Intervention de Agnès Carel

Séance en hémicycle du mercredi 5 avril 2023 à 21h30
Contrer le recul de la culture scientifique à l'école au sein de l'État et dans nos politiques publiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAgnès Carel :

En janvier dernier, la commission des affaires culturelles et de l'éducation a procédé à l'audition de plusieurs scientifiques et spécialistes sur le thème de l'enseignement des mathématiques et des sciences. Ma collègue Béatrice Bellamy et moi-même avions reçu, à titre personnel, le vice-président de la Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs (CDEFI). Tous nous ont fait part de leur inquiétude sur les performances dégradées des élèves et des étudiants en mathématiques et en sciences, sur le manque de scientifiques dans un avenir proche et sur le faible pourcentage de filles dans les filières scientifiques. Ces phénomènes ont tous un impact sur l'économie de notre pays et l'avenir de nos entreprises.

L'an dernier, dans une tribune du Monde, des représentants de la communauté scientifique, technique, éducative et de la recherche en mathématiques et en sciences alertaient le Gouvernement sur les enjeux de société relatifs à l'identification des problèmes de formation qui se posent pour ces matières et le pressaient d'en analyser les causes.

Pourquoi cette problématique de l'enseignement des matières scientifiques persiste-t-elle en France au gré des réformes, avec des hauts et des bas ? Rappelons tout d'abord que, pendant longtemps, ce sont les lettres classiques qui ont été au principe même de l'éducation des élites, les sciences et les mathématiques étant réduites à la portion congrue. La période gaullienne marquera un tournant pour la place des mathématiques et des sciences dans la formation des élèves. En vertu du décret du 10 juin 1965, les chemins conduisant au baccalauréat se spécialisent dès la classe de seconde, avec quatre séries générales : A pour l'enseignement littéraire, B pour les sciences économiques et sociales, C pour les mathématiques et D pour les sciences expérimentales.

Dès 1983, le rapport sur les seconds cycles a souligné que « les études à dominante scientifique, détournées de leur finalité, servent en fait à définir une élite ». Depuis, tous les rapports sur le lycée et tous les projets de réforme ont voulu rééquilibrer les filières et les séries en luttant contre la prééminence du bac scientifique, érigé en voie royale.

Après la dernière réforme des lycées, selon les chiffres du ministère, les mathématiques auraient perdu 37 % des élèves de terminale en 2021. Et ce constat vaut tout autant pour les sciences physiques et chimiques, où la diminution serait de 36 %, et encore davantage pour les sciences de la vie et de la Terre (SVT), qui auraient chuté de 50 % !

Les conséquences sont donc importantes. On sait d'ores et déjà qu'il manque plus de 15 000 ingénieurs chaque année. Cet écroulement s'explique notamment par un choix d'options réduit : entre la première et la terminale, les élèves passent désormais deux à trois spécialités. Cela aboutit à des absurdités. Ainsi, les futurs biologistes, au sens large – agronomes, médecins, vétérinaires –, se cramponnent aux matières de sélection, à savoir les mathématiques et la physique-chimie, au détriment des SVT.

Au moment où les crises climatique, sanitaire et de la biodiversité deviennent des enjeux majeurs, l'enseignement des logiques du vivant et de la Terre se réduit drastiquement. Le déficit scientifique au lycée affecte tous les élèves : certains élèves des filières littéraires peuvent n'avoir que 7 % d'heures de sciences dans leur apprentissage ! Dès lors, comment peuvent-ils détenir les clés pour comprendre les changements actuels ?

Il est temps de remettre à plat l'enseignement des mathématiques et des sciences dès les plus petites classes. Cela commence par la formation des professeurs des écoles, qui sont souvent issus de formations littéraires et qui, en majorité, n'ont aucune formation, qu'elle soit initiale ou continue, pour enseigner ces matières.

Par ailleurs, je plaide pour l'interdisciplinarité, à l'instar de certains scientifiques de la fédération BioGée ou de la fondation La Main à la pâte, qui œuvrent pour revaloriser l'enseignement des mathématiques et des sciences. On peut utiliser une pomme comme modèle pour la peindre, pour disserter sur son aspect ou son parfum, pour étudier son rôle dans l'histoire de l'alimentation… Bref, l'interdisciplinarité n'est pas une juxtaposition : chaque discipline doit donner du sens et des outils aux autres. Le cerveau des élèves n'est pas compartimenté, mais unique et intégré ; il est mutilé si tous ses outils cognitifs ne se répondent pas entre eux. C'est certainement ainsi que nous parviendrons à lutter contre le choix des jeunes filles qui, dès leur plus jeune âge, excluent de leur culture les matières scientifiques. La transversalité est sûrement l'un des leviers à exploiter.

La France doit aujourd'hui se doter de plus de mathématiciens et de scientifiques, si tant est qu'elle veuille répondre aux enjeux de demain, dans un monde très concurrentiel – c'est encore plus vrai aujourd'hui qu'hier. Le monde de demain ne peut se construire que dans une société où chacun possède une vraie culture scientifique pour relever, à son niveau, les défis environnementaux. Jacques Chirac disait à juste titre : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. » Il est urgent de regarder vers les mathématiques et les sciences pour élever notre nation.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion