Intervention de Francesca Pasquini

Réunion du mardi 28 mars 2023 à 17h20
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrancesca Pasquini, rapporteure :

Il me paraît difficile de soutenir cet amendement de suppression si l'on fait de la santé publique une priorité.

Les adversaires de l'interdiction proposent une lecture un peu biaisée des conclusions de l'Anses dans son avis révisé de juillet 2022. Selon elle, il existe une association positive entre l'exposition aux nitrates et aux nitrites par le biais de la viande transformée et le risque de cancer colorectal, qui est la deuxième cause de décès par cancer en France. Et ce n'est pas une nouveauté : dès 2015, le Centre international de recherche sur le cancer de l'OMS a classé la charcuterie comme cancérogène avéré pour l'homme, en s'appuyant sur des preuves « suffisantes » sur le cancer colorectal.

L'Anses mentionne également une étude récente qui rapporte l'impact d'une exposition périnatale aux nitrates sur le risque de cancers pédiatriques et souligne qu'une association positive est suspectée entre l'exposition aux nitrites présents dans la viande transformée et le risque de cancers du pancréas, de l'estomac, de l'œsophage, du sein, de la vessie et de la prostate. Une association positive est également soupçonnée entre l'exposition aux nitrates présents dans l'alimentation et le risque de cancer des ovaires.

Nous devons tous prendre nos responsabilités et arrêter de fermer les yeux, alors que les preuves scientifiques ne laissent plus de place au doute.

Les populations les plus exposées aux additifs nitrés sont les catégories sociales les moins favorisées, qui consomment nettement plus de charcuterie. Notre collègue Richard Ramos, dont je salue l'engagement courageux depuis des années sur cette question, le dit très clairement : « Autrefois, c'était les riches qui mangeaient de la viande et les pauvres des légumes ; aujourd'hui, c'est l'inverse. » Les personnes les moins riches sont à la fois celles qui consomment le plus de charcuterie nitrée et celles qui ont le plus de risques de développer un cancer colorectal. Les enfants sont également de grands consommateurs de charcuterie et c'est précisément pour cette raison que le Danemark a maintenu des seuils d'incorporation plus faibles. Nous parlons donc à la fois de santé publique, de justice sociale et de publics fragiles.

En ce qui concerne les risques bactériologiques, selon l'Anses, il est possible d'interdire les additifs nitrés en adoptant des mesures compensatrices, c'est-à-dire des mesures renforcées d'hygiène et de contrôle. Les exigences des fabricants français en la matière sont déjà très élevées, ce n'est donc pas un objectif hors d'atteinte.

En outre, le « sans nitrite » n'est pas une chimère : c'est une réalité dans nos supermarchés et chez beaucoup de petits producteurs depuis cinq ans. Ce développement rapide ne s'est pas accompagné d'un retour massif du botulisme – dont le nombre de cas (sept par an) demeure stable et sans qu'aucun soit lié à la production industrielle : la plupart sont dus à des préparations familiales ne respectant pas les règles élémentaires d'hygiène – ou d'une hausse des cas de salmonellose ou de listériose.

Quant à la question du sel et de l'augmentation du risque cardiovasculaire, l'argument est un peu dépassé. Je vous invite à vous rendre dans vos supermarchés, vous y trouverez des produits « moins 25 % de sel » ne contenant pas d'additifs nitrés.

S'agissant des difficultés économiques éventuelles pour certains producteurs, je me permets deux remarques : en premier lieu, l'offre se développe, y compris sur des produits réputés difficiles comme le saucisson sec, et c'est le fait de fabricants de toutes tailles. En second lieu, la profession s'autolimite puisque le code des usages servant de référence prévoit des seuils d'incorporation des additifs nitrés plus bas que les seuils européens et qui devraient être encore révisés à la baisse prochainement. Je salue cet engagement, mais j'en tire des conclusions différentes de celles des partisans de la suppression de l'article 3 : la baisse continue des seuils montre que la marche vers l'interdiction n'est pas si haute pour nos professionnels.

Si les professionnels ont engagé une transition que je salue, il appartient aux responsables politiques d'en fixer le cap : celui-ci doit être une interdiction, pour réduire le nombre de cancers évitables. Il ne faut pas attendre un tel geste du Gouvernement qui tergiverse depuis plusieurs années. Il avait promis un plan d'action à la suite du rapport de l'Anses qui devait être présenté à l'automne, puis en janvier, puis le 22 mars. Ce plan a finalement été rendu public hier soir et n'envisage la suppression des additifs nitrés que dans de très rares cas – les saucisses à griller et les produits stérilisés comme le pâté. Pour le reste, il prévoit de simples baisses, parfois dans des délais très longs. Ce n'est pas assez ambitieux. Je ne prendrai qu'un exemple, le plus emblématique : le jambon blanc, dont on sait que les producteurs n'ont aucun mal à le fabriquer sans nitrite à grande échelle ; le plan prévoit une diminution des nitrites à 90 milligrammes par kilo et une évaluation dans six à douze mois pour envisager une baisse à 80 milligrammes, soit un niveau très en deçà de ce qui est nécessaire. C'est même une fausse promesse, car les additifs nitrés sont cancérogènes quelle que soit la dose ingérée et responsables, chaque année, de quatre mille nouveaux cas de cancer qui pourraient être évités.

Je vous invite donc à rejeter l'amendement de suppression.

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