Intervention de Pap Ndiaye

Réunion du mardi 4 avril 2023 à 17h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Pap Ndiaye, ministre :

La Première ministre a annoncé des mesures qui concernent l'éducation dans les territoires ruraux. Celles-ci témoignent de l'attention que nous portons aux demandes des députés et des sénateurs. Nous avons ainsi décidé de nous engager dans une démarche pluriannuelle. Les enfants qui naissent aujourd'hui seront scolarisés dans trois ans, ce qui nous donne une visibilité raisonnable pour penser la carte scolaire. Cela ne signifie pas que nous la gelons mais que nous nous engageons dans un dialogue avec les collectivités, en particulier les communes, ainsi que les préfectures, pour prendre les meilleures décisions. La commission de concertation, qui diffère des conseils départementaux de l'Éducation nationale (CDEN), se réunira dès l'automne afin d'échanger avec les maires autour de leurs projets qui pourraient avoir des répercussions sur la population scolaire – projet de construction de lotissements ou d'implantation d'entreprise, par exemple.

Je suis très sensible aux effets que peut avoir, pour un maire, la décision de fermer une classe après l'octroi de subventions pour rénover l'école. Je comprends que le manque de cohérence de l'État soit déstabilisant. Nous devons avoir une vision de plus long terme, sur trois ans, mener des concertations et prévenir le maire de nos intentions, même si nous devrons évaluer chaque année la carte scolaire pour tenir compte des familles qui emménagent ou qui déménagent.

J'ai visité un territoire éducatif rural dans le sud de la Nièvre, à La Machine, avec la Première ministre. Ces réseaux d'écoles et de collèges, voire de lycées, visent, sur le modèle des cités éducatives déployées dans les mondes urbains, à faire travailler ensemble le scolaire, le périscolaire et l'extrascolaire, à renforcer la coopération entre le primaire et le secondaire, en particulier autour de cette classe de sixième, et autour d'activités périscolaires. Les soixante-cinq premiers territoires éducatifs ruraux déployés donnent des résultats encourageants et nous souhaitons les développer. Nous n'y parviendrons qu'avec le soutien actif des collectivités qui doivent les demander. Il ne serait pas possible de les leur imposer. Je précise au passage que nous avons créé, au ministère de l'Éducation nationale, une instance de dialogue, de coordination, qui se réunit toutes les six semaines, ce qui permet de discuter avec les collectivités des sujets que nous partageons. Le lancement des territoires éducatifs ruraux doit relever de l'initiative des collectivités et elles savent que nous les soutiendrons.

M. Marion a évoqué les regroupements pédagogiques intercommunaux. Nous souhaitons les développer, eux aussi, non seulement pour répondre à la baisse des effectifs scolaires mais aussi pour faire travailler ensemble des écoles, des collectivités. Ces outils donnent des résultats très valables. J'en ai visité quelques-uns dernièrement en Haute-Savoie. Nous comptons proposer un bonus pour les collectivités qui s'engageront dans ces regroupements pédagogiques intercommunaux, en termes de ressources humaines, afin d'encourager la création de ces structures.

Nous augmentons d'autre part le nombre de places en internat d'excellence puisque 3 000 places s'ajouteront aux 11 000 existantes. Les données statistiques témoignent de l'effet bénéfique de l'implantation des filières attractives au sein de collèges urbains, en particulier dans des secteurs défavorisés, et il n'y a pas de raison de ne pas obtenir d'aussi bons résultats si l'on créé de telles filières dans les collèges ruraux. Je pense à des sections internationales, des sections sportives, des sections artistiques, dont les collèges ruraux doivent pouvoir bénéficier, eux aussi.

Nous proposons également des formules, sinon de binôme, du moins de partenariat entre collèges urbains et ruraux. Je disais l'autre jour en souriant, par référence à la célèbre fable, qu'il fallait rapprocher les rats des villes des rats des champs. Les élèves des mondes urbains, qui ne connaissent pas toujours la campagne, doivent pouvoir se rendre dans un collège partenaire, jumelé, et inversement. Nous voulons favoriser l'élaboration de projets pédagogiques entre des collèges qui, souvent, s'ignorent de par leurs réalités sociales.

Monsieur Patrier-Leitus, j'ai apporté 389 correctifs aux premières annonces de fermetures de classe entre février et mars. Ce sont autant de fermetures de classes qui n'auront pas lieu. Peut-être sera-t-il nécessaire de procéder à d'autres ajustements d'ici à juin. Nous verrons cela.

Monsieur Odoul, vous avez donné le chiffre des fermetures de classe, qui est supérieur à 5 000, mais vous avez omis de citer celui – et c'est heureux – des 3 000 ouvertures de classe, dans les territoires où la population scolaire augmente. Il faut parler d'un solde. Dans tous les départements, des classes ferment et d'autres s'ouvrent.

Il n'y a pas d'injustice entre ruralité et urbanité, entre mondes ruraux et mondes urbains. L'idée selon laquelle l'Éducation nationale serait tournée vers les mondes urbains ou suburbains et délaisserait les mondes ruraux, est inexacte. J'ai précisé les éléments du plan « ruralité » mais, d'une manière plus générale, les taux d'encadrement sont meilleurs dans les régions rurales que dans les régions urbaines. C'est en Lozère et dans le Cantal que vous trouverez les meilleurs taux d'encadrement car on doit y maintenir ouvertes des classes que l'on aurait fermées en ville du fait de la faiblesse de leurs effectifs, pour que les élèves n'aient pas à parcourir de trop longues distances jusqu'à la prochaine école.

Les résultats scolaires, en milieu rural, ne sont pas mauvais. Ils sont bons dans les écoles primaires et les collèges, un peu moins dans les lycées mais, globalement, ils sont meilleurs que dans beaucoup de régions urbaines plus ou moins défavorisées. En revanche, les services statistiques de l'Éducation nationale ont révélé que les ambitions scolaires ne reflétaient pas le niveau constaté. Les perspectives des bons élèves en milieu rural, après le collège ou le bac, restent limitées, sur le plan géographique comme sur celui des perspectives professionnelles, en raison du métier des parents ou des connaissances. Les questions qui se posent pour favoriser la réussite des élèves en milieu rural sont différentes de celles auxquelles nous devons répondre dans le domaine de l'éducation prioritaire classique.

Vous avez été nombreux à m'interroger à propos de l'attractivité du métier. Monsieur Walter, vous avez critiqué le pacte enseignant mais n'oubliez pas que nous prévoyons aussi une revalorisation inconditionnelle des rémunérations, dite socle, qui profitera à tous, du stagiaire au professeur en fin de carrière. Si vous avez la curiosité de relire la loi de finances de 2023, vous constaterez que nous y consacrons 1,9 milliard d'euros en année pleine. L'importance de cette somme est inédite et les hausses de salaire seront significatives. C'est en dialogue avec les organisations syndicales que nous avons avancé car nous ne visions au départ que les enseignants en début de carrière ou dans leur première moitié de carrière. Lorsque l'on compare le statut des enseignants au niveau international, les Français sont en effet ceux qui gagnent le moins en début de carrière – le retard est rattrapé en fin de carrière. J'insiste sur ce point : la revalorisation n'est soumise à aucune condition, elle bénéficiera à tous les enseignants. Des augmentations de salaire sont également prévues pour d'autres catégories de personnel de l'Éducation nationale.

J'ajouterai que je me réjouis de la richesse et de la sincérité du dialogue qui s'est noué avec les organisations syndicales, malgré leur opposition au pacte que nous comptons proposer aux enseignants volontaires. Il ne s'agira pas, cette fois, d'une logique de socle, laquelle répond à la nécessité de renforcer l'attractivité du métier. Si nous augmentons le salaire des enseignants, c'est aussi pour susciter de nouvelles vocations, car nous rencontrons des difficultés à recruter. Depuis plusieurs décennies, nous avons accumulé du retard dans la revalorisation des enseignants. Il nous faut à présent le rattraper. En dépit de son importance, l'effort que nous consentons et qui se traduit par une augmentation du budget de l'Éducation nationale de 6,5 % par rapport à 2022, ne suffira peut-être pas à rattraper d'un seul coup des décennies de glissement de la rémunération des enseignants. Il mérite tout de même d'être salué.

Pour ce qui est de notre choix budgétaire général, nous avons voulu mettre l'accent sur l'attractivité du métier et la hausse de la rémunération des enseignants car, en fin d'année, dans de nombreuses académies, des milliers de postes ne sont pas pourvus, dans le premier degré comme dans le second. Et il ne suffira pas d'augmenter le nombre de postes de professeurs d'allemand pour résoudre le problème ! Simplement, nous aurons encore plus de postes vacants. Notre budget doit être dépensé, en priorité, pour augmenter l'attractivité du métier avant de multiplier des postes qui ne seraient pas pourvus.

Dans l'académie de Créteil, des centaines de postes de professeurs des écoles ne sont pas pourvus. Nous devons inverser la tendance. Le taux de postes pourvus au concours est de 83 %, ce qui signifie que, pour cent postes mis au concours, seules quatre-vingt-trois personnes sont recrutées tandis que dix-sept postes restent vacants. Le problème est sérieux et ne se résoudra pas seulement par l'augmentation des salaires. Nous devrons revoir le déroulement des carrières, par exemple. Les jeunes n'entrent plus dans le métier comme jadis, forts de la perspective d'y rester jusqu'à leur pot de retraite. Ils veulent pouvoir changer de poste ou de métier et il faut repenser les ressources humaines de proximité, la manière dont on ouvre des portes d'entrée et de sortie. De plus en plus de personnes intègrent l'Éducation nationale en deuxième partie de carrière : nous devons valoriser les premières parties de carrière qui ont pu se dérouler dans le privé. La réflexion est essentielle et les mesures que nous prendrons en ce sens participeront de l'attractivité du métier.

