Intervention de Clément Beaune

Réunion du mercredi 22 mars 2023 à 17h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports :

Tout d'abord, qu'est-ce qu'une concession autoroutière et à quoi sert-elle ? M. le ministre Bruno Le Maire l'a rappelé, les concessions sont un modèle ancien de notre droit, appliqué, depuis les années 1950, à la construction des autoroutes et à leur entretien, mais aussi, auparavant, à beaucoup d'autres infrastructures, sous le contrôle de l'État. L'intérêt d'une concession est de s'inscrire dans le long terme : sur l'ensemble de notre réseau, routier ou ferroviaire, les investissements ou les financements ne connaissent pas l'effet de yoyo. Lors de la création des infrastructures, il est donc pertinent de s'inscrire dans un cadre durable : cela avait d'ailleurs fait l'objet d'un consensus transpartisan, dans les années 1950, afin de construire le réseau autoroutier français, qui est selon moi l'un des meilleurs d'Europe et du monde, certains assurant même qu'il s'agit du meilleur. Si l'on se livre à des comparaisons, on constate que seulement 15 % du réseau routier national non concédé est estimé en bon état, contre 85 % pour le réseau routier ou autoroutier concédé : le modèle de long terme est pertinent, il ne faudrait pas jeter le bébé avec l'eau du bain !

Une concession est également un mode de financement. Dans le cas des sociétés autoroutières, un choix a été fait entre un impôt pesant sur tous et le paiement de l'usage – le péage – par ceux qui empruntent l'infrastructure. Si, comme l'a indiqué M. Bruno Le Maire, la question du niveau du financement se pose, sa modalité me semble être très pertinente. En effet, tout le monde n'utilise pas l'autoroute. De plus, notre pays est le plus traversé en Europe, puisque nous sommes un cœur économique et un pays touristique : tous les usagers de la route contribuent dès lors au financement et à l'entretien de l'infrastructure, quelle que soit leur nationalité, que leur véhicule soit léger ou non.

Par ailleurs, le modèle des concessions autoroutières ne confère pas le même type de rente que dans d'autres secteurs, comme celui de l'énergie : si l'inflation présente l'avantage de faire augmenter les prix des péages, elle renchérit aussi le coût des investissements bien au-delà de l'inflation moyenne en matière de travaux publics. Le modèle des concessions n'est donc pas à jeter, malgré des difficultés objectives et, parfois, des erreurs sur certaines des modalités de fonctionnement des concessions autoroutières.

Deuxièmement, l'État a-t-il été négligent dans la défense de ses intérêts, de ceux des contribuables et des automobilistes ? Si tout n'a pas été parfait – le ministre de l'économie l'a évoqué sans détours –, je ne peux laisser croire à une stratégie de dissimulation ou de négligence généralisée. À cet égard, les choix politiques transpartisans effectués ces dernières années, y compris l'ouverture du capital des sociétés concessionnaires d'autoroutes, ont commencé dès 2001, la majorité ayant changé en 2002 : il n'y avait donc pas de clivage sur la question de l'ouverture du capital, même si son rythme, ses modalités et ses conditions peuvent bien sûr être discutés. J'insiste sur ce point car beaucoup de représentants des administrations de l'État, travaillant sur ces questions depuis longtemps, sont présents : ils défendent au quotidien les intérêts de l'État, des contribuables et des automobilistes, y compris lors de contentieux.

Ces dernières années, nous avons apporté un certain nombre d'améliorations, s'agissant notamment des modalités de régulation ou fiscales. Concernant le contrôle des contrats et des avenants aux contrats historiques, la loi dite « Macron », pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, a confié, en 2015, à la nouvelle Autorité de régulation des transports (ART) le soin d'assurer le respect des règles applicables en matière de tarifs, de rendre un avis sur chacun des avenants et d'expertiser de manière régulière et transparente les résultats financiers des sociétés concessionnaires. L'ART a rendu dix-sept avis, tous publics : certains soutiennent les choix politiques et gouvernementaux, quand d'autres sont plus critiques, ce qui est normal et transparent. Tel est l'intérêt de cette autorité publique indépendante, dont chacun peut mesurer la totale autonomie. L'ART a également publié deux rapports, dont l'un porte sur l'économie des concessions autoroutières et propose des pistes d'amélioration du cadre de régulation.

J'en viens à la dépendance aux contrats historiques. Aucun allongement de contrat n'a été décidé depuis 2017, ce qui a permis de crédibiliser les contrats existants en donnant une perspective de remise à plat des clauses contractuelles à l'issue des concessions, qui interviendra très vite, à la fin de cette décennie et au tout début de la suivante.

