Intervention de Pap Ndiaye

Séance en hémicycle du lundi 3 avril 2023 à 16h00
L'école inclusive une réalité

Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse :

Je tiens en premier lieu à remercier le groupe Gauche démocrate et républicaine – NUPES pour l'organisation de ce débat, dont le sujet concerne le quotidien et l'avenir de centaines de milliers d'élèves, de familles et de professionnels de l'éducation nationale et du secteur médico-social. L'intitulé que vous avez choisi m'incite d'emblée à répondre clairement : oui, l'école inclusive est une réalité.

En effet, le système scolaire accueille plus de 430 000 élèves en situation de handicap. La croissance annuelle de ce nombre dépasse 6 % et elle est désormais plus forte dans le second degré que dans le premier degré, ce qui dénote la progression des élèves en question, preuve qu'ils tirent profit de leur scolarisation. L'école inclusive constitue également une réalité pour les équipes pédagogiques, puisque quasiment tous les enseignants ont accueilli un jour dans leur classe un enfant en situation de handicap – ils y sont d'ailleurs préparés lors de leur formation initiale. Elle constitue enfin une réalité du point de vue des ressources engagées par l'État, puisque mon ministère a dédié à l'école inclusive près de 3,9 milliards d'euros en crédits de paiement dans le cadre du budget pour 2023, soit 1,7 milliard de plus qu'en 2017, ce qui représente une augmentation supérieure à 80 %.

L'accueil des élèves en situation de handicap repose sur une aide humaine ayant également connu une croissance considérable, puisque le nombre d'accompagnants d'élèves en situation de handicap a augmenté de 50 % depuis 2017 et s'élève aujourd'hui à plus de 130 000. Il y a désormais un AESH pour huit enseignants, de sorte qu'il s'agit désormais du deuxième métier le plus représenté au sein de l'éducation nationale.

Nous avons également multiplié les dispositifs d'inclusion. Ainsi, les classes Ulis sont au nombre de 10 300 et seront présentes dans chaque collège d'ici à la fin du quinquennat. De plus, nous avons collaboré avec Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée chargée des personnes handicapées, au développement de dispositifs permettant l'inclusion d'élèves qui souffrent d'un handicap nécessitant un accompagnement médico-social soutenu. Je pense par exemple aux unités d'enseignement externalisées destinées aux enfants atteints de troubles autistiques ou encore aux enfants polyhandicapés.

Toutes ces mesures constituent une transformation profonde de l'école et un progrès majeur pour des centaines de milliers d'enfants et pour leurs familles. Il s'agit d'un grand pas vers la construction d'une société pleinement inclusive. Ignorer cette réalité reviendrait à se montrer aveugle à l'engagement des équipes sur le terrain et des différents responsables politiques qui œuvrent depuis longtemps à la construire.

Le système est-il pour autant parfaitement abouti ? Tenons-nous pleinement notre promesse d'égalité ? De toute évidence, ce n'est pas encore le cas. Notre système d'école inclusive connaît des limites qu'il importe d'identifier et de dépasser. Sans évoquer d'emblée chacune des nombreuses difficultés auxquelles il fait face, car je sais que vous aurez l'occasion de m'interroger à ce sujet – je serai alors heureux de vous répondre –, je tiens à mentionner deux d'entre elles, qui me semblent particulièrement structurantes.

La première limite de l'école inclusive sous sa forme actuelle réside dans le choix collectif de privilégier la compensation par rapport à l'accessibilité. En d'autres termes, ce choix s'est traduit par le caractère quasi unique, voire presque automatique, de la réponse à apporter aux élèves en situation de handicap, à savoir l'aide humaine dans la classe, le recours aux AESH. Je crois pourtant qu'il ne s'agit pas toujours de la meilleure solution pour faire progresser les élèves, améliorer leur autonomie et garantir leur accès au savoir ; d'ailleurs, nous ne pourrons pas accroître sans fin le nombre d'AESH en réponse aux notifications des MDPH.

Cette réponse systématique, qui est insatisfaisante sur le fond, pose également des difficultés concrètes de recrutement et de valorisation du métier d'AESH, ô combien essentiel. Si nous avons pris des mesures pour améliorer la situation des AESH, nous devons trouver les moyens de proposer un temps complet à ceux qui le souhaitent. Cette approche unique pose enfin des problèmes dans certaines classes où l'enseignant est entouré de plusieurs AESH. L'aide humaine est indispensable pour assister certains élèves et pour accompagner l'augmentation de leur nombre dans le second degré, cela est incontestable ; néanmoins, il convient de mobiliser également d'autres solutions.