J'en viens au pacte. Pas moins de 15 millions d'heures d'enseignement sont perdues parce que nous ne remplaçons pas les absences de courte durée. Nous devons trouver des solutions. Le pacte est un dispositif souple, facultatif, qui permettra aux enseignants qui acceptent de le signer, de recevoir 10 % d'augmentation de rémunération calculée sur le salaire moyen des enseignants.

Concernant la mixité, les données comparatives dont nous disposons indiquent que, de tous les pays de l'OCDE, c'est en France que la ségrégation scolaire est la plus aigüe. Elle serait même l'une des plus marquées au niveau international. Or le niveau général des élèves dépend de celui de la mixité sociale et scolaire. Nous devons donc faire un effort en ce sens.

Nous devons actionner les leviers qui existent localement – à Paris, en Haute-Garonne et ailleurs encore –, soumettre les dispositifs qui naissent de ces mobilisations à la discussion entre le rectorat et les collectivités de manière à ce qu'ils puissent être déployés plus largement. À Paris, la réforme de la plateforme d'affectation Affelnet a donné de très bons résultats : il n'y a pas de raison de la limiter à Paris car elle pourrait profiter à des villes de taille comparable. C'est cet élan que nous voulons donner.

S'agissant des collectivités, nous avons besoin de dialoguer avec elles. Nous n'arriverons à rien en matière de mixité si le ministère de l'Éducation nationale décide de manière verticale, depuis la rue de Grenelle. Les collectivités ne sont pas là seulement pour payer les bâtiments et la cantine. Elles sont nos partenaires en matière de sectorisation, car les élus connaissent précisément les réalités locales. Je me réjouis de la grande ouverture au dialogue dont témoignent sur ce point de nombreuses collectivités. Nous nous inscrivons dans une démarche de partenariat.

C'est également ce que nous faisons avec l'enseignement privé sous contrat, Monsieur Portier. Il n'entre pas dans mes intentions de rallumer la guerre scolaire. Mais comme l'État assure le financement des trois quarts du budget de cet enseignement, nous pouvons aussi formuler des demandes à son égard. J'observe d'ailleurs qu'il est tout à fait réceptif à ces demandes de mixité sociale et scolaire accrue. Des efforts sont faits ici et là dans ce sens mais, là aussi, nous voulons donner un élan – et le faire dans le cadre d'un partenariat et du dialogue. J'insiste beaucoup sur ce point. Certes, cela ne répond sans doute pas à une vision de changement radical qui bouleverserait tout en quelques semaines. Mais si nous voulons avancer et ne pas nous heurter à un mur qui bloquera ensuite la situation pendant des décennies, nous ne pouvons le faire qu'en partenariat et en dialoguant.

Madame Keloua Hachi, j'ai discuté à plusieurs reprises avec le président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis. Nous avons formulé des propositions très intéressantes. Les frontières académiques en matière de sectorisation ne doivent pas nécessairement être étanches entre une ville de Paris qui perd des élèves et un département de Seine-Saint-Denis qui n'en perd pas encore aux niveaux du collège et du lycée. Cette remarque peut s'appliquer à d'autres académies.

En revanche, redéfinir les frontières académiques est un travail qui prend des années. J'en veux pour preuve la fusion des académies de Rouen et de Caen, qui vient à peine de s'achever, alors qu' a priori, les difficultés n'étaient pourtant pas immenses. Redessiner la carte des académies nous engagerait donc dans un marathon administratif et politique qui risquerait de ne pas produire les meilleurs effets.

Madame Bourouaha, la carte de l'éducation prioritaire ne s'élabore pas en intégrant au fil de l'eau des établissements en Rep ou en Rep+. Elle fait l'objet de révisions générales, la dernière remontant à 2014-2015. Elle s'appuyait sur des statistiques qui dataient de 2011. Depuis lors, la société française a beaucoup évolué et nous commençons à réfléchir à une refonte de la carte de l'éducation prioritaire. Mais cela prend beaucoup de temps et doit se faire en partenariat avec les collectivités. Nous pensons aboutir pour la rentrée de 2024.

Mme Descamps m'a interrogé sur l'accompagnement des enfants atteints d'une pathologie chronique ou d'un cancer. Les décrets d'application de la loi du 17 décembre 2021 prévoient que le dispositif sera bien applicable dès cette année pour l'examen du brevet des collèges et du baccalauréat.

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