Intervention de Sylvie Retailleau

Séance en hémicycle du mercredi 5 avril 2023 à 21h30
Contrer le recul de la culture scientifique à l'école au sein de l'État et dans nos politiques publiques

Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche :

Pour commencer, je veux remercier le groupe Socialistes et apparentés d'avoir inscrit le thème du recul de la culture scientifique à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Pour le Gouvernement aussi, il s'agit d'un sujet majeur.

Vendredi dernier, j'ai eu un échange passionnant avec les chercheurs français qui ont contribué à la rédaction de la synthèse du sixième rapport d'évaluation du Giec. Nous avons évoqué les conclusions de ce rapport et souligné le rôle de la recherche et de la technologie dans le suivi et la modélisation de l'impact du réchauffement climatique, ainsi que dans l'élaboration de solutions. Nous avons beaucoup parlé de ce qui nous réunit ce soir : la conviction qu'il faut accroître la culture scientifique dans notre société, dès le plus jeune âge, afin d'éclairer le débat public et la prise de décision politique.

Au mois de janvier dernier, l'établissement public Universcience a publié les résultats de son premier Baromètre de l'esprit critique. Les résultats de ce sondage sont encourageants, puisqu'ils montrent que nos concitoyens ont majoritairement confiance en la science et conscience qu'elle fait partie de leur quotidien. Ce sondage révèle toutefois des disparités générationnelles, socio-économique et de genre. Un tiers de nos concitoyens ne sont pas convaincus du lien entre le réchauffement climatique et le CO2 produit par les activités humaines. Cet exemple est emblématique du défi que représente l'appropriation des résultats des recherches scientifiques par la société. Le réchauffement climatique nous touche toutes et tous et nous voyons, hélas, son impact croître chaque année dans notre vie quotidienne. Sur ce sujet, la médiation scientifique doit impérativement poursuivre ses efforts.

Il s'agit de donner à chaque citoyen les informations nécessaires pour se forger un avis éclairé. L'actualité récente a montré à quel point cela est nécessaire. Je pense bien sûr aux fake news, que certains d'entre vous ont évoquées. Une fausse information est facile à créer ; une fois créée, elle circule si facilement et si vite…

Pour les jeunes, notamment, les réseaux sociaux sont des vecteurs puissants de ces fausses informations qui font aujourd'hui des adeptes. Une enquête de l'Ifop de 2022 nous apprend que, pour plus d'un jeune sur quatre, les êtres humains ne sont pas le fruit d'une longue évolution d'autres espèces, mais qu'ils ont été créés par une force spirituelle. Ainsi, pour 19 % des jeunes âgés de 18 à 24 ans, les pyramides égyptiennes ont été bâties par des extraterrestres. Vous avez cité d'autres exemples issus de cette enquête : ils prouvent tous qu'il est urgent de préparer notre jeunesse au déferlement des fake news, dont les conséquences civiques peuvent être graves. Sur ce sujet, nous sommes tous impliqués et responsables.

Il est de notre responsabilité de développer l'esprit critique de nos concitoyens à l'aide d'un apprentissage basé sur une méthodologie et un raisonnement qui apprend à considérer plusieurs points de vue pour se construire un avis basé sur des faits. Cet avis doit se fonder sur une information scientifique de qualité et vérifiée, qui prend du temps à être produite et à être diffusée. Car la science – et c'est très bien ainsi – est exigeante, rigoureuse, précise et réfléchie. Elle ne s'accommode pas de petits raccourcis ; elle ne transige pas avec la vérité.

Cela pourrait sembler décourageant, et l'on peut se demander comment lutter contre cette asymétrie. Mais nous pouvons le faire, je le crois, en faisant tout pour rendre accessibles au plus grand nombre les connaissances et les avancées de la science. Cela passe par la diffusion de la culture scientifique, mais aussi par le fait de mettre en avant la parole scientifique dans le débat public. Je vous remercie donc vraiment de nous donner l'occasion de débattre ensemble de ce sujet ; j'en suis personnellement heureuse.