La seconde difficulté réside dans la capacité de l'école, en l'état, à accueillir davantage d'enfants souffrant d'un handicap nécessitant des soins plus poussés, des ressources éducatives plus étendues et des approches pédagogiques plus différenciées. Malgré l'appui du secteur médico-social, qui leur apporte des soins et un accompagnement éducatif, force est de reconnaître que de nombreux enseignants se sentent en difficulté lorsqu'il s'agit d'accueillir et de faire progresser ces élèves. Il importe de trouver des réponses à ces alertes et à ces préoccupations légitimes, qui témoignent de l'engagement des équipes éducatives. Si nous ne résolvons pas ces problèmes, ils mettront en péril l'évolution de l'inclusion scolaire.

Dès lors, il nous faut faire advenir ce que nous appelons l'acte II de l'école inclusive, qui permettra d'approfondir le mouvement engagé en la matière et de mieux répondre aux enjeux d'inclusion. Il convient d'apporter une réponse plus adéquate aux attentes des familles et des professionnels, en prenant toujours pour boussole l'intérêt des élèves. Ce travail s'inscrit dans une réflexion plus générale, pilotée par Geneviève Darrieussecq, qui aboutira à la Conférence nationale du handicap (CNH) prévue pour la fin du mois d'avril.

Sans préjuger de ses conclusions, je voudrais vous exposer sur quoi elle se fonde : d'abord sur la mobilisation des acteurs de l'école inclusive. Nous avons notamment instauré un groupe de travail composé de parlementaires, que je remercie au passage, d'associations, de représentants des parents d'élèves, de représentants des collectivités territoriales, de membres du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), de directeurs de MDPH, des administrations de l'État concernées et d'inspecteurs de l'éducation nationale. Ce groupe a émis une douzaine de propositions, comme la constitution d'équipes ressources dans chaque école ou chaque établissement, ou la conception d'écoles et d'établissements qui incluent des équipes médico-sociales dans leurs murs ou à proximité.

En parallèle, nous discutons avec les organisations qui, elles aussi, nous font part de leurs constats et de leurs propositions. Nous expertisons ces propositions qui alimenteront les mesures que nous prendrons.

En outre, cette réflexion s'appuie sur quelques principes et orientations qui convergent avec les analyses du groupe de travail que je viens d'évoquer. Il faut d'abord réaffirmer que tous les enfants, quels qu'ils soient, ont un droit et une obligation d'instruction. Il est de notre devoir d'assurer l'effectivité de ce droit. Pour cela, l'école devra être la clef d'entrée de l'accueil et de l'accompagnement des familles et des élèves pour assurer leur bonne scolarisation. C'est dans cet esprit, par exemple, que j'ai décidé qu'à partir de la rentrée 2023, tous les enfants, y compris ceux qui sont dans des établissements médico-sociaux, se verront attribuer un identifiant national élève qui les rattachera à l'éducation nationale et à une école.

Ensuite, l'école inclusive doit mobiliser de manière permanente l'ensemble des moyens d'accessibilité et de compensation, pour devenir à terme accessible par défaut. Le point de départ est donc bien l'adaptation pédagogique et l'accessibilité de l'école. L'accompagnement humain interviendra toujours mais il doit retrouver sa juste place.

Enfin, pour atteindre ces objectifs et pour que les familles puissent mieux s'orienter et être accompagnées, l'échelon territorial de proximité doit être renforcé. L'établissement scolaire doit devenir progressivement le lieu où tous les acteurs de la communauté éducative, les élèves comme les enseignants, disposent du soutien nécessaire. Tout cela suppose, comme le suggère le groupe de travail, de renforcer la présence du secteur médico-social dans les écoles et les établissements, de faire des efforts importants de formation et de partage de cultures professionnelles et de réaffirmer la responsabilité de l'éducation nationale dans la détermination des solutions qui conviennent à chaque élève.

Je voudrais insister sur deux points. Premièrement, ma conviction est qu'aller vers une école plus inclusive est une obligation politique qui repose sur notre pacte social républicain. C'est une obligation juridique, étant donné les engagements internationaux de la France, et c'est surtout une obligation à l'égard des élèves concernés et de leurs familles.

Deuxièmement, cet approfondissement de l'inclusion à l'école pour les élèves en situation de handicap bénéficiera à tous les élèves, en réalité, à commencer par ceux qui, sans qu'ils soient reconnus en situation de handicap, ont des besoins d'apprentissage particuliers pour telle ou telle raison. Cette évolution est parfaitement cohérente avec les autres objectifs que je défends, notamment la réussite des élèves et l'amélioration de la mixité sociale et scolaire.

J'ai commencé mon intervention en soulignant l'intérêt de ce débat. Nos échanges et les points de vue que vous exprimerez, auxquels je prêterai la plus grande attention, permettront, j'en suis certain, de nourrir et d'enrichir les mesures concrètes que nous prendrons sur ce sujet.

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