S'agissant du niveau de rentabilité, l'État a mis une pression maximale sur les concessionnaires pour qu'ils contribuent à un plus juste effort. Chacun mesure bien sûr l'intérêt d'avoir un régulateur indépendant et transparent. De plus, les calculs montrent que le TRI a diminué sur tous les avenants : si la pression économique est plus forte, ils font l'objet d'une meilleure rédaction et d'une plus grande exigence que pour les contrats historiques. Depuis la loi de 2015, la régulation et la négociation entre l'État et les sociétés concessionnaires d'autoroutes ont également été améliorées.

Si nous ne contestons aucun des chiffres figurant dans les rapports détaillés, nous vous invitons à ne pas les instrumentaliser. Le TRI d'un projet est proche des calculs qui ont été faits dans les contrats et de ceux constatés dans les grands projets d'infrastructures – autour de 7 % à 8 % –, même s'il n'en va pas de même pour le TRI de l'actionnaire, lié aux conditions de financement : ce dernier peut évoluer dans la durée et n'est connu qu'à la fin d'une concession.

En raison de l'inflation et des difficultés liées au pouvoir d'achat, il était également indispensable de revoir les tarifs, tout en s'inscrivant dans le cadre des contrats. À cet égard, j'ai obtenu un certain nombre de mesures complémentaires de réductions tarifaires de la part de l'ensemble des sociétés concessionnaires. Ainsi, les personnes pour qui l'utilisation de la voiture est nécessaire – les abonnés – bénéficient d'une réduction de 40 % du tarif des péages autoroutiers en 2023 ; elles ne connaissent donc, en moyenne, pas d'augmentation de ces derniers. Au regard de la transition écologique, nous avons obtenu, pour la première fois en 2023, des réductions qui reviennent à annuler l'augmentation du tarif du péage pour les détenteurs d'un véhicule électrique – actuellement les ménages les plus favorisés, mais cela a vocation à évoluer.

Le ministre chargé des finances et moi-même avons évoqué la question de la fiscalité, et renforcé l'effort fiscal en indexant la taxe d'aménagement du territoire (TAT) sur l'inflation à hauteur de 70 %, selon une formule proche de celle applicable aux péages. La TAT est un juste effort supplémentaire demandé aux sociétés concessionnaires d'autoroutes, dont les contributions fiscales annuelles s'élèvent à près de 5 milliards d'euros.

Nous ne défendons pas les intérêts des sociétés concessionnaires d'autoroutes, puisque celles-ci nous ont attaqués ! Nous avons gagné en première instance et je suis convaincu que nous l'emporterons.

Nous pouvons traiter la question des tarifs en prenant des mesures de court terme en raison de l'inflation, mais aussi en négociant les nouveaux avenants et contrats. Une contribution supplémentaire des sociétés concessionnaires d'autoroutes doit être envisagée, et la Première ministre a présenté il y a peu un plan d'avenir pour les transports nourrissant de grandes ambitions pour la transition écologique ainsi que le transport et le réseau ferroviaires.

Puisqu'il est juste que les concessionnaires d'autoroutes, dont on connaît la bonne situation financière, puissent y contribuer dans un cadre juridique solide, nous avons saisi avec M. Bruno Le Maire le Conseil d'État afin d'examiner de manière transparente les options possibles. Nous sommes à nouveau prêts à des efforts fiscaux si les pistes évoquées sont solides et ne coûtent pas davantage au contribuable.

Les contrats de concession autoroutière, négociés dans les années 1950 pour une durée de soixante-dix ans, arrivent à échéance entre 2031 et 2036, ce qui implique d'en réinterroger le modèle. Je propose de lancer conjointement au ministère de l'économie des assises relatives aux concessions autoroutières auxquelles prendront part des parlementaires, des économistes et des organisations non gouvernementales. Ce sera l'occasion d'interroger la nature du financement des concessions, leur durée et leur périmètre, ainsi que le tarif des péages.

Nous chercherons à rendre ces contrats les moins coûteux pour le contribuable et l'État, ainsi qu'à conserver un niveau d'investissement optimal afin d'entretenir le réseau. En outre, la route devra financer le rail, le fret et les autres modes de transport vert, d'autant que de nouvelles règles européennes nous y obligent.

Examinons les avantages et inconvénients du modèle actuel, insistons sur le respect de l'État de droit afin de protéger tant l'automobiliste que le contribuable et de mieux financer la transition écologique. Dans tous les avenants, nous exigeons le déploiement de bornes entièrement financées par les concessionnaires d'autoroutes et de places de covoiturage – plus de 2 000 dans les contrats signés en janvier. De plus, les assises que nous lancerons avant l'été travailleront en toute transparence à la définition du modèle des années 2030 pour accélérer la transition écologique.

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