Intervention de Joan Canton

Réunion du mercredi 22 mars 2023 à 13h40
Commission des affaires européennes

Joan Canton, Conseiller au cabinet de M. Thierry Breton, Commissaire européen en charge du marché intérieur :

L'Europe ne doit compter que sur elle-même. Nous allons évidemment continuer à travailler avec l'Organisation mondiale du commerce sur certains sujets. Nous faisons toutefois fausse route si nous attendons que les Américains changent, que les Chinois changent ou que l'OMC apporte une réponse à nos problèmes. L'approche du commissaire Thierry Breton, qui est désormais largement partagée au sein de la Commission, consiste à dire que l'Europe doit fournir elle-même les réponses aux questions qu'elle se pose. Le libre-échangisme béat a vécu. L'Europe doit rester un continent ouvert mais à nos conditions, avec des critères plus stricts dans le contrôle des investissements étrangers, avec un regard plus sévère sur les chaînes de valeurs internationales et sur les risques liés à la possibilité d'utiliser comme arme – nous l'avons bien vu avec la guerre en Ukraine – nos dépendances stratégiques. Lorsque la Chine menace l'Europe de restreindre ses exportations de panneaux solaires, cela a des conséquences non négligeables pour l'Union européenne. L'Europe a multiplié par deux le déploiement des panneaux solaires en 2022, il s'agit d'une partie de la réponse apportée à notre dépendance excessive au gaz russe. Or l'Europe a dû importé 95 % des panneaux solaires de Chine pour cela.

Nous nous trouvons dans une situation difficile qui met en évidence la nécessité de remettre les capacités industrielles européennes au premier plan. Nous ne pourrons pas tout produire en Europe : l'Europe devra continuer à importer, mais doit désormais être présente sur l'ensemble des chaînes de valeur. Par conséquent, l'Europe a pour objectif d'être présente sur le raffinage des matières premières critiques, sur leur recyclage et sur leur extraction. Il ne faut pas avoir honte d'extraire et d'exploiter des matières premières critiques en Europe. De cette stratégie découlent les objectifs de production pour les technologies vertes, sur le modèle des objectifs pour les semi-conducteurs. L'Europe doit représenter 20 % de la production mondiale de semi-conducteurs à l'horizon 2030. Cet objectif s'élève à 40 % pour les capacités de production de technologies vertes. En effet, l'Europe a aujourd'hui de fortes capacités de production pour l'énergie éolienne mais très peu pour l'énergie solaire. Une montée en puissance dans ce secteur est nécessaire pour éviter des dépendances stratégiques, mais également à court et moyen terme pour atteindre nos objectifs de décarbonation et de politique industrielle au sens large.

Plusieurs de vos questions ont porté sur un éventuel Buy European Act. L'approche retenue par la Commission dans la proposition de règlement Net Zero Industry Act est significative : il ne peut y avoir d'appels d'offres qui ne prennent en compte deux critères essentiels, la résilience et la soutenabilité. La proposition de la Commission, avant son passage devant les co-législateurs, prévoit qu'un appel d'offres doit prendre en compte l'enjeu de résilience, c'est-à-dire l'absence de dépendance à plus de 65 % d'une technologie donnée et d'un pays donné pour nos importations. Il ne s'agit pas d'une obligation mais d'une incitation forte à diversifier nos sources d'approvisionnement – sans pour autant cesser nos importations pour répondre à nos objectifs de décarbonation, comme le démontre l'exemple chinois sur les panneaux solaires. C'est un changement profond d'approche en termes de politiques européennes, même s'il ne s'agit pas d'un Buy European Act au sens strict.

Le financement reste la mère des batailles, à laquelle il faut évidemment apporter une réponse européenne qui soit adaptée à chaque État membre, à chaque situation. Ce financement peut prendre la forme d'un budget renforcé dans le cadre du Fonds de souveraineté européen, d'une participation accrue de la Banque européenne d'investissement ou d'autres banques publiques, ou de l'autorisation des aides d'État sous certaines conditions. Il faut prévoir un panier de mesures pour permettre un financement effectif.

Sur la question essentielle des réseaux électriques et de l'électricité, il convient de s'imaginer ce que sera un continent décarboné – soit largement électrifié – à l'horizon 2050. Nos capacités électriques vont plus que doubler voire tripler d'ici 2050 avec des approvisionnements uniquement en énergie décarbonée, c'est-à-dire en énergies renouvelables et en énergie nucléaire. Aussi, les réseaux électriques seront essentiels puisque les lieux de production et de consommation de l'électricité ne seront pas les mêmes : il s'agira, par exemple, de produire de l'électricité en mer du Nord ou dans le Sud de l'Espagne pour ensuite l'emmener dans des centres industriels tels que la Ruhr, la vallée du Rhône et l'Italie du Nord. Cela nécessite une véritable planification, que la Commission a commencée avec le plan Trans-European Networks for Energy. La Commission a ici abordé cette question un peu différemment, sous l'angle de la capacité industrielle à produire des technologies de réseaux. Actuellement, il existe une véritable difficulté à produire ces réseaux. Nous savons confectionner des éoliennes et les implanter en mer du Nord, mais nous ne savons pas comment les connecter au continent. Il faut donc produire ces capacités de réseaux de manière à être cohérent sur l'ensemble de la chaîne de valeur, c'est l'objectif qui sous-tend le Net Zero Industry Act.

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