La diffusion de la culture scientifique, technique et industrielle est au cœur des missions des établissements d'enseignement supérieur ; elle est d'ailleurs inscrite dans le code de l'éducation. C'est pourquoi il est indispensable de mieux reconnaître la relation entre science et société comme une dimension à part entière de l'activité scientifique, donc de l'activité de nos enseignants-chercheurs et de nos enseignantes-chercheuses.

La culture scientifique doit aller vers les citoyens, afin de faire tomber les préjugés ou les réticences qui peuvent les éloigner des vérités scientifiques. En tant que chercheuse, il m'a toujours semblé important de m'engager personnellement pour faire vivre cette diffusion de la culture scientifique, au plus près du terrain, au plus près des jeunes et des écoles. Et je connais, pour en avoir fait l'expérience, l'importance de ces moments de partage : je pense aux actions que j'ai menées dans des communes comme Marcoussis, Saint-Arnoult-en-Yvelines, Grigny, Dourdan, Les Ulis, Montigny-le-Bretonneux et bien d'autres encore. Je suis convaincue que la compréhension de phénomènes scientifiques et la transmission d'un certain enthousiasme – car oui, la science est aussi enthousiasmante ! – peuvent réellement contribuer à faire naître des vocations chez les plus jeunes, mais surtout à créer une curiosité, une ouverture sur le monde et le goût de chercher des réponses.

Je pense par exemple à la bande dessinée lauréate du prix « Le goût des sciences » 2022 dans la catégorie « prix du livre scientifique jeunesse », décerné par des jeunes âgés de 9 à 13 ans : Les Femmes de sciences vues par une ado un peu vénère ! Son titre montre bien l'enjeu auquel nous faisons face, cette préoccupation que nous partageons, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et moi-même, et qui a trait à l'attractivité des filières scientifiques, en particulier pour les jeunes filles. Pour apporter à ce défi les réponses qu'il mérite – j'en avais parlé lors de la remise du prix Irène-Joliot-Curie –, nous lancerons des assises consacrées à l'attractivité des sciences pour les femmes, qui rassembleront tous les acteurs du monde de la recherche et de l'enseignement supérieur.

En matière de culture scientifique, si nous devons nous adresser à la société dans son ensemble, nous devons commencer très en amont et nous tourner d'abord vers nos enfants, pour leur redonner le goût des sciences, notamment celui des mathématiques. En effet, l'esprit critique est au cœur du projet de l'école républicaine, et il doit reposer très tôt sur la culture scientifique et sur son fondement, les mathématiques, dont il est beaucoup question en ce moment. Le renforcement de leur enseignement en 2023 est ainsi crucial pour le ministère de l'éducation nationale, qui doit préparer – et il le fait – les étudiants de demain.

Je suis par ailleurs particulièrement attentive à ce que la médiation scientifique soit mieux reconnue comme une mission structurante de nos doctorants et de nos chercheurs. Les exemples sont nombreux et je voudrais en rappeler quelques-uns. Dans le cadre de leur contrat, les doctorants peuvent se voir confier une mission de « valorisation des résultats de la recherche scientifique et technique », afin de promouvoir leurs activités de recherche et leurs réalisations au-delà de la sphère académique, auprès des élèves et des enseignants du primaire et du secondaire, mais aussi de l'ensemble des acteurs du monde socio-économique et même de tous les citoyens. Le ministère de l'éducation nationale noue ainsi des liens avec des fondations comme La Main à la pâte, qui développe le réseau des Maisons pour la science et avec qui il a passé une convention ; nous souhaitons les développer et nous allons le faire, en nous appuyant sur ces contrats doctoraux qui pourraient être utilisés pour enrichir cet effort de médiation.

En 2020, pour que l'excellence de la recherche puisse se diffuser dans la société, la loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 a entériné la création de cinq chaires juniors et de cinq chaires seniors au sein de l'Institut universitaire de France (IUF), pour inviter nos meilleurs chercheurs à développer les relations entre les établissements d'enseignement supérieur et de recherche et la société. C'est aujourd'hui un succès.

