aires marines protégées. Je n'en citerai, par exemple, qu'une seule : le parc naturel marin d'Iroise où la cohabitation des usages maritimes ne pose aucun problème. Poser une interdiction générale serait illégal et dangereux, au regard de l'objectif poursuivi, c'est-à-dire la protection des écosystèmes marins.

Comme l'a souligné le président de la commission pêche du Parlement européen, Monsieur Pierre Karleskind, la Commission a précisé dans un document de travail des services, le 28 janvier 2022, intitulé « Critères et lignes directrices pour la désignation des aires protégées », que les objectifs et mesures de conservation pris pour les sites Natura 2000 devaient être « spécifiques à chaque site ». Les zones Natura 2000 comprennent 37,5 % de la surface marine de la zone économique exclusive française. La France a fait le choix d'une protection renforcée de ses zones maritimes protégées. Si une telle interdiction était appliquée, elle en serait la première victime car cette interdiction aurait des conséquences désastreuses sur un tiers de la flotte de pêche française et notamment sur la pêche artisanale.

Interdire l'utilisation de tous les engins mobiles de fond dans les aires marines protégées reviendrait à supprimer 1 200 navires qui pratiquent leurs activités dans ces aires, ce qui équivaut à toucher plus de 4 300 pêcheurs et réduire de moitié les capacités de la pêche française.

Ainsi, pour l'Alliance européenne pour la pêche de fond, qui représente 20 000 pêcheurs de quatorze pays, une interdiction indistincte dans l'ensemble des aires marines protégées mettrait en danger 7 000 navires soit 25 % des volumes de poissons débarqués dans l'Union européenne et 38 % des revenus de la flotte européenne.

Le risque socio-économique serait très élevé pour les territoires qui dépendent du secteur de la pêche, en particulier la Bretagne. Dans le Finistère, le quartier du Guilvinec est l'un des principaux ports de débarque de la façade Atlantique, Manche-mer du Nord.

La Commission mésestime également un risque pour la biodiversité elle-même. Sans analyse risque pêche pour chaque zone maritime protégée, si les mesures prises ne sont pas en adéquation avec les spécificités de chaque site le risque pour la biodiversité est certain. La cartographie de l'analyse risque pêche en cours, sera achevée en 2026, pour une traduction réglementaire en 2027. Il faut mener l'analyse risque pêche à terme pour que d'éventuelles mesures d'interdiction ne le soit qu'au cas par cas, fondées sur des analyses scientifiques solides, comme le défend le secrétaire d'État, monsieur Hervé Berville.

Outre les conséquences sociaux économiques désastreuses d'un tel plan, les importations pourraient également augmenter de 2 %, voire plus. Cela démontre l'incohérence d'un tel projet car l'Europe dépend déjà à plus de 70 % des importations avec les pays tiers pour les produits issus de la pêche. Une interdiction de la pêche aux engins mobiles de fond, dans l'ensemble des zones maritimes protégées, conduirait à une dépendance aux importations en provenance des pays tiers d'au moins 80 % sans aucune garantie que ces importations soient issues d'une pêche durable et respectueuse des écosystèmes marins.

C'est pourquoi la Commission européenne devrait retirer son projet, pour rester en cohérence avec les objectifs de la politique commune de la pêche qui sont d'assurer durablement l'avenir du secteur de la pêche en garantissant des revenus et des emplois stables pour les pêcheurs tout en préservant la sécurité des approvisionnements.

Faisons donc confiance à ceux qui sont les premiers à dénoncer les risques et les incohérences d'un tel plan d'action, peu protecteur de la biodiversité et dangereux pour la souveraineté alimentaire. En effet, qui sont les premiers concernés par la préservation des ressources halieutiques si ce n'est les pêcheurs eux-mêmes ? Ils ont fourni des efforts sur le terrain, avec le souci constant d'améliorer leurs techniques de pêche pour préserver la ressource. Faisons leur confiance et demandons à la Commission européenne de retirer son projet, et aux autres États membres de s'allier à notre position pour préserver la biodiversité maritime et la sécurité alimentaire européenne et française.

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