Intervention de Stéphane Bredin

Réunion du mercredi 29 mars 2023 à 17h30
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l'administration pénitentiaire et de l'appareil judiciaire ayant conduit à l'assassinat d'un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d'arles

Stéphane Bredin, ancien directeur de l'administration pénitentiaire :

Oui, je parle de l'ensemble du processus politique, dont j'ai vu la traduction pénitentiaire. Il a conduit, sur plusieurs années, au rapprochement de la frontière espagnole de certains détenus basques. Or, en dépit de cette histoire pénitentiaire, ce processus de rapprochement n'a suscité aucune difficulté au sein de l'administration pénitentiaire. Si je le précise, c'est parce que je sais que la notion d' « État profond » est souvent revenue dans vos auditions et que l'on aurait pu s'attendre à ce que l' « État profond » pénitentiaire exprime des réticences face à ce processus de normalisation et de rapprochement des détenus basques. Or il n'en a rien été.

À la différence des Basques, le commando Érignac, au sein de l'administration pénitentiaire, n'était pas un sujet pénitentiaire. Il n'y a là encore aucun « État profond » pénitentiaire qui aurait une idée très arrêtée sur la gestion de Pierre Alessandri, Alain Ferrandi ou Yvan Colonna. Le sujet n'est pas du tout celui-là. Je peux me tromper mais, de mémoire, je ne pense pas avoir jamais évoqué la situation des trois membres du commando Érignac avec Nicole Belloubet. Lorsque je suis aux responsabilités, au moins jusqu'en 2020, c'est une question qui n'est pas traitée de manière politique, au sens où je n'ai jamais reçu d'instruction des gardes des Sceaux successifs de maintenir ou de lever le statut de DPS de l'un ou l'autre des trois membres, y compris une fois la période de sûreté de Pierre Alessandri et de Ferrandi échue – en mai 2017, de mémoire.

Ce n'est pas non plus un sujet que j'ai eu à évoquer, à mon niveau, avec la garde des Sceaux Nicole Belloubet. Elle ne vous a d'ailleurs pas dit qu'elle m'avait donné des instructions en la matière. Le changement intervient après le décret de déport du garde des Sceaux qui, de ce fait, bascule le niveau de décision au Premier ministre en décembre 2020. C'est la première fois qu'en raison du parcours du garde des Sceaux se pose la question de traiter ces questions à ce niveau – M. Dupond-Moretti ayant assuré la défense d'Yvan Colonna devant la cour d'assises spéciale.

La gestion du commando Érignac n'était pas perçue au sein de l'administration pénitentiaire comme un sujet politique. Que ce soit au niveau de la maison centrale de Poissy, de la direction interrégionale de Paris, de la sous-direction de la sécurité pénitentiaire ou du directeur de l'administration pénitentiaire que j'étais, il n'y a pas eu d'approche politique de ce dossier, y compris lorsqu'en décembre 2020 je propose au Premier ministre le maintien du statut de DPS de Pierre Alessandri et d'Alain Ferrandi, dont je peux m'expliquer en détail devant vous.

En décembre 2020 se pose la question de maintenir ou de lever le statut de DPS de MM. Alessandri et Ferrandi qui sont écroués à Poissy – l'un des deux étant à ce moment-là au centre national d'évaluation (CNE) à Fresnes, mais cela ne change rien au raisonnement. La question ne se pose pas en ces termes pour Yvan Colonna, puisque sa période de sûreté doit, si je ne me trompe pas, prendre fin en juillet 2021.

Le raisonnement qui me conduit à l'époque à proposer au Premier ministre, en mon âme et conscience, le maintien du statut de DPS est un raisonnement en quatre temps, que je veux vous exposer intégralement, car c'est un raisonnement qui se tient dans son ensemble – même si je sais que vous ne partagez aucun de ces quatre temps.

Premièrement, il y a le constat des liens de MM. Alessandri et Ferrandi avec la mouvance terroriste corse, notamment sur le fondement des faits mêmes pour lesquels ils ont été condamnés et des contacts politiques qu'ils conservent en Corse.

Le deuxième élément, qui n'a pas été souvent évoqué devant votre commission, mais que je reprends explicitement dans le projet de décision que je soumets au Premier ministre, est un arrêt de la cour d'appel de Paris de janvier 2020. Lorsque cette dernière examine le projet de demande de mise en liberté conditionnelle, elle considère que la libération de l'intéressé causerait un trouble exceptionnel à l'ordre public. Il s'agit d'une décision de justice, collégiale, prise par des juges professionnels.

Ce deuxième élément nous conduit à considérer, troisièmement, qu' a fortiori, l'évasion de Pierre Alessandri comme d'Alain Ferrandi constituerait un trouble à l'ordre public majeur. Si la remise en liberté ordonnée par le juge judiciaire risquait de causer un trouble public majeur, a fortiori, l'évasion, c'est-à-dire une libération non voulue par l'autorité judiciaire, constituerait un trouble exceptionnel à l'ordre public.

Quatrième étape du raisonnement justifiant à notre sens le maintien du statut de DPS de Pierre Alessandri et d'Alain Ferrandi : la gravité des actes qu'ils ont commis justifie leur maintien dans une maison centrale.

J'ajoute qu'une décision du Conseil d'État avait, dès 2018, repris intégralement ces motifs pour confirmer le maintien du statut de DPS. J'ai entendu ce que vous en avez dit lors de précédentes auditions, mais je n'oublie pas que je suis magistrat avant d'être préfet ou directeur de l'administration pénitentiaire.

Tel est le raisonnement juridique qui a été tenu en décembre 2020 pour justifier que soit maintenue l'inscription au registre des DPS de Pierre Alessandri et d'Alain Ferrandi. C'est la proposition que j'ai faite au Premier ministre de l'époque et il me semble que Jean Castex vous a répondu, lors de son audition, qu'il l'avait suivie. Nous avons ensuite mis en œuvre cette décision. Nous l'avons soumise au débat contradictoire avec les deux détenus en question et la décision définitive a été prise dans le courant du mois de janvier 2021.

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