Ensuite, je ne peux évidemment pas oublier la création de la médaille de la médiation scientifique du CNRS – Centre national de la recherche scientifique –, qui récompense des femmes et des hommes qui placent la science au cœur de la société et qui diffusent une information scientifique accessible à différents publics.

La culture scientifique peut également se renforcer grâce à ce que l'on appelle la recherche participative. Vous en avez peu parlé, mais cela consiste à associer des acteurs de la société civile à un travail de recherche donné : le lien entre la science et l'expression d'un besoin par l'usager est ici immédiat. Cet échange, qui peut aller jusqu'à la coconstruction de la démarche scientifique, permet de nourrir la confiance en une science éthique et responsable, au service de la société. La charte des sciences et recherches participatives en France a été signée par de nombreux acteurs de la recherche – organismes nationaux de recherche et universités – mais aussi par un grand nombre d'ONG et d'associations, ce qui souligne l'intérêt citoyen pour cette démarche.

Depuis plusieurs années, mon ministère soutient fortement les actions labellisées « Science avec et pour la société » (Saps). Des moyens dédiés ont été mobilisés, dans la loi de programmation de la recherche, afin de les renforcer. J'en citerai quelques-uns. Un label assorti de moyens a été créé pour les sites universitaires, afin qu'ils puissent se mobiliser en faveur de ces actions qui étaient jusqu'alors souvent accomplies bénévolement par les chercheurs, peu reconnues dans leurs carrières et peu soutenues. Aujourd'hui, ce sont vingt universités qui se sont dotées d'un programme « Science avec et pour la société » ; dans chacune d'entre elles, un vice-président est chargé de le promouvoir et c'est là aussi un élément nouveau, qui n'existe que depuis quelques années. Désormais, 1 % du budget d'intervention de l'ANR est consacré à ces actions. Enfin, les chercheurs sont systématiquement encouragés à intégrer à leurs projets de recherche un volet de médiation scientifique.

Afin que la culture scientifique alimente le débat public, réponde aux interrogations des citoyens et éclaire les décisions politiques, il est nécessaire que l'ensemble des parties prenantes puisse se réunir pour débattre des sujets d'actualité qui émergent sur le front scientifique et des actions entreprises dans le domaine des relations entre science et société. À cette fin, il existe une instance consultative, placée auprès de la ministre de la culture et de moi-même, et que certains d'entre vous ont mentionnée à la tribune juste avant moi : le Conseil national de la culture scientifique, technique et industrielle. Il est essentiel que le Gouvernement soutienne avec vous une ambition réelle et forte pour la science, avec et pour la société. Je vais donc proposer à ma collègue ministre de la culture de relancer très vite cette instance, en travaillant aux modalités permettant d'y associer pleinement chercheurs et citoyens.

La double mission qui a été confiée à mon ministère – et ce depuis qu'il existe – est la suivante : repousser toujours plus les frontières de la connaissance, et en garantir la transmission et la diffusion. C'est cela qui nous permettra, j'en suis convaincue, de relever les grands défis auxquels nous sommes collectivement confrontés. À nous de redonner confiance dans la science et goût pour la science, de réveiller les curiosités et de rappeler, comme le disait Marie Curie, que « rien n'est à craindre, tout est à comprendre ».

Je voudrais terminer en citant un autre savant dont la maxime devrait guider l'enseignement et la formation de tous nos étudiants, à toutes les étapes, de l'école jusqu'à l'université : Montaigne, qui disait qu'il vaut mieux « une tête bien faite qu'une tête bien pleine ». C'est ainsi que nous pourrons les amener vers les sciences tout en développant leur esprit critique ; c'est une révolution à laquelle nous devons nous employer collectivement. Depuis des années, on ne cesse d'ajouter du contenu au contenu, mais je crois que ce sont d'abord l'esprit critique, la méthodologie scientifique et l'amour des sciences qui doivent nous guider, en particulier au cours du débat qui nous réunit ce soir.

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